indisponibles : les éditeurs entrent dans la danse

ça sent le roussi pour l’opération de spoliation, édition d’État avec le soutien du SNE, et la BNF embauchée contre son gré pour les basses oeuvres


actu, lundi 8 avril
 des lecteurs qui refusent de devenir des relecteurs, lire cette analyse importante, placée du point de vue lecteur et droits du lecteur, accompagnée d’une pétition – elle s’appuie cependant sur notion de droit d’auteur inaliénable : dans mes 2 billets sur les indisponibles, j’ai fait référence à la loi sur la propriété intellectuelle, mais jamais à la notion même de droit d’auteur – on n’en serait pas là si la France n’avait pas créé pour le contrat d’édition, à cette époque c’était une avancée, une exception au droit commercial limité à 10 ans, et l’alignant sur la durée de la propriété intellectuelle – cette non-limitation à 10 ans renouvelables par tacite reconduction du contrat d’édition, qui n’existe ni en Allemagne, Italie, US ou CA, il y a longtemps que les agents littéraires la refusent, et de plus en plus d’auteurs ;
 hold-up sur les écrivains, point de vue de Georges Moréas, auteur dont les ouvrages se retrouvent dans le registre de réquisition d’État – le ton monte, et c’est justifié...
 ci-dessous, commentaires 17 à 26, un échange avec Alain Pierrot, ami que je considère comme haute référence dans les questions du livre et du numérique, au sujet de la question « vol ou pas vol » – une métaphore que j’ai employée, du livre comme éclair au chocolat, pour mettre en avant cette référence au texte dans son goût et son travail, notre artisanat d’auteur qui fait que je considère mes textes comme bien privé, a braqué Alain et je le regrette : je pense rétrospectivement, ce matin, que dans cette métaphore il y avait aussi, de mon côté, la non-pérennité éventuelle d’un texte, en tout cas pour ce qui concerne les 4 textes miens dont j’ai demandé le retrait. En tout cas, il n’y avait aucune volonté d’injure ni de schématisation dans cette métaphore, que je maintiens (suis plus gourmand qu’Alain, probablement). Je maintiens par contre qu’il ne s’agit pas, pour nous auteurs, d’un « débat » sur la réquisition d’État, imposée contre son gré à la BNF, mais d’une protestation où la colère n’est que l’expression de la violence qui nous est faite.

 

 

complément, dimanche 7 avril, les intouchables
 billet repris dans ActuaLitté, merci Nicolas Gary
 je rappelle idée force de ce billet : l’État consacre des centaines de milliers d’euros à la numérisation des fonds des gros éditeurs – mais ce n’est assorti d’aucune condition de commercialisation de ces fichiers, qui restent dans le coffre-fort des éditeurs pour maintenir l’offre légale dans un état d’insuffisance qui la déprécie – pour moi la notion de disponible ce serait d’abord de contraindre Gallimard, Editis et les autres à proposer en librairie les numérisations faites sur fonds publics ;
 autre idée importante : on nous dit qu’il ne tient qu’à nous de sortir du dispositif (« opt-out »), mais la démarche est infiniment contraignante – à nous d’en faire la preuve, et de le faire auteur + éditeur –, et si on ne le fait pas, le prestataire choisi par la BNF (sur nos sous) aura exclusivité de 10 ans sur notre travail ;
 autre chose que je n’avais pas explorée hier en rédigeant ce billet : un autre volet ragoûtant de l’opération #ReLIRE, État + BNF avec soutien SNE + SGDL, c’est qu’on ne touche pas aux auteurs sous droits, qui seraient pourtant les plus importants à libérer compte tenu de l’intérêt pédagogique ou patrimonial : cherchez à Boris Vian, à Pévert, à Henri Michaux, à Louis-Ferdinand Céline, dès lors qu’il s’agit de tire-lire vous ne trouverez RIEN. C’est aux petits qu’on prend, et seulement eux. Et on voudrait nous faire croire que ce n’est pas une histoire de gros sous concertée ?

