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dictionnaire | beau

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beau


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Du beau en littérature : l’article s’annonce difficile. Je sais le définir pour peindre. Encore que, mais au moins le souvenir de comment Jean-François Lyotard, à Paris 8 Saint-Denis en 1981, nous racontait Kant ; éprouvant que c’est beau, j’en appelle à une troisième personne, lui désigne la toile et lui dis « C’est beau ». Pour un ciel ou une mécanique, je n’hésite pas. En littérature, par contre, je ne sais pas. Il y a dans Rabelais des passages que je trouve littéralement magiques, et qui me produisent, mais sur l’espace d’une phrase, ou d’un ensemble de phrases, cette impression absolue, et absolument nécessaire, de beauté. C’est un sentiment très rare. C’est ce qui me ramène toujours à Racine. Je sais aussi l’éprouver chez Bossuet. Chez Balzac non, et pourtant je reviens toujours à Balzac. Quand Flaubert fait de l’admirable, je reconnais que c’est beau, mais ce n’est pas ce qui me trouble chez lui. Dans Proust, des pages sont admirables (les trois arbres, l’atelier d’Elstir, la cour de Guermantes) et de cette notion d’un admirable on s’incline sur le fait que cela passe par cette possible beauté radicale d’un fragment de la Recherche. Pour autant, c’est un ensemble de scintillements dans une nuit sidérante et immense, et ce qui me relie à Proust c’est cette nuit qu’est la Recherche, plutôt que le beau de certains passages (ajouter la séquence poiriers en fleurs, ajouter la petite phrase de la sonate de Vinteuil). La beauté dans Baudelaire est lourde, rythmique, hypnotique : c’est cette bascule en déport dans les assonances de l’alexandrin (« Vous êtes un ciel d’automne, clair et rose... ») que j’identifie à ce beau absolu de la langue, mais il est dans cet effet produit, qui soulève l’entièreté de la langue en avant du vers. Dans Mallarmé le beau est plus simple à distinguer : Crise de vers est beau en chaque mot, mais je le mets moins haut que Baudelaire — tout en me révoltant aussitôt par le fait que ça n’a rien à voir. Dans la bascule des années 70/80, quand je me suis constitué dans ou par la littérature, des auteurs de la revue Digraphe, à peine plus âgés que moi, en appelaient au lyrisme pour des récits qui tranchaient sur le contemporain justement par ces nappes de beau, je pense à Jean-Paul Goux ou Philippe de la Genardière. Depuis quarante ans de travail, ça resterait en avant de moi, but ou chemin. Mais justement : comme si le matériau de ma propre entreprise littéraire (matériau, le mot comme dans cette phrase emblématique de Proust sur Flaubert : « Mais nous les aimons, ces lourds matériaux que la phrase de Flaubert soulève et laisse retomber avec le bruit intermittent d’un excavateur »...) était ce qu’il y avait en permanence à déblayer, inventorier, ranger pour que ce beau reste perceptible en avant, mais donc hors du livre. Comme si c’était non pas exceptionnel, mais un atout presque superfétatoire, par rapport à l’importance du livre (présent dans La mort de Virgile, beaucoup plus rude et à vous écorcher chez Collobert). Je sais désigner, d’un livre contemporain, en quoi il présente une singularité, quels enjeux dont il traite me concerne, l’importance ou pas de l’adjoindre à notre bibliothèque intérieure de phrases, formes, défis, mais je ne saurais pas faire mienne cette question que Kant fait adresser à une autre personne, quand on ressort le nez du bouquin, dans cette mécanique que Lyotard mettait en avant ; — C’est beau ?

entrée proposée par FB

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La Beauté laisse coi, avec des quoi et des pourquoi. Mais très vite la pensée se ressaisit, se dessaisit et se pose la question de l’éphémère, de l’effet délétère de sa disparition. Avec l’image et l’écrit, ou mieux la présence vivante, je peux revenir pour contempler, pour relativiser l’impact ou le rendre encore plus agréable. Ce n’est pas un compagnonnage stable et il se nourrit d’inattendus bien que la recherche de beauté dans la vie ou dans les livres obéisse à un besoin d’harmonie et de plénitude sensorielle et intellectuelle. Intervient au premier chef ma subjectivité, l’étroitesse de ma culture, le sentiment d’impuissance devant le caractère élitiste pour l’accès à certains biens culturels en dehors des institutions et des prescriptions dominantes. Je ne lis pas les classiques, ce sont des souvenirs lointains, je lis les contemporains, les contemporaines en priorité avec le sentiment que la beauté de certaines écritures est encore complètement ignorée du plus grand public au profit des grandes signatures masculines. Ce n’est pas beau de dire cela et pourtant je le pense, mais cela ne suffit pas, il convient d’éviter la laideur des polémiques et des quotas, il serait préférable de prouver que quelque chose bouge dans ma perception d’une beauté d’écriture qui ne soit pas formelle, bornée, ni circonscrite à une préférence personnelle trop fermée. N’empêche, la beauté inaccessible m’attire et elle m’inquiète aussi, car je la sais infidèle, parfois cruelle, et mal répartie dans mes temps de lecture. La réception de la beauté n’est pas automatique, elle demande un effort, ce que Bernard Noël appelait une nécessité de lutter contre la « saturation du sens », des sens également. On lit avec tout le corps et il rejette ce qui l’indispose. Il y a pour moi une part animale dans la lecture et la manifestation de réactions instinctives que les neurosciences tentent de décrypter avec quelques fanfaronnades de simplification. Mon corps sait où la beauté me cueille et le plus étonnant sera peut-être que je n’en ferai pas autre chose que de la laisser filer, non sans l’avoir saluée. La beauté est immatérielle et c’est cela qui me console le plus, et malgré les spéculations boursières, elle n’appartient à personne puisqu’elle peut surgir partout et depuis toujours. Je pourrais citer des noms, des titres de livres, mais « nommer » n’est pas démontrer ce que ça représente vraiment dans l’instant où je suis confrontée à ce moment de grâce, ce moment sacré où la beauté me saute au visage, faisant battre mon coeur beaucoup trop indiscrètement. La beauté est une intimité qui ne se laisse pas apprivoiser facilement, cela me rend modeste et sans velléité d’appropriation. Voir passer la Beauté, fatale ou non, en silence, la ramasser et la perdre comme un petit Bonheur dans la chanson de Félix Leclerc, cueillir à chaud la beauté tangible ou proportionnelle à la force de l’imagination. Fabriquer de la Beauté dans une relation interpersonnelle et la partager dans les livres ou ailleurs. Ne pas transiger avec sa nécessité et sa valeur humanisante en résonance avec la Beauté de la Nature non trafiquée. Ne pas céder de terrain à la laideur toujours récidivante. Beau comme ce que nous ... en somme, nous sommes sans le savoir... Beau comme... ce que vous voudrez... La beauté ne parle pas, est-ce pour cela qu’on la harcèle de questions ? Dans un livre pourtant, elle reste impassible.

entrée proposée par Marie-Thérèse Peyrin


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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 avril 2021.
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