de l’usage des cercueils dits assis

réaction à un interdit préfectoral, pour la tribune libre d’Actualités Poitou Charente


C’est toujours une tentation, pour un écrivain, de bavarder sur les affaires du monde. Elles vous arrivent par le langage, vous manipulez du langage, on ouvre les petites vannes des mots de tous les jours : mais ceux qui décident des affaires du monde ne se préoccupent pas de langage.

C’est aussi comme un ressac : cela vous concerne, vous pensez, puisque c’est votre pays, que cela — qui devant vous s’applique aux autres — pourrait aussi s’appliquer à vous-même.

Et donc, cette affaire, en Poitou-Vendée, des cercueils où s’asseoir. On pourrait considérer qu’il ne s’agit que d’affaire privée. Le commerce funéraire est florissant, mais sans cette industrie-là, que deviendraient les villes, que deviendraient la mémoire et le deuil ? Les hôpitaux ont leurs chambres funéraires, les villes ont leurs réceptacles à morts, et transit de la mort. Les grandes enseignes de commerce produisent ces services tout compris, incluant formalités, mise en terre, monuments. Il y a toujours eu, et depuis la grande antiquité des hommes, ces rituels pour l’éloignement du corps.

On peut rire (j’avais ri), du catalogue de cette prestigieuse usine près de Niort, proposant selon classe et statut social toutes variétés pour le meuble funéraire, chêne, peluche et poignées en bronze, si loin de ce que fabriquait, dans chaque grande ville jusqu’à il y a peu (qu’on se souvienne de la grande fabrique à cercueils du 104 rue d’Aubervilliers à Paris, et ses écuries souterraines, ses cours pavées : tout cela, maintenant, appelé à devenir théâtre), le service municipal de cercueils pauvres.

Il y a eu des civilisations, on les connaît par assez de momies, où le mort est déposé dans sa dernière alvéole replié dans cette position fœtale qui est celle par laquelle la vie commence. Le mort est nu (rarement) ou paré (le plus souvent) : qui aurait prétendu ici à de l’illicite ? Et dans notre pays même, Clémenceau, homme de guerre, homme d’état, a souhaité se faire enterrer debout : bien des gens se rendent sur sa tombe uniquement peut-être pour cette rareté-là. On en aurait gagné, de la place, dans les cimetières, à déposer verticalement les morts.

Ainsi, donc, ces cercueils à position dite assise : qu’a-t-on de si lourd à leur reprocher ? Vous êtes assis pour manger, et il n’y a plus de banquet. Mais vous êtes assis pour la conversation, pour l’étude. Telle célèbre statue d’homme qui pense, l’auriez-vous conçue couchée ? Voilà que le corps, pour son dernier repos, reste à l’éveil de ce qu’il a devant lui, et non dessus : que la religion n’y trouve pas son compte, d’accord. Moi je pense que les religions, toutes les religions, occupent encore bien trop de place dans les pratiques de l’espèce et lui sont néfastes. Le corps s’en va assis dans l’éternité (provisoire : ce n’est pas cela qui l’empêche de revenir à la poussière) dans cette position de l’accueil, qui est celle de la conversation, de l’étude.

Ces cercueils soudain se proposaient en matière plastique : assez, des arbres sciés en planche pour l’inutilité de ces boîtes à poussière. Un ovoïde qu’on déposait dans l’emboîtement superposable des caveaux. On n’aurait pas supposé, certes, que ces modèles auraient si vite succès : parce que l’idée qu’on reste un peu quelque chose après la fin biologique est si tenace ou ancrée ? Pour une marque d’originalité, et que ces gens-là, dans les ovoïdes, se seraient presque vus encore un téléphone à l’oreille, un écran d’ordinateur devant les yeux ? Le modèle luxe de l’usine de Niort était parfaitement ridicule, j’en conviens, de proposer ces parois intérieures moulées à l’image de ces objets fétiches de l’époque, renouvelables tous les dix ans ou même moins.

Mais qu’on décide de s’opposer administrativement à la vente et la diffusion des cercueils dits ovoïdes, ou cercueils à position assise, moi je dis, en tant qu’écrivain de cette région, qu’on prend un mauvais chemin. Que le préfet de Vendée, appuyé par son vice-président de région, décide par décret que la vente et l’usage de ces cercueils soit interdit dans son département (mais autorisé dans la commune limitrophe), je prétends qu’on n’affronte pas sur le fond les questions posées par le produit lui-même, et l’appel au nécessaire renouvellement de nos pratiques funéraires.

L’usine de Niort a beau jeu de rétorquer que, dès à présent, ses fameux ovoïdes colorés (on les commande à distance, par une palette graphique proposée sur le site Internet du fabricant) sont massivement exportés en Amérique du Sud, en Suisse (et pourquoi, la Suisse ?), et jusque dans certaines régions d’Asie : ici même, dans notre région, l’interdiction confinée à un seul département n’en est que plus mesquine et infondée.

Je ne le dis pas en tant qu’écrivain, je le dis en tant que citoyen : en tant que mortel.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 juillet 2006
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