Sébastien Rongier | le regard oblique de Pierre Huygue

tunnels forés dans la fabrique des films qui disent la fabrique des films : Cinématière, de Sébastien Rongier, chez Klincksieck


lectures à la lampe de poche, série

 

Voilà un livre important. Non pas un livre qui parle cinéma (il ne fait que ça), non pas un livre qui parle récit, réel, fiction, littérature (il ne fait que ça), mais une exploration à tâtons, un film après l’autre, de ceux qui vont aux limites, et poussent une voie inexplorée dans un territoire qui n’a plus rien de la projection frontale, l’écran par quoi tout commence ou finit pourtant. Ainsi, les dispositifs eux-mêmes, quand on installe la représentation cinématographique. Mais les distorsions du temps. Ailleurs, c’est non pas la sempiternelle scie des films reprenant des oeuvres littéraires, mais bien le contraire : si le film est élément-clé de notre réel (nos pratiques, comme des représentations que nous en forgeons), alors il est aussi matière littéraire. Mais il y importe son cadre, son mouvement, sa communauté et ses usages de parole. On ne s’étonnera pas alors de retrouver pour la première fois dans un livre d’esthétique ce qu’il y a de dérangeant (et que nous n’avions pas pour autant identifié comme tel) dans les techniques narratives de Claro. Ou un chapitre qui renverse littéralement l’apparente simplicité du dispositif de Tanguy Viel dans Cinéma, où le narrateur visionne obsessivement le Limier de Mankiewicz, le livre devenant une sorte de dépli en temps réel du film [1]. Duras, Koltès après Beckett et d’autres ont posé les premières bornes de ce territoire pleinement fiction, mais où la fiction passe par la représentation intérieure d’un film devenu objet du roman. Dans ce travail – dans quelle euphorie il a dû être parfois à construire ces chemins le premier – Sébastien Rongier s’appuie nécessairement sur quelques figures clé : Hitchcock par exemple, et ce qu’il a induit de remakes. Mais aussi trois explorations fascinantes de l’oeuvre de Pierre Huyghe, dont le très complexe Third Memory, et L’ellipse, où Huyghe demande à l’acteur Bruno Ganz, 20 ans après le tournage, d’accomplir dans Paris un trajet, le déplacement nécessaire du personnage qu’il jouait dans deux scènes successives de Wenders. C’est ce passage que j’ai choisi de lire (11’, mais c’est pleinement écriture, extraordinaire de précision) à cause de ces objets même qu’on analyse tour à tour comme de nous faire entrer dans le film même, chaque fois largement inconnus, objets à la fois visuels et logiques ? Il y a longtemps qu’un livre théorique ne m’avait pas fait cette sensation d’un éveilleur d’imaginaire, l’idée, à chaque exemple proposé, que ça aurait fait une sacrée fiction littérature...


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 Cinématière sur le site de son auteur, Sébastien Rongier ;
 Cinématière sur le site de son éditeur, Klincksieck
 photo haut de page : Bruno Ganz dans L’Ellipse, DR.

[1J’en profite pour signaler cette série de conférences en cours du Tang’ : Icebergs, en audio intégral depuis la librairie Les Temps Modernes à Orléans, initiative Ciclic|Livre au Centre.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 21 mars 2015
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