souci de la beauté

dossier rassemblé par Jean-Paul Goux dans le Nouveau Recueil


Soit par exemple l’approche de Jean-Christophe Bailly :

façon fin de règne encore lumineuse,
façon de crépuscule luminescent,
une sonate de lucioles ou de grains de riz par poignées dans des gerbes de lumi !re,
les temps des verbes avalés ensemble dans l’hypothèse d’un maximum des flux,
tout se conduisant comme un simple et long panoramique
unique séquence bande-son roulant versée, ce serait
encore dirait-on comme une peau tatouée par le sens
l’empreinte venant de l’intérieur

Soit la version proposée par Antoine Emaz (que Recueil s’obstine à orthographier Émaz) :

Finalement, dans mon travail, je ne mets pas la beauté au centre ; elle n’est qu’un effet secondaire d’un souci plus profond que, faute de mieux, j’appellerai l’exactitude. C’est elle que je cherche d’abord : une sorte de musique de tête, nette, aussi impeccable que possible, au plus près de l’émotion qui a généré le poème. Ce travail sur la justesse est différent à chaque fois, mais but reste le même, comme lorsqu’on accorde un instrument. Il s’agit, en tâtonnant, d’arriver à ce que l’ensemble du poème sonne le plus net possible dans son ordre. Ce n’est sans doute pas très satisfaisant d’un point de vue théorique ; cela laisse trop de place à l’intuition et au savoir faire, mais toujours considéré ma poésie comme une pratique que la pensée seconde, et non l’inverse.

Soit la « boîte à outils » ouverte par Olivier Rolin :

Je ne vois pas pourquoi écrire si ce n’est en effet pour arriver à e la beauté avec les mots. Il s’agit de savoir si la littérature est un divertissement, un rite social, ou bien un art : l’art des mots. Raconter des histoires, transmettre des idées, témoigner, des tas d’institutions bavardes s’occupent de ça, les grands-mères (du temps au moins qu’elles savaient « raconter des histoires »), l’université, les médias, le cinéma, même les partis politiques. Tramer de la beauté avec les mots, en revanche, est proprement l’objet de la littérature. Seulement on ne sait pas du tout en quoi consiste cette « beauté » verbale. On cherche à tâtons, obstinément, quelque chose qu’on ne connaît pas, ou plutôt : quelque chose qu’on a souvent éprouvé, lecteur (et alors cela donne envie d’interrompre sa lecture pour se lever et tourner en rond en répétant, en ressassant la phrase qui vous a balancé comme une décharge électrique), mais que pour autant on ne sait pas définir.

Soit la question initiale proposée par Jean-Paul Goux :

La Beauté est le mot — dont nous ne faisons plus usage parce que ses vieux usages nous incommodent — qui désigne ce qui nous préoccupe quand nous oeuvrons, ce pour quoi et contre quoi nous nous acharnons ; le mot qui désigne la chose sans nom, qui n’est jamais donnée quand nous oeuvrons, ce que nous cherchons sans savoir ce qu’il est, ce pour quoi nous renonçons à ceci ou cela, ce qui nous fait entendre, ajuster, reprendre, hésiter, rejeter, abandonner ; le nom que nous ne donnons pas à ce que nous ne savons pas nommer d’un mot unique parce que c’est tant de choses à la fois mais non pas toujours et en même temps, et tant de choses que nous n’éprouvons jamais le besoin de nommer quand nous nous y acharnons : la nécessité intérieure, l’expérience du temps, la durée et la réversibilité du temps, l’expérience de l’espace, la force, l’énergie, l’allant, le flux, le réel et l’imaginaire, le rythme et le mouvement de la syntaxe, la voix rendue présente, la justesse du ton, l’exactitude et la précision, la liaison de l’ensemble et du détail, le « tout se tient », le « d’un seul tenant », la consistance, l’unité et la totalité, le continu...

Ces trois extraits parmi une dizaine de contributions, dans le dossier rassemblé par Jean-Paul Goux pour Recueil n° 80. La lettre de Jean-Paul, elle est restée deux mois sur ma table, en évidence : y répondre, il fallait. Je l’ai brassée et rebrassée, cette réponse, mais pas trouvé l’entrée. Je trouve cependant mon content aux trois interventions citées, Rolin, Emaz, Bailly... Je ne sais pas, toujours pas. Ou bien parce que c’est plus loin que la phrase, dans ce qui lui échappe, et que le réel même a apauvri : Un éclair, puis la nuit. Fugitive beauté / Dont le regard m’a fait soudainement renaître...

D’ailleurs, le mot est absent de l’étude sensible et profonde, vingt-cinq pages de la revue, que Jean-Paul Goux tisse sur un lieu très sombre de beauté : le Carnet de notes de Bergounioux. Beauté aussi de ce geste, l’hommage ?

Recueil, en librairie ou sur le site des éditions Champ Vallon.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 septembre 2006
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