 

note initiale, samedi 6 avril, 21h
 je rappelle mon billet initial auteurs, contre l’État voleur, réclamez vos droits, la contribution de Didier Daeninckx, je refuse d’être diffusé par un éditeur que je n’ai pas choisi, et la très importante réponse de Lionel Maurel, blog S.I.Lex à François Gèze, membre du soi-disant conseil scientifique nommé à titre rétrospectif, et dirigeant du SNE : ReLIRE : ce processus ne peut maintenant conduire qu’à une catastrophe.
 ce samedi 6 avril, nouvelle escalade, c’est à nous auteurs qu’on s’en prend, avec toutes les invectives possibles, comme s’il aurait fallu se faire voler sans rien dire – mais c’est simplement parce qu’une clé nouvelle advient...

 

indisponibles : les éditeurs entrent dans la danse


Rappelons quelques données de base : il y a un peu plus de 1200 éditeurs déclarés en France, si vous avez des chiffres plus exacts je suis preneur. Les 4 premiers font environ 60% du chiffre global, et les 1000 derniers à peu près 2% de ce chiffre.

Seulement, une large part de la création, la prise de risque, l’exploration, est le fait de cette constellation d’éditeurs artisans – voir là-dessus l’incroyable archive que constitue le Matricule des Anges (qui n’a jamais parlé de publie.net, sigh...), ouvrant mensuellement son journal à l’un d’eux.

Cette situation se reproduit dans la numérisation. Le SNE rassemble 400 éditeurs environ, et réserve sa direction, comme la direction de ses principales commissions (numérique en l’occurrence) à ses plus gros membres. Ils bénéficient déjà, et depuis plusieurs années, d’aides conséquentes (des centaines de milliers d’euros) à la numérisation de leurs fonds, aides attribuées par l’État via canal spécifique du CNL, et bien sûr le SNE est représenté dans cette commission. Ceux-là, ReLire n’y touche pas.

J’ajoute que les plus gros bénéficiaires de ces aides publiques à la numérisation ne se sentent pas pour autant obligés de commercialiser les epubs réalisés : merci de m’aider à préciser les chiffres, mais Gallimard par exemple a déclaré il me semble avoir 20 000 titres numérisés pour 2000 commercialisés – la notion de disponible, lorsque la numérisation est faite sur fonds publics, ça commencerait là. Et chacun dans le métier sourit (vert) au nom de maison parisienne qui a encaissé l’an dernier 300 K€ pour numérisation de ses fonds et n’a rien fait. Cet argent réservé à ce tout petit noyau de gros bénéficiaires des aides CNL, qui n’en font pas bénéficier en retour l’offre publique, il aurait été simple de le diviser en deux, et d’en proposer une des moitiés aux petits éditeurs pillés, en avance sur droits de commercialisation, on n’en serait pas là...

Le projet ReLIRE, c’est la constitution d’un registre inaccessible (même s’il a été piraté et reconstitué en fichier Excel à la diposition publique, mais hors BNF) incluant 60 000 titres, essentiellement des ragnagnas, c’est-à-dire des titres relevant de productions secondaires, travaux de commandes, publications ensuite reprises dans d’autres titres, sans l’avis des auteurs, et avec un dispositif inique pour demander le retrait : formulaire avec déclaration sur l’honneur qu’on est bien l’auteur de ses propres textes, carte d’identité, autant de fois qu’il y a de titres, moyennant quoi vous recevez une réponse comme quoi votre dossier est en instruction et sera traité... dans les 3 mois. Un dispositif inique de commercialisation, confiant à l’opaque SOFIA une part des sommes encaissées, sans aucune garantie ni précision quant à ce qui sera reversé aux auteurs en bout de chaîne, avec numérisation à la moulinette et beaucoup de bricolage (par exemple, le registre BNF n’est même pas capable d’intégrer les auteurs de livres collectifs...).

