la Terre est morte à Buffalo | la carte des morts

passer au-dessus d’eux c’était passer parmi eux


Là où on brûlait les morts, il y avait aussi une autoroute au nord, une voie ferrée au sud. Et, de façon jointive, recommençaient à l’ouest les lotissements, à l’est les commerces et entrepôts. C’était d’avant le traitement de masse des morts, quand la ville avait appelé de nouvelles solutions. La ville autrefois ménageait en son sein l’égale place pour ses morts : juxtaposition de l’étendue, qu’importait, au temps des voitures. Les arbres ici étaient demeurés, les arbres avaient grandi, et même bien étrangement grandi, sans que quiconque puisse déterminer si c’est de ce qu’ils se nourrissaient dessous des morts, ou simplement de cet écart à la ville au milieu de la ville, l’air supplémentaire et l’isolement par rapport aux tracas et aux fumées : on reconnaissait de loin ces arbres bizarres, aux formes torturées. D’une façon générale ces anciens parcs étaient calmes, et sur les pierres on lisait d’anciens noms. Les centrales pour brûler les morts étaient éteintes, maintenant – juste, ici on n’aurait pas osé construire. La ville s’arrêtait, puis recommençait. L’autoroute au nord avalait sa translation continue, les voies ferrées au sud accumulaient les wagons en attente. Avec le temps, maintenant qu’on n’entretenait plus, il semblait que les pierres dessinaient un incompréhensible message : on écrivait ainsi, autrefois, pour les aveugles qui déchiffraient en passant le doigt sur les lignes. L’écriture des morts, disait-elle seulement ce qui les concernait, que nous ne savions plus lire ?

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2010
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