# 11 Histoire | Haut les mains

Le pire, c’est que personne ne tournera la page, car c’est un fichier. Quelle ironie, non ? Quand on regarde une main qui passe derrière une nuque. Elle peut très bien tenir une autre main pour la faire avancer. Pas d’histoire, juste des faits. Comme ça, on progresse. Il n’y aucune menace dans une main qui serre. Il n’y a aucune tendresse dans une main qui sert. Ça dépend du programme. Il y a la main qui se relâche qui ne sert plus à rien, plus pour le moment. Il y a le clic, comme ça la photo se repose, elle se fait belle, quelquefois vraie, quelques fois bon bah tant pis. Il y a une main qui en lâche une autre alors que les portes du métro se referment. Une main qui aurait pu parler plus aisément que le reste de son corps, laisser une marque, tracer des sillons. Et cette main est regardé comme coupable de n’avoir pu transmettre le message. On la met dans la poche parce qu’on veut plus la voir. Pourtant après ce premier tour, pas de trace de la troisième main. Elle doit bien rigoler, celle-là. Elle sait qu’on la cherche donc, elle doit se pouponner. Sans penser qu’il faudrait taper du poing, parce que main nom féminin et poing nom masculin et si on changeait ? Pas parce que c’est important, mais simplement pour dire qu’on la cherche la troisième main et que pour ça, on se donne tous les moyens, on est prêt à déconstruire.

Ce n’est pas celle qui écrit par hasard ? Non, pas au temps de l’ordinateur. Parce qu’il y a deux mains qui écrivent et la troisième, c’est celle qui met la main à la patte, c’est la main de l’esprit, la pensée. Qu’est-ce que ça me manque quand je lisais ses poèmes. Il y avait l’écriture en plus, le papier, la couleur, les formes, les taches des fois. Je crois que pour moi les mots étaient aussi importants que les formes, la main qui les avait tracés. C’est plus long quand tu suis le mouvement des lettres tracées à la plume, la scène se recompose et forcément ça provoque un soupir. Ses mains sont quelques part. Cette main est quelques part. Elle se balade. Quand on regarde une des mains on prend deux machines la première sert à remonter le temps, l’autre à le démonter. Et on va tomber directement sur la peinture terminée et la main, la sienne. Les cigarettes avalent la fumée et que les pinceaux dévorent la peinture, les couleurs, encore les formes, sur le châssis qui est tout nu pourtant. C’est pas vrai parce que la peinture est terminée. Elle laisse ses pinceaux dans son atelier, et je me demande si eux aussi ils font partie de la peinture. C’est stupide, mais il n’y a pas que le chat qui a le droit de se gratter la tête. Elle regarde le tableau, se gratte derrière la nuque. Moi, j’ai vu de la lumière s’allumer dans le tableau. J’ai suivi tous les tracer, comme des virgules, des longues, comme des coups de couteau, mais qui te rase de prêt. Donc l’image est parfaite parce que ce sont des coups répétés qui l’ont construite, c’est comme un sort. Il y a des mains d’artistes qui s’agitent comme des mains d’escrimeurs. Ça brasse du vent, t’es mort et c’est très beau à voir, des fois le trépas en fresque. Quand les couleurs se composent, la mise en scène des tracés s’assemble. La main donne le la au corps. Ce n’est pas que la main qui bouge, c’est le corps qui l’accompagne par de micros mouvement. Là, l’autre main existe au moment précis où la main qui dirige étale, c’est une question d’équilibre, oh la la, d’énergie aussi, à d’autres moments aussi l’autre main s’exprime, elle se serre et se ferme et s’ouvre. La peinture, c’est aussi de la musique. C’est aussi de la fumée, des bouffées, du rire et le reste, on n’en parle pas, parce qu’on a dit qu’on démontait le temps. Donc la chronologie s’est perdue en route. Les mains ont dansé. Forcément à ce niveau de précision, si je repasse la scène au ralenti, c’est de la danse du genre qu’on pratique au milieu de la forêt avec des bruits bizarres des costumes sous les yeux des hiboux qui approuvent, ou là haut dans la montagne dans des grottes, là aussi, il y a des mains qui grattent la roche et font des formes. Pendant ce temps, je lisais ce que j’allais écrire après. C’est peut-être que j’avais trouvé la troisième main et qu’elle écrivait avec un tout petit temps d’avance, une sorte d’impression de déjà vu, avec la musique qui se mélangeait entre jazz, funk, reggae, musique classique, rock indé français, parce qu’une mouche qui crie d’abord ça écrit, puis ça fait du bruit qui fait de la musique, et t’ajoutes le bruit de la rue, le vent qui s’engouffre parce qu’il vient de loin avec une très grosse motivation style tempête à venir et les voitures qui dévalent, ça fait pas mal de mains en perspectives, on ne parlera pas non plus de la main invisible, même la troisième main passe pour celle d’un fantôme.

