Baudelaire | derniers domiciles connus (et les autres aussi)

la suite des adresses parisiennes de Baudelaire, un poème en soi ?


Pour tous les baudelairiens, le nom de Claude Pichois est omniprésent : l’édition Corti des Fleurs du mal, la biographie Fayard qui continue de faire référence, et tout un écosystème de publications complémentaires, dont les dessins de Baudelaire et, aux éditions du Lérot en 2002, avec Jean-Paul Avice, un « dictionnaire » qui ne quitte jamais les environs immédiats de mon bureau, une vraie mine. Et respect qui redouble puisque c’est aussi lui l’éditeur des 3 tomes de Nerval en Pléiade.

Ci-dessous un document qui, à ma connaissance, n’existe que dans cet indispensable dictionnaire : la liste exhaustive des domiciles de Charles Baudelaire, jusqu’à sa mort à 46 ans.

Et la vidéo ci-dessus pour vous proposer de vous en saisir. Version imprimable (Word) à télécharger ici :

 

dictionnaire Baudelaire | domiciles


Domiciles.

La note de Mon cœur mis à nu (XXI, 36) est célèbre : « Étude de la grande Maladie de l’horreur du Domicile. Raisons de la Maladie. Accroissement progressif de la Maladie. » On s’interroge plus loin sur les raisons. La maladie est certaine. Mais son accroissement, peut-être encore contemporain de la note, disparaît à la fin de 1859, alors qu’en février, séjournant chez sa mère à Honfleur, il a encore écrit à Henri Cantel son « horreur d’un domicile quelconque ».

Il a vécu dans sa maison natale, 13, rue Hautefeuille, jusqu’après la mort de son père, survenue le 10 février 1827. Avec sa mère et son demi-frère, il habitera le 52, puis le 22 de la rue Saint-André-des-Arts (nous indiquons les numéros et les noms actuels). L’été de 1827, Charles le passe avec sa mère dans une petite maison de Neuilly proche de la Seine. De 1828 à 1831, avec sa mère qui a épousé Aupick, il habite 17, rue du Bac. Il est pensionnaire à Lyon de 1832 à 1836. En mars 1836, son beau-père ayant été nommé à Paris, il regagne la capitale et sera pensionnaire au collège Louis-le-Grand. Après son renvoi (18 avril 1839), il est en pension chez les Lasègue, 22, rue du Vieux-Colombier. On ne sait où il loge ensuite. De juin 1841 à février 1842, il vogue sur les océans. De retour, on le trouve 22, quai de Béthune. En avril 1843, il est rue Vaneau, avant de regagner son île : 15, quai d’Anjou (juin-août 1843), le temps de s’installer dans l’immeuble voisin : l’hôtel de Lauzun (hôtel Pimodan) où il reste de l’automne 1843 à l’automne de 1845. Le 30 juin 1845, il a tenté de se donner la mort et sera soigné chez ses parents, à l’Hôtel de la Place, 7, place Vendôme, avant de revenir quai d’Anjou. La période un brin fastueuse de sa jeunesse est terminée : les domiciles se succèdent à une cadence accélérée : hôtel de Dunkerque, 32, rue Laffitte (automne de 1845 ?) ; 24, rue de Provence (début de 1846) ; 33, rue Lamartine (printemps de 1846) ; 7, rue de Tournon (décembre 1846) ; 68, rue de Babylone (décembre 1847) ; à Neuilly, 18, avenue du Général-de-Gaulle (alors, 21 avenue de la République, août 1848), puis au n° 95 (du début de mai 1850 au 10 juillet 1851). Retour à Paris à la mi-juillet 1851 et jusqu’au début d’avril 1852 : 25, rue des Marais-du-Temple. 11, boulevard Bonne-Nouvelle (5 juillet 1852). Dans un garni, 60, rue Pigalle, d’octobre 1852 jusqu’au début de 1854. Hôtel d’York (qui n’était pas le luxueux « Baudelaire Opéra »), 61, rue Sainte-Anne. Mais il regagne rapidement la rue Pigalle. En mai 1854, il s’installe à l’hôtel du Maroc, 57, rue de Seine. Il y est encore le 3 mars 1855. Hôtel de Normandie, 13, rue Radziwill (alors rue Neuve-des-Bons-Enfants), où il aurait pu rencontrer Nerval. Retour rue de Seine, mais au n° 27 (juillet-août 1855). 18, rue Jean-Pierre-Timbaud (alors rue d’Angoulême-du-Temple), de décembre 1855 jusqu’en juin 1856. Il est à l’hôtel Voltaire (où seront plus tard Wagner et Wilde), de juillet 1856 jusqu’à la mi- novembre 1858 : B. est à proximité de l’imprimerie du Moniteur qui va publier les Aventures d’Arthur Gordon Pym. Ensuite, il s’installe chez Jeanne, 22, rue Beautreillis. Il va enfin trouver son havre, au début de l’été de 1859 : deux chambres formant un petit appartement à l’hôtel de Dieppe, 22, rue d’Amsterdam. À l’exception d’un malheureux séjour chez Jeanne à Neuilly (décembre 1860-janvier 1861), il y demeure jusqu’à son départ pour Bruxelles, en avril 1864. En juillet 1865, il ne fait que traverser Paris pour chercher de l’argent. Lorsqu’il y revient, au début de juillet 1866, c’est pour entrer, impotent, dans la maison de santé du docteur Émile Duval, 1, rue du Dôme, près de l’Étoile : il y mourra le 31 août 1867.

Les raisons de ces déplacements successifs tiennent, apparemment, surtout au désir d’échapper aux créanciers qui le poursuivent et peuvent le faire arrêter et conduire à la prison pour dettes. Il cherche aussi à échapper à Jeanne et aux atroces conditions de vie qu’elle lui fait. À sa mère, 27 mars 1852 : « Je suis obligé de travailler la nuit afin d’avoir du calme et d’éviter les insupportables tracasseries de la femme avec laquelle je vis. Quelquefois je me sauve de chez moi, afin de pouvoir écrire, et je vais à la bibliothèque, ou dans un cabinet de lecture, ou chez un marchand de vin, ou dans un café, comme aujourd’hui. » Mais Jeanne n’est pas entièrement responsable de ses fuites ; il n’a d’ailleurs pas vécu continûment avec elle. C’est à lui-même qu’il cherche à échapper ; il exprime lui-même cette hantise d’être seul, citant, dans La Solitude (OCI, 314), et La Bruyère et Pascal qui nous rappelle « dans la cellule du recueillement ». Cellule, le mot est à souligner : domicile égale cellule. Mais il y a à cette fuite éperdue une compensation qu’on est trop tenté d’oublier : « Glorifier le vagabondage et ce qu’on peut appeler le Bohémianisme, culte de la sensation multipliée, s’exprimant par la musique. En référer à Liszt. » Mon cœur, XXXVIII, 66.) Cette recommandation fait évoquer l’admirable page de Du vin et du hachish (1851) qui nous montre le miracle du vagabondage…

© Claude Pichois & Jean-Paul Avice, Dictionnaire Baudelaire, éditions du Lérot, 2002.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 mars 2021
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