Quand on est femme de ménage, on rentre à leur service, dans leur intimité. Ils sont disséminés dans la ville. Les horaires ne collent pas avec les transports en commun. Le matin : les bus surchargés, l’attente, les changements, les arrêts, ce n’est pas assez rapide, le temps presse.
Quand Ils m’ont engagée, je le savais. Il faudrait marcher. Ça ne m’arrêtait pas. Ce temps là ne serait pas perdu. Ma santé me le permettait. La voiture je n’y ai jamais pensé.
Je marche, je fais du ménage c’est mon sport. Bouger, ça me maintient en forme, pas besoin de régime. Les salles de sport je ne connais pas. Je vais plus vite à pied. Je respire, oui même la pollution, j’ai besoin d’air, c’est mon côté claustro. J’évite la foule.
En chemin je pense à ce qui m’attend, mon service, je cogite. Aujourd’hui je sais aussi que chaque jour, et dans chaque maison, c’est différent. Il y a ceux pour qui je compte et ceux pour qui je fais mon boulot, je n’ai rien à attendre d’autre. C’est vrai parfois je traine la patte. Mais il y a ceux pour qui travailler n’est pas un réel travail, j’ai vraiment envie de leur donner le petit plus pour que leur intérieur soit agréable. Non, ce temps n’ai vraiment pas perdu, il m’est si précieux.
Travailler pour plusieurs employeurs, que des particuliers, ça fait découvrir des univers, des gens, c’est jamais pareil. Je ne voulais pas aller dans des bureaux à cause des horaires, des tâches.
Dans le métier, comme d’autres, ils nous emploient, ils décident, ils exigent. On se soumet à leur demande. Avec chacun d’eux, je change de peau, je m’adapte, tel un caméléon. Comment être soi ?
Je fais des ménages depuis une vingtaine d’années, avant j’étais dans la blanchisserie. Une restructuration et j’ai perdu mon emploi. D’abord embauchée dans une association de réinsertion. J’ai vite compris que j’aurais plus d’avantages en trouvant moi-même des maisons.
Ils ne savent rien de moi. Je ne leur raconte pas ma vie, ils n’accepteraient pas que je perde du temps, ils n’écouteraient même pas. Travailler-travailler, ils n’attendent que ça. Je suis payée pour ça. Beaucoup de tâches avec peu d’heures, c’est aussi ça le monde du travail.
Je pourrais leur parler de ma famille, mon père polonais mineur, ma mère au foyer, leur dire que je suis la cinquième sur fratrie de huit, que j’ai été mariée à un homme violent, que j’ai une fille, que je n’ai pas de petits enfants, qu’aujourd’hui je suis en ménage avec J… Que bien que mes parents ne fussent pas riches, nous étions heureux, avec beaucoup d’amour. Qu’il fallait obéir. Que mon père était dur avec nous, mais généreux, accueillant pour les visiteurs. Qu’il prenait à cœur de bien nourrir sa famille.
J’aurais voulu faire des études. Mais mon père me répétait « tu es une bonne à rien ». Je suis devenue bonne à tout faire.
Aujourd’hui encore nous restons très proches les uns des autres, nous nous soutenons dans les problèmes. Nous nous retrouvons toujours avec grand plaisir pour partager les fêtes, et anniversaires.
Parmi la quinzaine d’employeurs, Je suis attendue certains m’accueillent et prennent soin de moi, de ma santé. Ils me proposent une boisson, échangent quelques mots. Ceux-là, sont toujours satisfaits ils ne me donnent pas d’ordre, me confient leur maison, je fais comme si c’était pour moi. Ils savent reconnaître le travail fait. Considération ! Pour eux s’ils me le demandaient j’irais au bout du monde, j’ai envie de me surpasser, qu’ils se sentent bien être après mon passage.
Ça fait du bien. Ils ne sont pas nombreux, ah ça non.
Au début, je ne refusais pas les tâches supplémentaires comme le repassage, faire les lits, étendre le linge, faire les carreaux, préparer le repas, toujours avec le même temps. J’allais plus vite, je débauchais après l’heure. C’était normal, j’étais payée pour ça. Mais quelle paie ! Une paie de misère.
J’avais peur de perdre mon emploi. Il fallait que l’argent rentre. Beaucoup de dettes à rembourser contractées par un mari joueur. J’avais connu des années de galère, pas un rond. Manger des nouilles, des nouilles… Je ne pouvais pas me permettre de faire la rebelle. Avec les anciens, je ne peux pas leur dire non, ils ne comprendraient pas. Je ne mesurerais pas que je me faisais du tors. Je reste, je n’ai plus que trois ans pour la retraite.
Avec les nouveaux, ça change, les tâches sont définies.
Ce que j’aime le plus c’est le repassage. Nettoyer, astiquer, frotter c’est ce qu’ils préfèrent que je fasse.
Je me dis souvent que ça ne se passe pas mal.
Une femme de ménage, peut avoir d’autres centres d’intérêts.
Dans mes loisirs, Je lis beaucoup, je regarde surtout les documentaires à la télé, écoute France culture, je rattrape le temps perdu. Tout ce qui traite la psychologie, le bien être, la déco, ça m’intéresse. Je me délasse dans la fabrication de gâteaux qui ressemblent à ceux du pâtissier, pour ma famille ou mes invités.
Chaque jour à six heures je suis debout. La journée commence tôt. Je prends tout mon temps à me préparer, à petit déjeuner. Les rituels du matin ; au lever à jeun, un citron pressé puis une heure dans la salle de bains, prendre soin de mon corps, me maquiller, m’habiller. La veille, les vêtements sont préparés, la table du petit déjeuner mise. Un copieux repas, pour tenir jusqu’au soir : café, fruit, pain, beurre, fromage, laitage. Par beau temps, Le midi, entre deux, je me délasse en ville devant les vitrines, ou je traque les bonnes affaires pour ma coquetterie. C’est mon moment à moi.
Verso
A ma première confrontation avec la mort, j’ai quatorze ans. La morte, c’est maman, elle a trente neuf ans. Le mot Mort est d’une extrême violence, foudroyant.
Chez nous, auparavant ce mot n’avait jamais été prononcé. On ne parle pas des morts. Ils disparaissent. On veut ignorer la mort.
Nos parents de parlaient pas de leurs morts. J’avais bien vu des cercueils, des gens habillés de noir, ça ne m’attendrissait pas. Ces boites, je ne me rendais pas compte qu’elles contenaient des gens morts.
Certains disent que la mort fait partie de la vie. Ma mort, oui, celle de mes proches trop tôt, non. Ce n’est pas juste !
La mort fait mal. Il faut bannir ce mot. Ça brule trop. Ça glace.
La mort, c’est abandon, c’est le vide, c’est la solitude, c’est le manque, c’est ma souffrance.
Tristesse !
Petit détour à la Cathédrale, prière, bougie. La lumière, pour eux, la chaleur pour moi.