de ces bouffées de vent sous ciel blanc

de l’oppression ordinaire dans les bascules de la ville


Un ciel noir et chargé assombrissait le plein jour. Un ciel noir et chargé, et on n’y voyait plus dans le plein jour. Les immeubles, les rues, les voitures : grises. Des bourrasques rapides de vent. On sentait l’angoisse dans sa gorge. On aurait dit une poussée venue sous le sol, et par dessus rien qu’une attente. Le monde devenu fixe, sauf le vent. Les voitures : fuyantes. Les rues : plus rien que des traits de scie dans la masse de la ville. Elles auraient mieux été vides. On se fixait au carrefour, on regardait devant soi. Le vent vous entourait. L’air était blanc, comme blanc sous le ciel noir. Qu’est-ce qui pourrait durer de l’aventure des hommes ? Elle n’avait conduit qu’à cela, ces rues, ce vent, ces voitures. On entendait au loin les sirènes. Ça commençait. Celui qui parlait fou t’apostrophait à cet instant : il y en a pour qui la peur est plus sensible, et se convertit en paroles et en gestes. Maintenant il partait, tournoyant lui aussi, et de grands mouvements du bras – mais ses yeux, tu les avais vus, ces yeux qui ne te regardaient pas, qui ne regardaient jamais à qui exactement lui s’adresse : une peur bien pire que la tienne. Tu t’enclos les bras sur le cou, la poitrine et le cou : on a toujours l’impression qu’elle est là, la peur, et qu’on pourrait se l’arracher si on s’enlevait tout ça. Maintenant plus de voitures, et plus personne même pour marcher, crier, courir ou traverser. Il y a ce moment de retrait total. La pluie commençait à tomber, vertigineuse et drue. Toi, tu tremblais. Est-ce qu’il y aurait un jour après ce jour ? La ville noire luisait, la ville s’en moquait : les enseignes étaient celles des marques habituelles. Tu te disais : – Voilà ce par quoi ils ont tué le monde. Le feu repassait au rouge. Tu aurais pu passer, tu ne passais pas. Savais-tu même où tu étais, sinon que tu tremblais, sinon que toutes les villes étaient mêmes, sinon que la même peine nous soulevait comme ici l’angoisse souterraine poussait à en soulever le sol, à en déchirer le béton des entailles faites à cette masse de ciment qu’ils nomment ville, et faite de tant de grottes minuscules, où manger, boire, dormir, compter ce qu’il reste d’argent, payer l’automobile, ou se crisper dans un coin sur le sol contre l’angoisse. Que feraient-ils d’autre, dans la ville sous la bourrasque, si rien, ni nulle fenêtre, ne manifestait plus nul signe ? À ce moment tu regardais le ciel : il s’était ouvert. Tu avais froid. Les villes n’ont pas de futur. Rien que le temps suspendu d’une aventure sans retour : le balancier se préparait. Le balancier s’immobilisait. On en percevait de mieux en mieux l’arrêt. C’est quand il repartirait dans l’autre sens, qu’on n’aurait plus besoin d’avoir peur – juste s’accrocher, juste tenir. Alors tu t’étais mis à crier, alors seulement tu avais crié.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 septembre 2009
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