la Terre est morte à Buffalo | des îles dans la ville

il n’en fallait pas si grand à chacun


Nous vivons dans des îles. Chacun aménage son île. Dans l’île de chacun, une tour où on habite, et chaque étage sa fonction : manger, dormir, ranger, s’occuper. Dans l’île de chacun , ces silos pour ce qui fut vécu, qu’on a accumulé et qu’on n’irait pas si souvent chercher. Dans l’île de chacun, la forteresse dans ses murs épais, ses murs sans fenêtres, la forteresse où parfois, dans une grande salle vide et grise, on vient s’asseoir et penser. Dans l’île de chacun, cette guérite tout au bout, et arrondie, où on vient attendre les autres : et quand les autres viennent, on parle, on échange, on dit ce qu’il y a à dire, avant que chacun rentre dans son île. Dans l’île de chacun, ce qu’on a laissé dehors, sous les intempéries du ciel, et la dureté de ciment des cours. C’est du vrac, un désordre, on a posé ça ici parfois il y a longtemps, un jour il faudrait s’en occuper, et trier, mais on attend demain. Dans l’île de chacun, tellement de place pour rien : cet abandon qu’on traverse, ces espaces qu’on ne voit plus, et l’eau, au bout. L’eau verte, opaque, dure, immobile. Parfois on vient, là, tout au bord, on regarde l’eau. Ça fait du bien, de regarder l’eau. Puis on rentre dans la tour. On trouve commode cette répartition, l’étage où on mange, l’étage où on dort, et la grande pièce nue où on a son ordinateur, sa musique, ses rêves – puis les autres étages, en bas, en haut, l’étage des projets, l’étage de penser, l’étage des souvenirs, la cuisine où recevoir les amis (parfois). On va à la fenêtre, on regarde son île. Bien, pas bien, finalement ce n’est plus tant le problème – c’est arbitraire, c’est votre île. Alors on tourne le dos à la fenêtre, on se remet à sa table. Il y a beaucoup d’îles, ainsi, dans la ville. La ville est faite d’îles.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2010
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