Je reviens sur un point, qui pour moi est très douloureux, encore ce soir après 2 jours à l’Escale du Livre de Bordeaux, croisé plein d’amis auteurs qui tous avaient lu mon point de vue sur les indisponibles mais n’’ont jamais fait un pas, de leur côté, pour une implication numérique que je considère vitale. Si dans ReLIRE nous avons recensé tous les auteurs de notre petite galaxie publie.net, si un des scandales de ReLIRE c’est de voir apparaître dans ce registre des titres que nous avons artisanalement et amoureusement remis nous-même en édition, et donc parfaitement disponibles, des dizaines ou centaines d’auteurs qui restent à l’écart du web ne sauront jamais que leur possession intime, la plus haute, ce qu’ils ont écrit, est bradé au nom de l’édition d’État. J’ai aussi relevé le scandale de ces auteurs majeurs de notre pays, qu’on va contraindre à la même paperasserie : Henri Maldiney, Henri Maldiney lui-même, 99 ans, notre maître des plus respectés, se voit volé de 2 livres, son Ponge, et son Avènement de l’oeuvre. J’ai utilisé le mot de goujaterie, je le maintiens. Deux textes d’Yves Bonnefoy, 94 ans : mais quand, QUAND Yves Bonnefoy aurait manifesté à quiconque qu’il ne décidait pas lui-même du destin de ses textes et à qui il les confie ? C’est rien, pour vous, Bonnefoy ? Moi il m’aide à vivre. Et je peux tenir la liste.

Admirons d’ailleurs l’hypocrisie : ça aurait demandé combien de temps, un script qui examine si les titres spoliés n’étaient pas déjà en circulation numérique ? Réponse : ils se sont servi de la base Électre... qui n’a jamais référencé la production numérique, se met tout juste à ce chantier, en se limitant pour l’instant aux livres simultanément papier et numérique. C’était d’ailleurs un des motifs du coulage (immense gâchis de fonds publics aussi) de 1001Libraires.

J’en viens au motif de ce billet : la non-implication web des auteurs me désole, même si je m’en console parce que du coup c’est place libre à la génération neuve. Mais la situation pour les petits éditeurs est symétrique : ils n’ont pas numérisé leur fonds, n’ont pas accès aux dispositifs de financement lourds mis en place, et, malgré les difficultés et l’érosion, ont choisi une politique de qualité, papier, typo, graphisme que nous rejoindre dans la diffusion epub. Ils savent se servir du web, à longueur de journée, de mails, de bases libraires. Si c’est un choix que je trouve incroyablement dommageable, leur non-engagement dans le numérique est une décision relevant de leur intime choix artistique, parce que ce n’est pas une profession seulement commerciale.

Et c’est là que ReLIRE a fait passer sa moissonneuse-batteuse. Alors ces éditeurs, qui ne se sont pas mobilisés au moment de l’élaboration et du vote de cette loi, opaque et confuse, découvrent quelques jours après nous l’étendue du pillage.

Pour les éditeurs (pas le SNE, les autres), la réaction est la même que celle des auteurs : un, ça nous appartient en propre, parce que c’est le meilleur de notre vie. Et la liberté de diffuser ou pas, nous appartient aussi. On ne vient pas piquer dans vos journaux intimes en disant : c’est écrit, ça doit être diffusé. Deux, le processus d’appropriation, et la lourdeur bureaucratique de l’opt-out est inadmissible. Je ne suis pas militant, j’ai assez donné merci, il y a longtemps. Convaincre est infécond, c’est l’axiome de Walter Benjamin que j’ai fait mien depuis longtemps, mes copains de publie.net me le reprocheraient assez d’ailleurs... C’est eux, les éditeurs, qui sont venus me parler, à l’Escale du Livre : tous venaient de faire, dans les tous derniers jours, la liste de leurs spoliations.

Et ça ne passe pas. Ce samedi soir, la loi sur les indisponibles a du plomb dans l’aile, parce que ce n’est plus une révolte d’auteurs, mais une levée de boucliers de ceux qui font ce métier, les centaines d’éditeurs qui ont en charge la création de littérature.

