Stones, 44 | le coup de poing de Charlie Watts

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Note du 1er septembre 2012. Semaine agitée : il semble confirmé qu’après avoir enregistré (symboliquement) deux titres au studio Guillaume Tell de Suresnes – où ils avaient déjà leurs habitudes –, les Stones se préparent à annoncer deux concerts à Brooklyn fin novembre, et deux concerts à l’O2 de Londres en décembre. Ce qui confirmerait la bonne tenue de la semaine de répétition à New York en juillet, pour laquelle Bill Wyman avait fait le voyage. Maintenant, attendons le 4 septembre pour confirmation : ils auront juste fait ce cinquantième anniversaire avec 5 mois d’écart, alors que nous on l’a fait en synchrone...

 

De quelques grandes lignes de la vie de Charlie Watts on a parlé.

De l’équation principale qui nous mène, on pourrait avoir l’impression qu’elle le laisse en arrière, puisque c’est sa position sur la scène, à savoir : les Rolling Stones ont-ils tenu parce que leurs personnalités étaient exceptionnelles, ou bien c’est leur situation exceptionnelle qui en retour a modelé les personnalités pour qu’ils y résistent ?

Ainsi, aurait-on pu donner comme titre à ce billet Charlie Watts aux masques. Aussi bien le sien est-il toujours en décalage. Les fringues impeccables et les costumes taillés sur mesure Saville Row. La coiffure à ras quand il était de bon ton de la porter longue, et même la moustache quelques mois.

Surtout, cette affirmation qui a fait long feu : il n’est pas batteur de rock’n roll, sa musique c’est le jazz, il est là par erreur en somme. Sauf que Charlie Watts batteur de jazz, on n’en aurait peu entendu parler plus loin que Bognor Regis. C’est même un peu monotone, sa dernière formation de boogie-woogie à deux pianos, voir vidéo au Duc des Lombards. Il joue à la brosse, John Bonham refusait de se servir des brosses.

Et puis Charlie Watts a toujours vécu en Rolling Stone. Plus discrètement que les autres, c’est sûr, faisant le choix d’acheter une ferme pour y mettre ses chevaux, puis changeant la ferme par une plus grande, complétant par sa propriété de Saint-Jean du Gard, mais finalement on en aura peu entendu parler, de la vie de Charlie Watts.

Marié à Shirley, une fille (Seraphina). A cette époque, Oldham et Jagger voulaient que l’image des Stones ce soient cinq coeurs à prendre, pas de petite copine mise en avant. Quand Watts se marie, c’est contre l’avis de Jagger et d’Oldham, mais il est buté, Charlie Watts, c’est même probablement cette qualité qui fait l’originalité de sa batterie.

On connaît les difficultés du début, quand personne ne s’entend, et qu’il doit s’ajuster, dans le vague bruit qui lui parvient, aux mouvements de doigts de Keith Richards. Ou la difficulté d’ajustement dans la période techno (Undercover of the night), quand on prétend lui accorder sa batterie et qu’il quitte le studio.

Silencieux, Charlie Watts ? Il parle lentement et avec précision, installe du silence et des allusions dans sa phrase. Mais qu’on le fasse parler batterie, matériel, batteurs, et soudain il redevient bavard.

Je ne sais pas si Charlie Watts, finalement, n’aime pas le rock’n roll. Il se colle à Jimi Hendrix avec cette même manière de proximité instantanée qu’il a avec Keith. Dans la vie du groupe, il a toujours eu un avis avec droit de veto, sinon un avis déterminant. Sur la ligne graphique des disques ou des scénographies, par exemple. Vrai que sur scène il connaît le tempo et le lick de chaque morceau, et n’en dévie pas. Mais garde là-dessus une façon souple d’appuyer les inflexions de Jagger. Sans Charlie Watts, l’alchimie s’effondre.

C’est pour ça que cette vidéo est importante. On s’imagine toujours Charlie Watts en immobile. Mais pour être immobile deux heures en concerts, un pied sur la charley (c’est dans son usage de la charley que probablement il reste un batteur de jazz égaré en rock’n roll), et un pied sur la boum-boum (c’est son contre-temps sur la grosse caisse qui signe le son Rolling Stones), il lui faut cette danse en amont. Sa danse de guerre, son être intérieur.

