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les pages personnelles de François Bon

Clermont-Ferrand aller retour

le 8 novembre, journée d'étude sur le rôle et la place des écrivains en IUFM, à Clermont-Ferrand


Comment aurait-il été possible de ne pas accéder à leur demande? L'IUFM d'Auvergne a accueilli Charles Juliet en même temps que j'étais associé à l'IUFM Créteil, et a continué avec François Salvaing quand Créteil préférait ne pas continuer. C'était l'occasion de revenir sur cette expérience tellement riche, avec les futurs instituteurs (maintenant, toutes et tous exercent, j'ai régulièrement quelques nouvelles), et mon journal à l'IUFM, avec déjà les "photos de la semaine" est toujours en ligne sur Carrefour des écritures.

Pour ces deux journées d'études (je ne participerai qu'à la première, parce que Daewoo est joué à Toulouse, semaine nomade...), on va se rassembler ici de toute la France: les options artistiques sont plutôt mises à mal, raison de plus de garder ce dialogue vital entre auteurs et enseignants. Le matin, Jean-Pierre Siméon, qui a longtemps enseigné à l'IUFM Auvergne, et fondateur du Printemps des Poètes, parlera pendant près d'une heure sur l'énigme et les potentialités, les contradictions et paradoxes aussi, évidemment, de ce lien auteurs et enseignants.

La liaison Tours - Clermont-Ferrand en train ça tiendrait du prodige, à moins de partir la veille. Donc c'est la voiture, mais en fait j'aime ces moments, roulant plein est, quand on voit lentement le jour se faire dans les brumes d'hiver: en plus, c'est exactement le pays du Grand Meaulnes. Je m'arrête rituellement à la station entre Vierzon et Bourges. Bizarrerie (on voit mal sur la photo) quand on arrête la voiture devant la vitrine c'est des grenouilles géantes en peluche verdasse qui vous font face. Depuis des années (en fait, depuis mon livre Autoroute), je stocke des photos de ces arrêts de hasard.

Une des raisons du plaisir, c'est de disposer sur le siège une discothèque complète, dont je n'écouterai évidemment qu'une partie. Highway 61 et Nashville Skyline, de Dylan, à l'aller, avec un peu de Bert Jansch, à l'aller, du rock plus lourd au retour (George Thorogood, puis quelques vieilleries Clapton époque fruitée, Cocaïne...)

Ce qui vous salue, à la sortie Clermont-Ferrand nord, premier rond-point, c'est l'étrange appareillage qui fait l'étrave de l'immense et ancienne usine Michelin (l'usine mère, puisque d'autres plus modernes ont essaimé). Dans cette immense et deouble construction couverte en arc de cercle, genre piste de skate-board échelle mille, paraît qu'on essayait simplement de voir l'équilibrage et l'adhérence des pneus livrés à eux-mêmes... Enigme et mystère des constructions industrielles...


Bâtiment un tantinet austère, mais chaleureux accueil de Françoise Fernandez, Françoise Lalot et Jacques Magne, de l'IUFM Auvergne. Ce qui préjuge bien de la journée, c'est de s'y retrouver entre compagnons de route, d'avoir partagé expériences et travail. Thierry Ermakoff, conseiller livre à la DRAC Auvergne, pendant son intervention, sort de son cartable Les Outils de Leslie Kaplan et se met à lire le texte Du lien social: pas de hasard. A Nadine Etcheto, son alter ego pour le Languedoc Roussillon, je dois mes premières expériences d'atelier d'écriture, à La Paillade, Sète et Lodève, c'est inaltérable. Et les deux conspirateurs dessous c'est Jean-PIerre Preudhomme, mission culture à l'IUFM Paris, et Joël Paubel, idem pour Versailles: plein de projets ensemble.

Je retrouve aussi François Salvaing, homme dense, écrivain d'engagement, et qui m'évoque toujours un sentiment de force et confiance. Et bien sûr Nicole Wells, qui avait initié avec Jean-Claude Reygnier l'expérience de Créteil. Moi j'ai continué les ateliers avec d'autres, parfois prenant des mois uniquement pour rester dans mon garage-atelier personnel, Nicole a continué, ces trois ans, d'accompagner ces jeunes enseignants, dans leurs postes à risque (le premier poste ce n'est jamais facile) des villes d'entre Créteil , Ivry et Vitry. Tiens, nous découvrons que le fils de François Salvaing, qui a choisi le métier d'enseignant, a précisément été formé par Nicole Wells. Je les laisse à leur échange: sans doute beaucoup d'énigme, dans ces choix, et ce qui peut rapprocher deux adultes de ma génération quand il s'agit d'un tel rapport de transmission vis-à-vis d'un plus jeune. Et je n'ai pas de sentiment d'indiscrétion à en parler, si ce qui nous rassemble c'est l'interrogation ou la dette sur cet engagement: mon grand-père maternel, le père de ma grand-mère, ma mère, mon frère encore sont ou ou ont été instituteurs...

