
station underground d’émerveillement littéraire
Par exemple, commencer par la bibliographie de Lucien Suel : pleinement écrivain, puisque pleinement auteur produisant livres.
D’ailleurs, ce matin, je reçois une enveloppe molletonnée (spécifions qu’elle est récupérée, que l’adresse de Lucien Suel telle que copiée par le précédent expéditeur a été recouverte d’une feuille manuscrite à petits carreaux scotchée pour graphie à l’encre noire de ma propre adresse, et qu’elle garde une étiquette mentionnant bregus gofal fragile with care). Dedans, c’est comme un Noël : je voulais un titre à 2 euros, je trouvais ça pingre alors j’avais demandé à l’envoyeur de me sélectionner pour 20 euros de ses écrits, et apparemment il y a un peu de rab puisque je me retrouve avec 6 écrits dont Coupe Carotte, Lettres de l’asile, Tamponnages, Elle sue ainsi lue, Le Lapin mystique et Les Dérivées, chacun dûment pourvu de son ISBN.
Par exemple, bonheur (je commence toujours la lecture d’un livre quel qu’il soit par son achevé d’imprimer) de trouver à la fin des Dérivées :
les dérivées / poème de Lucien Suel / troisième édition / ISBN 2 909834 35 2 / ISBN E 909834 03 4 édition originale, 1992, ISBN 2 909834 18 2 seconde édition 1995 / 144 exemplaires numérotés de 289 à 432 / accompagnés d’un collage instantané de l’auteur / achevé d’imprimer le 12 janvier 2004 à 12h . exemplaire n° 00311 / Station Underground d’Emerveillement Littéraire...
Et que le livre Les Dérivées est relié dans du papier peint lavable à motif floral tel qu’on en use pour les salles à manger ou chambres et que le collage instantané de la dernière page, dès que je l’aurai scanné à la fin de cette phrase, accompagne cette mise en ligne.
De l’activité de Lucien Suel sur Internet, quelques étonnements : la façon ont le site Silo est repéré par liens dans une galaxie de sites qui ont plutôt tendance à s’ignorer les uns les autres. Question sur le temps aussi : mise à jour en continu, ces temps-ci, d’articles sur le mouvement punk des années 70, et que la force d’actualité du blog trompe sur les 30 ans de distance avec la première écriture, laissée telle quelle.
Mais depuis plusieurs mois, j’étais happé par un site plus discret, A noir E blanc, et je ne devais pas être le seul à l’avoir intégré sur mon fil rss pour en suivre les mises à jour : photographies de Josiane Suel, accompagnées d’un texte bref de Lucien. Choix contraire au mien : faire marcher côte à côte des blogs gratuits, de différentes URL, plutôt que d’en fédérer les démarches dans l’arborescence d’un site. A l’origine, il devait y avoir 40 photographies et 80 textes, puis le blog aurait cessé et ce serait devenu un livre. Qui pourrait publier une telle démarche ? Le temps qu’il fait, certainement (on n’est pas si loin de l’austérité et de l’émerveillement Trassard), mais dans le contexte actuel je doute. Alors le blog continue au-delà des 40 : l’existence Internet relaie l’impossible existence graphique.
Je pirate ci-dessous, parmi les 144 fragments numérotés de La Dérivée (12 par pages, 3 lignes de 4, chaque fragment étant composé de 12 vers de 12 lettres et l’ensemble donc édité 3 fois à 144 exemplaires), une petite poignée : par complicité. Parce que la question posée à l’existence même du littéraire, sa diffusion, la prise en main singulière, est la question evenue commune (qui nous fait encore communauté).
Comment finir sans parler de Mauricette Beaussart ? C’est les Lettres de l’asile de cet écrivain désormais respectée, à l’existence Internet assurément étonnante, que je voulais me procurer d’abord à la Station Underground d’Emerveillement Littéraire. Le début de la lettre n° 2 par exemple :
Cher Lucien,
J’ai des pantoufles avec du blanc un peu de blanc de farine dessus. Le docteur Hanique voudrait que je lise de la poésie. Il m’a prêté Romain Kalbris d’Hector Malot. L’électricité ne se voit pas, même dans mes tartines. Tu sais, je les recouvre et il y a du beurre au milieu, deux fois plus mais je trempe. Ce jour-là, j’ai frotté mon front sur la table. [...]
Ces lettres sont pour moi de la même trempe si perturbante que celles de Gaston Chaissac, chez nous, ou d’Ernst Herbeck en Allemagne, et d’autres certainement. Nous devons à Lucien Suel que l’oeuvre de Mauricette Beaussart soit aujourd’hui de cette communauté : il lui arrive même, désormais, de m’envoyer des e-mails, j’y réponds intimidé.

Les Dérivées
Lucien Suel (variation graphique sur 9 extraits de)
43
rare soleil/ intermittent sur l’épaule révélations/ la seringuée siffle sourd dans le sang de l’ouvrier noué au bras son mouchoir aliment pour reliquaires/ |
50
l’anarchiste en livrée de coton noir & rouge émarge au budget de l’état/poète les jours de congé/fidèle serviteur du pouvoir tous les jours de travail/etc/ |
51
choisir dans une liste de nom de plume déguisement procurant un anonymat qui facilite les opinions/les choix/le tri entre l’ivre et l’ivraie/ |
59
justifie les moyens/autre chose est de chercher les déraisons/de corriger les aberrations/ dans la pure solitude/les cartes n’ont plus de vert gris domine/ |
89
bouteille en plastique au bord du trou d’eau claire la vraie vie distillée en affiches sur la palissade si c’est nul c’est l’infini la loi/l’écu marchandises |
96
monsieur/sic s’assure les services des succédanés à bon marché/à l’horoscope/ à la magique pensée farce madame/lasso s’y sacrifie si c’est toc c’est saint |
114
la vie reçue comme un bec de poule sur le mollet/la main caresse le plumage & s’attarde au col/la lutte est défendue l’oiseau est sur la corde raide/mortel |
115
il n’y a pas de raison de détruire par le rire/même raisonné/les angoisses et leurs pseudo remèdes crus dans l’idiot balbutiement rapide de la vie d’enfant |
132
la boxe avec l’ange/celui qui manie le tout ou rien dérouille en plein milieu du vide/trou dans le zéro alors suivez les flèches/ ou à gauche ou à droite |

1ère mise en ligne et dernière modification le 13 janvier 2007
merci aux 2749 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page