#boost #04 | drill baby drill

Mes pieds, non, ne s’enfoncent pas dans la vase de la mangle, ils la piétinent — délibérément, ils s’enfoncent, donc ils piétinent ­— Mes pas forment trace dans la vase — s’effacent les traces, mais pas leur souvenir, non, traces de mes traces, écrites noir sur blanc, forment un chemin donc — Je porte la lumière en pays de ténèbres — Je suis la lumière donc — Je trace la trace sur des cartes, mon royaume s’étend à l’infini — où mon regard porte n’est pas l’infini, ce sont les terres qui me sont données à voir, données à moi donc, à moi l’infini — le sauvage n’a pas de carte, à peine des chemins — Le sauvage te cueille, terre, il te pèche — les cons — Je te draine, je t’assèche — Je t’explore, je t’exploite donc — Les sauvages marchent pieds nus dans ta boue, ils sont racines de toi — les cons.

 Je planterai les racines en rangs serrés, les sauvages en rangs ordonnés, je leur apprendrai — ils ne demandent que ça —  Je serai bon pour toi, sauvage ­­­— tu me diras merci — Je construirai tes écoles — elles porteront mon nom — Je construirai tes hôpitaux — pour soigner ton mal de sauvagerie — Je t’emploierai, je ferai de toi un salarié — mon salarié — tu ne craindras plus l’avenir — il suffira de le rembourser — À personne cette terre — à Dieu, aux émissaires de Dieu, à ceux qui parlent en son nom, à moi donc — De tes abris de fortune, je ferai des maisons dont tu pourras fermer portes et fenêtre au nez de ton voisin — même y pisser tu pourras — Tu n’y célèbreras pas tes masques hideux — Il n’y aura plus de terre battue où exhiber tes danses immondes — Je t’offrirai la lumière et tu seras sauvé des ombres — Je t’offrirai le repos mérité — des films te conteront mes exploits — Quand je serai content, nous boirons ensemble des cannettes de boissons gazeuses, à tes enfants je donnerai le sucre et le jouet plastique — je revendrais ton art nègre à bon prix — Je t’habillerai de marques, tu porteras Nike, tu porteras Adidas, tu porteras « Marathon de Sainte-Foy-la-Bousaille 1992 » — rends grâce aux généreux donateurs qui défiscalisent cela de leurs impôts pour toi — J’apprendrai à lire à tes enfants — des livres qui conteront mes exploits — Et j’écrirai pour les miens des histoires de savane où tu auras les pieds nus, où tu seras souriant et dansant et vêtu de peu — Je veux que tu sois fier — désensauvagé, propre enfin, luisant de bonne volonté, humble donc et cravaté — Sois fier de toi, je t’offrirai des concepts pour le penser — je te dirai : puise dans tes racines ancestrales, interroge le manguier, tapote le baobab — qui sonnera creux —Tu m’en voudras, c’est normal — Mais je t’aiderai à ne plus dépendre de moi — Tu prendras ta vie en main — tu contracteras des dettes — N’ai-je pas peiné pour toi, n’ai-je pas tout quitté pour toi, de ta broussaille n’ai-je pas tiré des champs fertiles ? — Tu seras libre quand tu seras prêt — quand tu auras remboursé ton prêt — Je t’enverrai de l’aide —  Tu hausseras la tête — je hausserai ta dette —  Je soignerai les guerres — que tu n’auras pas déclarées — Dans le sang des tiens, nous pactiserons — d’ailleurs, je t’appellerai mon frère quand je parlerai de toi — Ton palais présidentiel contre gisements, ta Mercedes contre forages, ton compte en Suisse contre bases militaires — Nous ferons des affaires — J’aiguiserai tes machettes — Nous tiendrons tête.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe)

2 commentaires à propos de “#boost #04 | drill baby drill”

  1. Bonjour, je lis votre texte ce matin et il me renvoie à Black Labell de David Bobbée avec Joey Starr que je viens d’aller voir il y a deux soirs sur une scène nationale et qui nous a partagé des textes de la période de Christophe Colomb à aujourd’hui, moment marquant pour moi et votre texte m’y renvoie, résonne avec ce que j’ai vu. Bravo pour la force et la poésie de vos écrits, de vos mots.