39 | Montréal, Second Cup face l’UQaM

tags : Québec, Montréal, 2010


Ce texte est un fragment d’un travail en cours, amorcé le 20 décembre 2020 et devenu assez massif, mais non destiné à publication hors site (pour l’instant).

Le principe est d’aller par une phrase par lieu précis de remémoration, et d’établir la dominante sur la description même, si lacunaire qu’elle soit, du lieu — donc public, puisque bar, bistrot, resto — de la remémoration.

La rédaction ni la publication ne sont chronologiques, restent principalement textuelles, et la proposition de lecture s’appuie principalement sur la navigation par mots-clés depuis la page des index lieux, noms, dates.

Point régulier sur l’avancée de ce chantier dans le journal #Patreon.

 

39 | Montréal, Second Cup face l’UQaM


Et ce matin brutalement l’idée que tu n’avais pas répertorié dans ta liste le Second Cup de Montréal face métro Berri-UQaM, la crainte soudain que des évidences aussi fortes échappent à l’emprise du livre qui s’ébroue, que si tu ne notes pas en amont tu pourrais arriver au bout et tout aussi brutalement te dire : — Mais le Second Cup Berri UQaM comment il a pu passer au travers, une fois par semaine, deux semestres de quatorze séances avec chaque fois deux groupes ça ferait quand même vingt-huit fois le Second Cup Berri-UQaM, peut-être pas tant puisque tu ne l’avais pas repéré dès le premier voyage mais probablement peut-être un peu plus pour toutes les fois ensuite où tu as pu y donner bref rendez-vous c’était si commode : tu partais de Québec (« la vieille capitale ») à l’Orléans Express de 6 heures, plus tard, neige ou pas neige, tu voyais lentement le paysage se lever, à l’aller toujours une place sur la droite et au retour (il n’y avait rien à voir, c’était la nuit) plutôt sur la gauche sans même y penser, progressivement les repères pris, puis attendus, combien de photographies tu as faites y a-t-il eu un seul des vingt-huit trajets dans la même ferme, la même maison, ou cet hôtel lesté de dinosaures en plâtre géants que tu n’aies pas photographié comme ce jeu que tu avais (et as toujours) à mesure que lentement le car s’élançait pour rogner sur un des énormes camions impassibles qui grignotaient leur route, on voisinait brièvement à quelques dizaines de centimètres vitre à vitre avec le profil flou mais distinct du chauffeur, l’image-vitre du chauffeur mais qui en disait tant quand même et c’est ce que tu tentais de fixer avec ton basique Lumix hybride, parfois ils s’en apercevaient et te lançaient leur réprobation, doigt d’honneur ou pas signe international et quand débarqué à la gare routière (c’était bien avant les travaux) ces quelques premiers mètres comme avoir à reprendre l’équilibre sur la terre ferme — à supposer qu’avec neige et glace elle le soit —, et toi ceux qui t’employaient c’était l’UdeM puisque tu découvrirais qu’à Montréal Concordia McGill UdeM et UQaM elles étaient quatre universités sur la place, j’avais à descendre dans le métro donc Berri-UQaM, changer soit Jean-Talon le plus court et le plus rationnel, mais souvent par Lionel-Groux ne serait-ce qu’alors le métro s’arrêtait à une station nommée Vendôme et ça te mettait dans un trouble incroyable et tu finissais à pied une fois à Cöte-des-Neiges, donc cette étape qui pour toi était quasiment de reconquête, entrer dans le Second Cup face à l’entrée du métro de l’autre côté du carrefour, demander un de ces cafe latte, préciser grand, voir grande prononcé à l’italienne avec une pâtisserie quelconque, aller t’asseoir au fond et poser le manteau le bonnet, la wifi à l’époque encore une épopée et ton téléphone Rogers un tout petit machin basique on n’aurait même pas fait de photo avec, alors déplier l’ordi (la suite indéfinie de ces MacBook 13 ou 15 pouces changés tous les deux ou trans ans, lourds et gris — ne jamais oublier le chargeur, ni le disque dur externe —avec son ronflement régulier de ventilateur et encore, cette année-là pour la dernière fois, de quoi glisser un CD audio, un DVD ou graver un CD-Rom même si de tout cela tu ferais de moins en moins usage, et disposant aussi d’une fente où glisser la carte SD de l’appareil photo pour récupérer les fermes, camions, immeubles et villes) et vérifier les messages, parfois lancer sur les réseaux l’image même de l’intérieur du Second Cup avec trois lignes sur à quoi tu pensais ou de que tu lisais ça nous apparaissait encore très neuf ces exercices-là, s’amuser des effets de décalage horaire avec tes copains français, parfois reprendre un café noir serré là-dessus et ça y est, tu étais prêt à rejoindre l’autre bout de la ville et la fac — au soir donc à la nuit c’était directement gare routière et la fatigue oui, la fatigue, les trois heures de bus comme un retour à soi-même et les crocs, alors au Deli encore ouvert un de ces « wraps » sous cellophane (tu n’as jamais aimé ces machins-là), sorte de pâte roulée avec dedans salade et lambeaux de poulet incolore, température à peu près normale à l’extérieur mais encore gelé au centre, et quand tu ajoutais une bière en canette le gars avec qui jamais on n’avait besoin d’échanger une parole, le contraire en gros de ce qui se serait passé « chez nous » il t’emballait le tout dans un pochon de papier marron puisque tu n’étais pas censé emporter ta bière dans le bus, le pont sur sa fête foraine signifiait le bout de la ville et des lumières, il y avait l’arrêt habituel pour prendre les trois quatre passagers de Longueil (une fois je m’y étais rendu pour une radio depuis une librairie de la galerie commerciale, mais pas assez pour en faire un item de la liste ici), puis tu sortais ton sandwich et ta bière, c’est dans ces heures de nuit avec bruit régulier du moteur, chauffage mis à fond et le ressassement discret de la radio variété qu’ils ne pouvaient s’empêcher de mettre, que tu avais commencé de poser ton appareil devant toi sur la tablette du siège, calé sur ton sac à dos (rare, à ces heures, que tu avais un voisin immédiat et la plupart dormaient), d’enclencher la position vidéo et enregistrer ces sortes de monologues sans savoir où dix ans plus tard ça t’emmènerait, fin de ce qui concerne le Second Cup UQaM, au coin de la rue Sainte-Catherine et de la rue Saint-Denis ou une de ses voisines juste avant, souvenir qui restait toujours favorable à cause de cette bouffée de chaleur une fois le nuage de buée dissipé, comme ne pas entrer dans un des milliers de ces établissements servant pareil du cafe latte en gobelets et des pâtisseries un peu trop grasses et lourdes mais que vu l’heure et la journée à suivre tu te tolères, mais dans cette chaleur même puis — proximité de la fac aidant sans doute, puisque jamais tu n’étais seul dans ton cas à t’enfoncer trois quarts d’heure dans l’ordi ouvert, au point que probablement tu aurais pu arriver par le bus suivant mais alors tu n’aurais eu ni le soleil levant sur les étendues blanches, ni le sas maintenant du Second Cup, et personne ne te demandait rien, aucune justification, juste un petit point fixe dans l’immense étendue flottante du monde, en tout cas de la capitale autour de toi gigantesquement déployée et qui paradoxalement n’était, en ce point précis de carrefour face entrée métro, qu’un lieu de calme, buée, goût du café au lait et bulle de chaleur avec musique de fond et ballet là-bas des serveurs à leur comptoir, des gars qui faisaient tout pour vraiment qu’on ne les prenne pas pour des serveurs de comptoir.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 janvier 2022
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