[92] et qui font comprendre que Baudelaire ait pu appliquer au son de la trompette l’épithète de délicieux

pour celles et ceux qui ne croiraient pas que Proust a connu Baudelaire


« Je ne vous pardonnerai pas cette phrase, je suis en colère, c’est une attaque brutale, imméritée. Une attaque de qui ne connaît rien au chant des instruments. j’ai regardé : une seule autre fois vous utilisez le mot trompette : un rire bruyant comme une trompette, ah oui, la belle trouvaille ! Moi c’est ma colère, qui sera bruyante comme une trompette. Mais mon pauvre Proust, vous qui confondez violoncelle et contrebasse, vous n’avez donc que des yeux et pas d’oreilles, votre sonate de Vinteuil juste un “serpent à sonate” comme dit votre imbécile de toubib. Il y a deux fractions dans l’humanité : ceux qui ne tolèrent que les instruments à cordes, et puis les autres. La clarinette seulement si elle s’ajoute à un quatuor de Mozart (je n’aime pas Mozart), la flûte pour désigner l’écrivain de pacotille – Bergotte est ce que j’appelle un joueur de flûte, et vous, un joueur d’hélicon ? » Proust, ce soir-là debout dans sa robe de chambre, un linge blanc trempé d’alcool roulé autour des tempes pour ses névralgies, rétorqua qu’il avait souvent employé le mot cuivre, qu’il aimait le mot cuivre comme tous les autres mots à diphtongue, et encore plus celui-ci dans l’attaque et le rauque filé que donnent les trois consonnes à la féminine de fin. « Attendez-voir, dit Baudelaire, que je me souvienne : “quand le sublime naissait de lui-même de la rencontre des cuivres, haletant, grisé, affolé, vertigineux”, mais c’est cela même, la trompette que vous décriez, mais – je vous en demande pardon – toutes vos occurrences du mot cuivre ne concernent que les tringles de cuisine ou les supports de rideaux de lit. Ce n’est pas chez vous, Adieu donc, chants du cuivre et soupirs de la flûte, c’est chez Baudelaire ! Et Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, chez Proust, ou chez Baudelaire ? Et Sinistrement béante ainsi qu’un tromblon noir, ce n’est pas Baudelaire encore ? Vous m’affligez, mon pauvre Proust, à me chipoter d’une trompette. »


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 20 janvier 2013
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