De Charlie Watts on s’imagine qu’il ne s’amuse pas. Dans les avions des récentes tournées, Richards et Wood dans leur rangée, puis un rideau, puis Jagger et Watts, il commente le Financial Times. Peu probable qu’il aime lire, et chez lui il ne travaille pas la batterie. Une période de deux ans, dans le moment de la brouille Jagger-Richards, où il fréquente à son tour la cocaïne et les jeunes filles, lui qui avait vécu droit depuis le début. Jamais passé le permis de conduire, mais collectionne les armes et uniformes de la guerre de Sécession, les voitures anciennes de luxe, les livres de bibliophilie.

Refuse l’uniforme pour le rock’n roll, mais se plie à tous les usages les plus momifiés des Anglais sur leurs champs de course et semble y trouver son compte, quoique son gilet rose sur fond bleu en rajoute un peu sur le côté gentil country-farmer excentrique éméché.

Finalement, retour à l’équation. Qu’aurait fait Charlie Watts s’il n’y avait pas eu les Rolling Stones, ou si Carlo Little, Mike Avory ou Tony Chapman eussent été meilleurs batteurs ? Watts avait laissé tomber Korner parce qu’il ne voulait pas partir en tournée, garder son boulot de maquettiste dans une agence graphique, et s’embarque sans barguigner dans une tournée qui durera jusqu’à ses soixante-et-onze ans cette année. Type même de la question idiote, donc on la laisse (ou on se l’applique à soi-même, moi qui aurais pu être boulanger ou chauffeur de bus, mais je ne trouve pas réponse). Watts a aussi trouvé son compte à la vie Rolling Stone par tout le temps qu’il y a perdu. Les chambres d’hôtel, les attentes en loge, après tout c’est la vie de saltimbanque, juste l’échelle qui change. Charlie Watts spectateur amusé d’une aventure pas sérieuse ? Non, l’invention du rock’n roll, et le tenir cinquante ans durant sur la scène, ça demande tout de soi-même. Y compris par ce qu’on abandonne du reste.

Le fils du livreur de la British Railway n’aurait pas fini sa vie en éleveur de chevaux de renommée internationale, accepté sur les champs de course les plus selects de son aristocratique pays, sans le rock’n roll : c’est donc une figure encore du rock’n roll.

Le 20 janvier 1986, à Amsterdam, un rendez-vous est arrangé entre Mick Jagger, Keith RIchards et Charlie Watts pour un éventuel terrain d’entente qui assure la survie du groupe. A trois heures du matin, ils s’engueulent encore, alors une heure plus tôt Watts les a laissés et est parti se coucher. Jagger aviné téléphone à Watts : Where’s my fuckin’ drummer ? Watts s’habille. C’est-à-dire prend une demi-heure pour capeler son costume trois pièces, ses chaussures en cuir sur mesure, après s’être rasé et lavé. Puis il traverse le couloir. Don’t ever call me your fiuckin’ drummer. You’re my fuckin’ singer. Et devant Richards ébahi il plante lourdement son poing en pleine figure de Mick Jagger.

Il se peut même, rétrospectivement, que ce coup de poing, et le rituel qui le permit, ait été l’élément déterminant de la reprise des Rolling Stones, quoiqu’il soit avéré que Jagger et Richards ne se soient jamais depuis lors adressé la parole ni téléphoné ni fréquenté en dehors des heures précisées à l’avance pour les répétitiions, les enregistrements ou la scène. Mais c’est ainsi que ces hommes vivent, il est très improbable que Watts non plus ait parlé ou rendu visite, et réciproquement, à Jagger ou Richards en dehors des heures de travail, depuis vingt-cinq ans – exception faite des obsèques d’Eva Jagger, je crois, où ils étaient tous rassemblés et où Mick a chanté a capella Will the circle be unbroken.

L’important n’est pas le coup de poing – encore que. C’est le costume trois-pièces et les chaussures, pour traverser le couloir de l’hôtel de luxe, à trois heures du matin, cette nuit d’Amsterdam.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er septembre 2012
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