[15] redevenir jaune et métallique avec Baudelaire

de la couleur jaune chez Baudelaire, telle qu’affirmée par Proust


 

Dans cet échange de lettres resté célèbre et souvent reproduit, Baudelaire écrit à Proust : « Cette maladie qu’ont les gens de nous enfermer dans une époque, quand nous avons employé notre vie et plus à déployer des mondes intérieurs qui en étaient la négation même. » Et la réponse de Proust : « Je n’ai jamais écrit que le livre que tout dans votre oeuvre désignait, et qui en restait absent. » Mais ce n’est que récemment qu’on a retrouvé ces notes de Baudelaire étiquetées « notes for self » sans autre signature (raison pour laquelle ce manuscrit était resté si longtemps dans une collection privée faute d’identification vérifiée), où il commente ainsi la lettre de Proust : « Si le livre auquel mon oeuvre fait rêver avait dû exister, je l’aurais écrit. Au mieux le vôtre développe-t-il quelques détails et modalités d’une de ses réalisations possibles. Et c’est déjà beaucoup, voire immense, cher Proust auquel je n’adresserai pas ce mot. » Doit-on le rapprocher de cette autre mention par laquelle Proust, annotant cette scène où il récite à Albertine des vers sur le clair de lune (on se souvient de cette mention rageuse de Baudelaire à propos des différentes évocations de son nom dans la Recherche : « Oui, mes vers au clair de lune... ») et terminant par son fameux « pour redevenir jaune et métallique avec Baudelaire », revient lui aussi sur cet échange de lettres en disant : «  À la Recherche du temps perdu condensé en cent-vingt poèmes serait d’une tout autre envergure que vos Fleurs, cher ami Baudelaire, à qui je n’oserai jamais le dire. » Comment nous autres, qui les lisons et les analysons tous deux, ne serions pas fascinés par ces échanges entre géants (qui se reconnaissaient comme tels, mais que toute leur époque ignorait comme tels), à la fois depuis leurs échanges directs comme des mots par lesquels ils les prolongent sans oser transmettre à l’autre. Ainsi, dans ses « notes for self », cette autre allégation de Baudelaire évoquant directement sa lecture de À la Recherche du temps perdu, à propos de ce même passage exactement : « Proust, mon jeune frère, mon camarade, mon rare ami, es-tu bien conscient que lorsque tu écris – mais sans me nommer – une phrase comme aux monuments de Paris s’était substitué, pur, linéaire, sans épaisseur, le dessin des monuments de Paris tu fais du Baudelaire au petit pied, du Baudelaire volé, du décalque de Baudelaire, et dans ta volonté de me suivre, nez collé dans mon écharpe, tu n’inventes rien que ce que bien avant toi j’ai tordu de la langue, de la ville et du monde, d’un prix que tu ne saurais payer, quelle que soit la rançon qu’à toi on demande ? » Exagération, voire arrogance, qu’on peut évidemment qualifier de purement baudelairiennes, aurait silencieusement ricané Proust s’il en avait eu connaissance, ou peut-être se serait-il contenté d’un de ses pneumatiques vengeurs : « On vous reconnaît bien là, ô maître du serpent jaune... »


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 22 novembre 2012 et dernière modification le 16 février 2013
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