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dictionnaire | fragment.s

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fragment.s


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La forme courte est une voie de secours pour moi, à qui le temps d’écriture est compté. Deux heures pas plus, tôt le matin, avant de partir au boulot : difficile de se plonger dans un roman. Dans ma pratique, un fragment est un texte d’environ deux mille cinq-cents signes qui tient seul, a son existence propre et peut être publié sur un blog ou Facebook. Mais ce fragment constituera une partie du tout qui se construit peu à peu au fil des jours. Ces textes brefs que j’écris en une, deux ou trois périodes d’écriture matinale sont à la fois des traces d’une temporalité contrainte et brisée (j’écris l’œil sur la montre), et
des éléments d’un ensemble dont l’aspect général n’est pas prédéterminé mais apparaît, se recompose, se transforme au gré des apports de fragments particuliers. Ces écrits quotidiens ne sont pas des chroniques (pourquoi pas mais c’est autre chose). Ils peuvent être rassemblés dans un recueil. Mais aussi devenir des nœuds, des points d’accroche, pour bâtir un texte plus long quand la disponibilité le permet : l’écriture devra inventer les chemins qui conduisent d’un fragment l’autre, fabriquer les sutures, élaborer un rythme, composer un
tableau à partir de ces pièces plus abouties que des esquisses ou des
notes. Ainsi conçus les fragments ne sont pas des morceaux détachés
d’un texte qui les englobe (des extraits), mais à l’inverse des îlots cartographiés d’un archipel encore terra incognita.

entrée proposée par Juliette Keating

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Juliette Keating est très précise quant aux standards du fragment, question que je ne me suis jamais vraiment posée. Pour moi, le fragment n’existe pas tant comme format précis que comme entité de texte futile, c’est-à-dire presque trop fragile pour tenir toute seule. Et c’est en cela qu’il m’intéresse, le fragment, et quand j’ai écrit « futile », j’ai aussitôt ressenti le besoin d’écrire plutôt « fragile ». Le fragment tient pour moi dans les espaces littéraires comme nous tenons finalement dans nos vies en tant que fragments d’humanité. Foin de l’illusion romanesque ! C’est justement la fois où j’ai voulu saisir la vie humaine par la question la plus vaste que je me sois posée, du passage de la vie à la mort, que je me suis paradoxalement mis à écrire des fragments, que des fragments, une centaine de morts annoncées tenant en cent fragments de deux pages qui s’appellent collectivement Microfûmes.

entrée proposée par Philippe Sahuc Saüc

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Une sorte de vénération pour les livres qui d’emblée se présentent sous forme de fragments. Comme si l’espace blanc ou le fossé qui les séparait était le mystère par où on peut s’attraper soi. Exercice de haute volée pourtant, sinon ce seraient tous les livres fragments qu’on entasserait dans une bibliothèque spécifique. On a aussi l’archéologie, ceux qui écrivaient fragments sans le savoir : Fusées et Mon coeur mis à nu de Baudelaire, dans leur inégalité même, les lire comme cette part si haute et restreinte de la bibliothèque où sont les fragments. Par exemple Le pas au delà de Blanchot (et son Écriture du désastre mais l’impression qu’il va plus large, ou plus loin, dans le premier. Si je reviens si souvent à Edmond Jabès, que je peux l’ouvrir en tous points, c’est parce que je sais que l’arborescence ou le déploiement des fragments n’a pas de vraie limite, se refait en chaque point. Ce n’est pas lié non plus à la dimension restreinte ou non du texte : je lis Sens unique de Walter Benjamin comme livre fragments, alors que les séquences y sont parfois longues. Je lis Nathalie Sarraute (je pense à Enfance plus qu’à Tropismes comme livre fragments, et idem à se promener infiniment dans le Journal de Kafka, mais Michaux, y compris dans Poteaux d’angle, avec cette aura des derniers livres, et un statut dominant du fragment (peut-être, à la différence d’autres constructions siennes, parce qu’ils se déploient comme nappes, et non collection ou accumulation temporelle ?), c’est un ode fragmenté de fiction, et non pas cette solitude isolée du fragment par quoi j’en définirais la forme. J’utilise souvent le fragment comme principe d’écriture : pour les textes qui doivent être dits à l’oral, en colloques par exemple, parce que lire une arborescence de textes très brefs évite d’en produire la rhétorique. Souvent aussi pour textes en revue ou autre commande : j’ai monté un modèle Word ou la ligne blanche qui les sépare sera numérotée, je peux en déplacer l’ordre ou en insérer de nouveaux sans avoir à tout refaire. Mais c’est une béquille d’écriture, une manière narrative qui m’aide là encore comme écart à la continuité rhétorique, mais rien de ce mystère qui continue de me frapper avec une telle évidence partout dans Jabès.

entrée proposée par FB


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1ère mise en ligne 11 avril 2021 et dernière modification le 29 juin 2021.
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