Et dans les rangs aussi, avec Nathalie Vincent-Munia, plusieurs des étudiants avec qui on a partagé, il y a juste un an, ici à Clermont-Ferrand, une pleine semaine d'écriture (c'est là que j'avais appris que Daewoo serait invité au festival d'Avignon, l'impression d'une ligne droite sans pause depuis lors: mon livre faisait une centaine de pages, mais je n'avais pas eu le loisir d'y toucher un seul mot dans ce stage si dense).

Charles Juliet, de dos. Je n'oserais pas photographier Charles de face, ni sortir mon gadget numérique pendant qu'il parle. Autour de Charles, projetée en avant de lui, cette impressionnante et permanente bulle de respect, l'incitation à accueillir dans l'écoute concentrée ce qu'il nous dit sur le sensible, sur l'éveil. Charles est d'une simplicité et d'un sourire désarmants, quand son oeuvre nous le hisse à statut d'intercesseur. On sait ce qu'on lui doit, on ne peut lui rendre cette simplicité d'accueil qu'il nous offre. Rencontres toujours privilégiées. En fait, en atelier ou en stage, quand je fais travailler à partir de Charles Juliet (sur Lambeaux, notamment ou sur sa déclinaison du verbe écrire), c'est comme si je faisais avancer l'auteur de dos, en avant de moi, entre moi-même et les participants. Parce qu'on parle ateliers d'écriture, et que je suis juste derrière Charles, je découvre que mentalement, quand je parle de Lambeaux en atelier, c'est cette image de l'écrivain de dos que je porte intérieurement, et qui m'anime. Et si écrire en atelier, sur le territoire ou le livre d'un autre, c'était lui écrire sur le dos, poser l'écritoire sur ses épaules? Figure en tout cas qui me convient.

L'après-midi, pas facile pour moi de parler. Je n'aime pas du tout cet exercice, en fait. Parler d'un auteur, oui (avant le repas, à 12h15, j'ai lu quinze minutes de Perec, disparu il y a 20 ans, dont L'Infra-ordinaire, je me sentais à ma place, bien dans ma peau). Il faut évoquer le pourquoi, le comment, ce qui s'est bien passé, ce qui s'est moins bien passé. Au retour je déprime un peu: viennent obsessivement dans la tête, tout le long de l'autoroute, les phrase qu'on aurait dû dire autrement, les phrases qu'on n'a pas dites, les choses qu'on a pris par le mauvais bout et ainsi de suite. Ou bien ne pourrait-on parler au mieux de ce qu'on peut et doit que de ce qu'on a apprécié complètement, alors que je n'ai pu tirer le complet bénéfice de mon passage à l'IUFM Créteil?


Au retour aussi, halte autoroute, mais à une autre aire ("Centre de la France"?), celle-ci aussi je l'ai déjà fréquentée des tas de fois, à des heures différentes (la dernière fois, en juillet, me rendant à Avignon, et à Saint-Etienne sortie du tunnel je me suis pris le radar, deux points de moins). L'usine Michelin dit au revoir, repliée sur son mystère et ses interdits. Y a-t-il, même aux heures de grandes migrations, autant de nourrissons qu'il y a de chaises? on pourrait organiser une course. Accident, bloqué vingt minutes. En fait, rien de grave, mais il s'agit d'une bétaillère et les vaches en avaient profité pour une escapade. Qu'est-ce qui me fascine, dans ces endroits, et garde rapport à cette lecture de Perec, ce midi? Cette façon pour tous ceux-là, en semaine, dans le soir d'hiver, camionneurs, le monde de la route, d'occuper l'espace et les lumières de façon à installer autour d'eux comme une preuve de leur solitude? Ils peuvent en dire autant de moi, avec ma tasse de café sur mon propre plateau, et mon petit carnet noir de sortie.

FB, le 9 novembre 2004.

 

et merci aussi à Aude Chausset, qui s'est chargée de toute l'organisation!