Jamais, j’aurais pu accélérer le film quand elle peignait, regarder des mains qui découvre le vide, le recouvre et y mettent des couleurs, des émotions, des questions esthétiques, ce n’est pas seulement apaisant, ça aide à songer. Il n’y aucun projet pour celui qui observe que celui de regarder. C’est comme un jeu pour apprendre à respirer. La toile cependant est nue, avant elle était finie. Je n’ai toujours pas trouvé la troisième main, j’ai bien essayé d’entrer dans ce souvenir. J’y ai mis de l’intention, de la tension. Ça fait des années que j’y pense, mais c’est une autre tentative veine. Quand on regarde des mains, certaines fois, elles s’assemblent, d’autres fois, tu le sais aussi bien que moi, alors je ne le dirais pas. Je n’évoquerai pas ce qu’il peut se passer entre deux corps qui sont manuels. Mais ce qui est sûr c’est que ses mains peuvent ouvrir des portes l’une après l’autre, donc on repart, un peu plus en arrière, comme une photo, où il faut mettre tout le monde, on demande, à Tata Janine de se pousser et de laisser pierrot et sa flute s’infiltrer, cette fois ont met le focus sur cette façon de rouler une cigarette par exemple, quoi qu’on en pense ça peut être une œuvre d’art, moi je regardais ça comme un film. Quand tu penses que c’était toujours le même. Il me manque ce temps où on n’avait pas de portable. Les mains ne savaient pas où se mettre, c’était touchant. Je pense que l’inventeur du portable s’est dit : bon sang, c’est pas vrai, faut leur mettre quelque chose dans les mains.

Là, j’ai trouvé une main qui pourrait tourner le livre de mes souvenirs. C’est la main dans ma tête. Il y a une main dans ma tête. Je ne sais pas si je suis le seul, mais toujours est-il qu’avec elle, je peux gratter tous les reliquats de pensée qu’il y a dans ma tête. Il y aurait une pensée idiote, mais il n’y a pas que le chat qui a le droit de se gratter derrière l’oreille. J’atterris au moment, où je regardais un prof écrire un mot sur mon carnet de correspondance. Comme à ce moment-là, je n’étais pas encore un animal, je ne criais pas encore avant de me jeter sur la main de mon assaillant, celui qui allait réduire ma vie en quelques mots et là, pour lui, il avait la main courante, l’inspiration était fulgurante. Pendant qu’il écrivait, je voyais sa main droite me pointer du doigt, je ne sais pas s’il visait entre les deux yeux, mais c’était tout comme. Et quand il me rendait ce satané carnet, il y avait un jeu de tirette. Je tire, il tire. Gros soupir. Ça y est, j’ai dit le mot, et j’essaie d’ouvrir cette satanée machine pour récupérer mon jouet, j’ai mis ma pièce avec ma main de bohémien et je tire encore alors que je passe à un autre souvenir. Celui-là, je l’invente, c’est un homme qui tire sur une cible, c’est pas Niki, lui il a déhanché qui fait très : moi, je m’en fous, s’il se pointe, je tire.

Toujours pas de trace de cette troisième main. Ça ne pourrait pas être celle qui corrige le texte, le modifie, met de la musique, mets des odeurs, de la lumière, du sens aux mots, celle que j’oublie toujours, je la connais pas, je ne l’ai jamais rencontrée alors je ne peux pas lui parler. Je ne connais pas son nom. C’est peut-être pour ça que je ne vois pas qui pourrait être la troisième main. Pourtant, j’ai deux mains, donc on peut en déduire que j’ai une main. Alors trois mains ça pourrait être le fait de regarder ses mains puis de donner la main. C’est un peu plus sophistiqué que de donner sa langue au chat. Parce que quand tu donnes ta main, assez souvent on te la rend. Certaines fois, ça engage, on te la prend.

A propos de Dominique Desplan

Je suis un créatif plutôt bohème. J'ai occupé différents emplois alimentaires. J'écris des histoires courtes, des pièces de théâtre et des scénarios. L'atelier est une occasion de revisiter ma pratique de l'écriture, de la nourrir. Peut-être aussi de questionner ma perception de l'écriture de roman et sûrement celle de l'écriture dramaturgique dans laquelle je suis porté disparu. Mais, notre hôte est un magicien et peu à peu je me retrouve.

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