outils du roman | 2, de comment se trouver des idées de roman

les outils du roman, cela suppose une idée de roman, non ?



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 les contributions reçues

 

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« Pour écrire, il faut déjà écrire », disait Blanchot.

 

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Je voulais revenir sur l’enjeu de ce cycle que je souhaite explorer avec vous : non pas des exercices qui constituent un texte ayant sa propre finalité, fonctionnant comme un texte bref, mais des fragments ouverts, qui seraient chacun autant de rouages d’un roman invisible, à constituer, ouvrir, développer.

 

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Paradoxe : c’est exactement la démarche inverse du principal procédé de constitution d’un roman (s’il y en a un, et non pas autant que de livres...), om on avance linéairement, et que chaque scène appelle sa propre technique.

 

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Mais pourquoi ne pas tenter : on aura rodé l’écriture chaque fois dans un comportement ou une posture spécifique par rapport à la narration, ou au réel lui-même. Si les fragments constitués se rejoignent progressivement dans une architecture, tant mieux (et ce sera le but de certains exercices). Mais s’ils sont seulement accumuler du texte et des formes, et que vous ayez tout cela à votre disposition pour s’embarquer sur une intuition. Cela aussi cela fera partie des exercices à venir : comment établir travail (càd relayer par une matière textuelle générant alors sa propre expansion) depuis une intuition minimum...

 

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Alors comment partir, sinon en se supposant fictivement en pleine écriture d’un livre, dont soudain, comme le pied nu parfait dans la masse indistincte à la fin du Chef d’oeuvre inconnu de Balzac (au format traitement de texte dans la zone abonnés) un rouage précis a émergé et nous appelle pour le réaliser.

 

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J’insiste sur cette notion de paradoxe, en regard de la phrase de Blanchot : nous convoquons ou décidons l’artefact d’un livre inconnu, invisible, en train de s’écrire. Et, par le fait de ne s’occuper que de technique narrative sur un rouage précis, l’écriture arbitraire de ces fragments peut justement contribuer à faire échouer le monstre sur la plage, à le rendre possible.

 

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Je suppose que pour celles et ceux qui sont déjà sur un ou des projets d’écriture, mes propositions ne paraîtront pas inaccessibles : on prend ce qui existe, on fait un zoom avec la proposition considérée comme microscope.

 

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Et si vous n’avez pas de projet préalable ? C’est bien légitime : l’atelier d’écriture a cette fonction de produire des contraintes qui éliminent ce marronnier de l’inspiration. On répète, de séance en séance, l’accumulation de textes, en essayant chaque fois de définir le territoire et les possibles que chacun induit. Il se produit progressivement une bascule, plus besoin de l’artefact atelier pour engendrer le récit.

 

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Alors comment s’y prendre ? Bien sûr, j’ai donné quelques clés : le fonctionnement de La promenade au phare de Virginia Woolf, le repas chez les Swann dans Proust (ou, dès les premières pages de la Recherche, le pas de Swann sur le gravier quand la famille termine son dîner). J’ai évoqué l’idée de passer par les lieux : ce que Perec fait dans Espèces d’espaces pour les chambres, ne peut-on le faire pour les lieux où on a mangé : et cafétérias, cantines, maisons d’enfance, occasions singulières, photos de famille avec pique-nique, choses graves dites sur une aire d’autoroute, le recensement même des lieux peut engendrer le récit.

 

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Par exemple, aussi, je suggère toujours à mes étudiants, avant de s’embarquer dans l’écriture, de prendre le temps de recenser ce dont ils se souviennent de scènes similaires non pas dans leur vécu, mais dans les livres. Mes propres divagations orales contribuent aussi à installer le temps de cette remémoration, et la susciter – l’animateur d’atelier est aussi manipulateur d’atelier, et en ligne... c’est plus difficile.

 

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Alors où aller chercher, en tant que telles, des idées de roman ? J’ai vénération pour ce carnet où Lovecraft, pendant 15 ans de sa vie, note ses propres pistes, certaines qu’il exploitera, d’autres pas, son Commonplace Book. Un autre de mes livres fétiches pour cette excitation très particulière, ce sont les Carnets de Henry James : depuis des scènes quotidiennes ou des histoires qu’on lui rapporte, élaborer les fictions possibles et en analyser les obstacles, les figures. J’aime aussi beaucoup, même centré sur la notion de personnage (on y reviendra), l’étonnant Abominable Tisonnier de John McTaggart et autres vies plus ou moins brèves, ou la question de comment bâtir le récit d’une vie à partir de documents sources accessibles est déclinée jusqu’à ses limites.

 

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Mais si vous vous contentiez de prendre les livres d’un auteur qui vous est cher ? Non pas chercher plusieurs livres d’auteurs différents sur un seul thème, mais de choisir un auteur qui compte pour vous, et de simplement mettre en ordre les différents thèmes qu’il a exploré livre après livre, faites-le sur 5 de ses livres et vous verrez... Il n’y a pas, de cette façon, ainsi pitché comme on dit dans l’édition et les affaires, un thème que vous ne puissiez pas constituer en fantôme de roman, mais de roman à vous, roman potentiel, à partir duquel l’exercice narratif proposé devient possible ?

 

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Je serais certainement capable, sans même me lever pour aller feuilleter les livres, de le faire pour Nathalie Sarraute, Michel Burot (Mobile), Jean Echenoz ou Jacques Serena, ou Koltès ou Thomas Bernhard... Ainsi, à prendre Pierre Bergounioux – plus simple parce que la jonction se fait, même si on reste dans roman et fiction, ce n’est jamais aussi simple qu’il nous le présente, même dans ses Carnets –, de constituer des phrases toutes simples à partir du souvenir livre, et on aura « rituel annuel précis de la visite aux tombes côté maternel à la Toussaint » (La Toussaint), « échappée de quatre adolescents un samedi soir de Brive à Paris pour aller voir un concert de rock, dans une DS19 empruntée sans autorisation » (L’Arbre sur la rivière), « inventaire précis des lieux semi-publics, bibliothèque, conservatoire, salle des fêtes, et privés, commerces, boucherie, photographe, station-service dans la ville de l’enfance » (La mort de Brune), « discussions d’un samedi soir vide avec les quelques élèves qui restent à l’internat de prépa » (La mue), ou « enquête sur un personnage aperçu quinze secondes il y a vingt-cinq ans » (Miette) et ainsi de suite : la compression vaut pour transposition et appropriation.

 

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Il ne s’agit donc surtout pas d’imaginer un roman et de se mettre à l’écrire morceau par morceau avec chacune des propositions qui viennent. Il s’agit de se donner l’horizon intérieur du roman éventuellement possible pour que soit autorisée et possible l’écriture de chacune des propositions, sans se poser la question de la relation du fragment au tout. Le pari : que si on est capable de ce franchissement-là, ouvrir dans l’horizon invisible du texte un roman possible, alors l’écriture de chaque proposition devient possible, et fort probablement leur accumulation définira un objet textuel neul.

 

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On est au début d’un voyage qui va compter pour moi, parce que laboratoire de ce que je dois avoir en état de marche à la rentrée prochaine. Là on construit le territoire. Et même, allons plus loin : cette liste d’idées brèves de romans potentiels, portés par une nécessité personnelle, c’est aussi une proposition d’écriture, et si chacun en envoie 5 ou 6 des ces idées de roman en deux lignes par mail, quel paysage cela créerait... Et, pour finir, penser comment ces listes d’ouvrages imaginaires font aussi partie de notre littérature, depuis la librairie Sainct-Victor du Pantagruel de Rabelais (cf ressources complémentaires).


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 juin 2014
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