nous habitions un monde de façades

des murs et rien derrière, le vide : la ville n’abrite plus


C’était un jour de vent et de pluie. Tu marchais.

Maintenant qu’ils refaisaient tout on comprenait, c’était clair, et ils ne s’en cachaient même pas. La ville, c’était ses façades. Les rues, les grands alignements, les carrefours à tout vent, les fenêtres jusque tout en haut, c’est cela simplement : le dispositif pour vous maintenir à la surface, vous contraindre d’y circuler.

Alors on comprenait mieux aussi ce sentiment que vous aviez, quittant ou rejoignant ces abris précaires où on revenait pour la nuit, où on s’enfermait dans la journée pour une heure volée de mauvais sommeil avant de reprendre les rues, les couloirs, les souterrains, les marches et les tunnels, tout ce qui vous aspirait dès la gare – les autres non plus n’avaient pas d’abri là, hors les échoppes où on entrait regarder les livres d’occasion, ces livres jaunis du temps qu’il y avait des livres, ou ces vitrines avec tout et n’importe quoi, des guitares ou un étalage de cannes. Qui aurait vécu de ces commerces, hors ces boutiques à graillon et les trottoirs qui débordaient le soir pour tant d’alcool bu. La ville au matin sentait la pisse.

Ils y promenaient des chiens. D’autres se réveillaient sur les bancs, entourés des sacs de leurs trésors de survie. Les voitures grognaient : sans doute, au loin de la ville, pouvait-on vivre autrement, avoir un chez soi.

C’était merveilleux, ce qu’ils arrivaient à faire des façades. L’ancienne ville était rongée du dedans, rongée jusqu’à la rue. Dans le temps intermédiaire, on voyait les orifices, opercules, découpures. Tout, du dehors, était refait à l’ancienne. Elle était belle, la ville, n’aurait été cette contrainte de toujours l’arpenter dans le vent, la foule, jamais d’arrêt, jamais d’abri.

Tu connaissais les exceptions : dans cette grande pièce en rotonde à la perpendiculaire, tu étais resté longtemps à regarder le carrefour. Une vie qui ne t’intéressait pas. L’important, c’était cela : une pièce vide, et pouvoir s’y installer, être dans le dedans de la ville et qu’elle résonne là, dans tes mots.
Dans ces chambres qu’on louait, partout où était le mot hôtel, on retrouvait en gros la même disposition, et la même insomnie. Le temps aussitôt y devenait aussi répétitif que les chambres même. Habiter était sans doute ce qui venait en rupture.

Maintenant, quand tu marchais, tu le savais : derrière les façades, rien. Les officines marchandes, les officines à ordinateur, les caves administratives, le grognement des voitures et les sirènes des ambulances ou de la police. La ville n’était plus que cette définition minimale. Au-dedans, vous, poussés dans la rue – la ville juste ce vent, un froid coupant, et les interminables longueurs de la nuit.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 septembre 2012
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