Comment le livre vit
aux Cahiers de Colette
par François Bon (texte) et Dominique Hasselmann (photos et entretien)

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Il n'y aurait pas d'exercice possible de la littérature en ce pays, sans eux, les libraires. D'où le fait que sur remue.net on vous informe systématiquement de leurs sites, animations, débats...
Une chaîne complice et forte se crée avec les années, les parcours, les lectures, avec dans chaque ville comme un havre d'amitié. Quelquefois, ça dure du premier livre jusqu'au jour d'aujourd'hui.
Et c'est pareil dans Paris, même si, quand on y passe, nous les provinciaux, selon ce qu'on cherche on préférera tel rayonnage secret d'une vieille maison...
Les librairies contemporaines tiennent de l'agora. Les services qu'on se rend, les avis qu'on prend, les bruits qui se propagent (tiens, all / ein, de Gérard Haller, mis en place à 200 exemplaires...).
Et puis le fait aussi que les libraires établis en forment de plus jeunes, qu'on retrouvera ensuite à Lille ou Clermont-Ferrand, ou dans l'étage musique du Virgin où on s'encanaille pour surveiller la bibliographie rock.
Colette Kerber n'est pas seule, dans Paris, à incarner ce rôle. Mais elle en est des plus remarquables. C'est qu'il n'y a guère de jours aussi qu'on sorte un livre, qu'elle ne vous convoque "Quand donc, tu viens signer?" Et signer chez Colette c'est un rituel, parce que les gens qui viennent c'est le bistrot d'en face ("Au Bouledogue"), ou le marchand de fruits et légumes. Mais il y a les amis de passage, parce que tout le monde connaît l'adresse. Ou les écrivains qui vivent dans le quartier, comme l'éminent Youssef Ishagpour. On reste debout, mais en trois heures on n'arrêtera pas, parler, entendre. C'est une boîte aux lettres, aussi, Colette : "Tu verras untel samedi, tu peux lui donner ça?" Ou bien, si on a un livre à donner à quelqu'un: "Passe chez Colette, dis que tu viens de ma part."
La dernière fois, je devais faire un petit sujet télé, on m'a suggéré que ce serait bien de le faire dans une librairie. J'ai téléphoné à Colette, le rendez-vous était pour le lundi matin à 10h : elle n'a même pas dit que la librairie était fermée le lundi: "Prends les clés, et quand tu auras fini, tu les donnes au Bouledogue..." Et voilà, j'étais patron de librairie, je me souviens, je me suis même acheté un livre, rien que pour voir...
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Cette image-là, tout le monde connaît, c'est l'arrière de Beaubourg. En face, il y a la rue Rambuteau, 50 mètres et c'est là.

L'art et la signature d'un libraire, c'est dès la vitrine : cette semaine, l'hommage à Benny Levy... Certainement pas un des temples pour "livres en pile", plutôt une caverne, une grotte à trésors, même "agrandie", ça reste une des librairies les plus petites et les plus riches pourtant: l'art du stock.


Colette Kerber ne quitte pas beaucoup son bureau à l'entrée de la librairie: près de la porte, rien de la rue Rambuteau ne lui est balzaciennement étranger. Noter le téléphone : connu dans toute l'édition... Ecrivain c'est plutôt un boulot de timide ou de silencieux, ici on a le verbe parisien, on ne mâche pas forcément ce qu'on pense (voir entretien ci-dessous). Colette Kerber a reçu la semaine dernière la Légion d'honneur des mains du ministre de la culture, qui la lui a remise dans la librairie elle-même... Le plus intimidé des deux n'aura peut-être pas été celle qu'on pense.