Moi je passe le relais. Mais je ne m’attendais pas à une réaction aussi forte. M’en a témoigné dans les premiers Jean-Paul Michel, 40 ans d’édition dans le légendaire William Blake : 9 livres spoliés, dont un Kenneth White, et les entretiens avec Pierre Bergounioux, Pierre qui a d’autres soucis que ces bassesses, mais qui m’avait demandé, toutes ces 5 années, de le laisser à l’écart du livre numérique. Eh bien c’est réglé, on va faire 5 titres ensemble, parce que l’amour que William Blake porte à ses ouvrages doit être la règle aussi pour le numérique. M’en a témoigné pareillement Colette Olive, fondatrice de Verdier : 15 livres spoliés, dont Bernard Simeone, ami et grand poète, grand traducteur, décédé il y a une dizaine d’années mais dont le frère, et quelques proches de l’ENS Lyon, préparent livre d’hommage et rééditions – la BNF mâche les morts et les recrache, sans aucun respect à leurs proches. Dont Armand Gatti, notre immense Gatti qui a connu un autre registre, celui d’Auschwitz. Les flics il y a 3 ans, le 11 juillet 2009, ont bousillé au taser l’oeil de son petit-fils Joachim, l’État revient et prend l’oeuvre-centre, La parole errante, comme il lui prend Le chant d’amour des Alphabets d’Auschwitz, comme si cette oeuvre était indisponible alors que les Gatti sont sans cesse à travailler, construire, porter. Et Gatti a 89 ans...

Même réaction pour Michel Valensi de L’Éclat, mais on vole un titre de James Sacré à un de nos plus fabuleux artisans de la typo manuelle, Djamel Meskache de Tarabuste (et son site), on dépouille farrago, qui depuis une faillite injuste se bat inlassablement pour la reprise d’un catalogue majeur, tant pis pour son môme au collège. Et quelle nullité, quand un de ces titres c’est le Koltès de Christophe Bident, dont une nouvelle édition est en préparation. Sans compter qu’avant farrago il y avait eu Fourbis et là c’est 55 titres dont André du Bouchet, Jean Daive, Calaferte, Emaz encore, Didier Cahen, Jacques Dupin à peine enterré, Esteban, Marmande, Albiach, Juliet, Beck, Collobert, Jabès, Leiris, Risset, Kojève : on bafoue la situation sociale d’un éditeur contraint au chômage par trop de risque pris, on l’écrase en lui marchant sur le corps... Vous n’auriez pas eu l’idée ou la gentillesse, pour le vol par effraction, sur les centaines de milliers d’euros octroyés pour la numérisation des gros du SNE, de faire porter un panier repas à Jean-Pierre ?

Idem on dépouille de 12 livres Cadex, dont la directrice se bat pieds et mains, depuis quelques mois, pour la création d’un café littéraire dans son village du Languedoc, avec des textes de Claude Minière, Lionel Bourg, Serge Pey qui sont le tissu vivant de la création poétique.

Ou plus de 80 titres pris au Dé Bleu, dont Pinson, Piquet, Piccamiglio, Vercey, Josse, Sacré encore, Dreyfus qui depuis que Louis Dubost a pris il y a 2 ans sa retraite d’enseignant et d’éditeur, ont tous repris leurs droits et la liberté de republier ces oeuvres dont ils ont besoin parce qu’elles sont leur vie. Et accessoirement, on mutile le courageux Cadex, qui a repris une part des livres en stock pour assurer la continuité du travail de Louis.

Et pareil pour Deyrolle, alors que François-Marie est en pleine recréation d’une nouvelle structure autour d’art et poésie, à qui on coupe l’herbe sous les pieds (29 titres, dont Emaz, Barnaud, Claude Louis-Combet, Klossowski même, et un texte à moi... depuis longtemps dispo sur mon site).

J’arrête, ça suffit. Chacun maintenant est allé vérifier les siens. Personne, il y a une semaine encore, ne se rendait compte de la portée du hold-up : eh bien c’est fait, et désormais la révolte va être portée par eux, qui savent ce qu’est un sou en fin de mois, le prix d’une rame de papier et d’un envoi de livre à la Poste.

À un éditeur comme POL, propriété Gallimard, en revanche on ne prend que 4 titres seulement, et sans doute vite 3, parce que j’imagine mal Olivier Cadiot accepter la spoliation de son Art Poetic’ – sans compter qu’un epub de l’Art Poetic‘ sera un véritable massacre vu la mise en place typo.

Et conclusion optimiste : dans 3 mois, si cette horreur n’est pas fichue en l’air, ce sera encore 60 000 titres (ils veulent aller à 500 000) et il faudra recommencer la paperasserie. Recommencer de regarder horrifié le pillage des livres d’Henri Maldiney et des autres...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 avril 2013
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