Une librairie, c'est une équipe. Il y a Paule, et on a toujours des tas de choses à se dire. Qu'on demande une référence étrange, bizarre ou imprécise à Colette, la réponse de Paule vient déjà depuis le fond du magasin. Mais la célébrité, c'est le grand panneau de photographies d'auteur. Les places y sont rares. On la mérite, sa photo. J'ai la chance d'y être depuis longtemps (enfin, j'espère y être encore). En cliquant sur la photo, vous l'aurez de plus près, le grand panneau. Daeninckx a des moustaches, Echenoz n'en a pas. L'inconnu sous René Char s'appelle Samuel Beckett, et l'inconnu au-dessus de Samuel Beckett s'appelle René Char.


on reproduit la carte de fidélité, à cause de l'adresse !

propos de Colette, recueillis par Dominique Hasselmann, le mardi 28 octobre 2003

- Création de la librairie « Les Cahiers de Colette » : 2 janvier 1986, 28, rue Rambuteau, Paris, 4e, sur le trottoir opposé. Colette Kerber rachète la boutique de mode à côté et ouvre sa librairie « agrandie » le 25 août 2003, au N°23-25.

- Légion d’honneur (elle ne l’a pas avec elle, donc pas de gros plan possible !) : elle est chevalier, pourquoi pas « cavalière » ? « J’ai horreur des féminins donnés à des mots comme écrivain, qui devient écrivaine, ou auteur, qui devient auteure. C’est ce que j’appelle des arlequinades d’agrégés ! »

- Conception du métier de libraire : « Avant tout, un passeur ! Pas une passeuse ou une repasseuse. Et j’ai horreur des librairies qui mettent des stickers imprimés du genre « Recommandé par la librairie Untel ». Je préfère conseiller moi-même… »

- Concurrence des « grandes surfaces » du livre : « Tant que les libraires sont protégés par la loi de 1982 sur le prix unique du livre, c’est bien. Le ministre français de la culture et son homologue allemand vont d’ailleurs essayer d’établir ce système sur le plan européen. »

- Stratégie de vente : « Ce sont d’abord des coups de cœur ! Ensuite il y a les jeunes auteurs, les valeurs sûres, les livres qu’il faut avoir… »

- Prix littéraires : « Pas terribles cette année, jusqu’à présent. Le Goncourt aurait dû être décerné à un écrivain neuf, et ne pas se livrer à ce petit jeu d’annonce anticipée qui le déconsidère. Ils ont raté l’occasion du centenaire. Pour le Femina, Philippe Claudel a tout fait pour être dans l’air du temps, c’est un très bon écrivain, mais son livre était trop visiblement préparé, et il a échoué. »

- Fidélisation de la clientèle : « Vous voyez, je donne des cartes de fidélité, qui offrent une remise de 5 %, mais je ne fiche pas mes clients ! »

- Signatures : « A la fin du mois, nous aurons Amos Gitai. D’autres écrivains l’ont précédé, d’autres suivront. »

- Site Internet : « J’ai juste une adresse Internet, mais disposer d’un site spécifique, comme certaines librairies, demande toute une logistique, des spécialistes, un suivi permanent, et ça coûte très cher… »

- Jean-Jacques Aillagon client : « Il venait tous les dimanches matin quand il était directeur du centre Pompidou. C’est quelqu’un de très cultivé, qui aime beaucoup la littérature moderne. »

- Envie d’être éditeur (et non éditrice !) : « Je me suis lancée dans la librairie avec le désir originel d’être éditeur. Mais je me suis prise au jeu et j’ai attrapé le virus de la librairie ! Un éditeur n’a pas, comme un libraire, le contact direct et irremplaçable avec le lecteur. Et puis un éditeur se focalise sur ses propres éditions, alors qu’un libraire touche forcément à tout… »

- Fréquentation : « Contrairement à ce qu’a écrit Le Nouvel Observateur, je n’ai pas un public « d’intellos », mais, vous l’avez constaté vous-même, une clientèle de quartier, de provinciaux, de touristes étrangers. Beaucoup d’Italiens d’ailleurs (et qui sont, eux, des « intellos » !) et aussi des Asiatiques, surtout intéressés par les livres pour enfants, comme « Le Petit Prince », sans doute à cause de la clarté des dessins. »

 

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