#rectoverso #01 | Enceintes

RECTO

Au sud du Petit Bourg , après la dernière barre d’immeubles, ils ont planté, là, un Hôpital Psychiatrique. Trois grandes bâtisses en briques rouges et pierres meulières en forme de U et au centre une fontaine et deux allées de part et d’autres de marronniers, qui fleurissent rose. Les fenêtres de la bâtisse sont assez petites et une des ailes est habitée par les malades très atteints, eux, ont seulement de petites lucarnes.  Les gens du Petit Bourg disent qu’ils en ont vu, le soir, roder autour du Monument aux Morts, des fous de l’asile comme ils disent. Ils ne laissent pas sortir les plus dangereux : ceux-là, ils ont des chambres qui  ne donnent sur rien, ou sur les murs de l’enceinte en pierres meulières, très solides. Ceux  qui sortent passent par une petite tourelle, gardée par un gardien à qui ils doivent montrer des autorisations. Dès fois, ils parlent tout seul et  déambulent dans  la ville,  mais ils sont plutôt tranquilles , enfin on ne sait jamais… Pour entrer dans l’enceinte, c’est une autre histoire, il faut montrer patte blanche. Vous devez vous présenter à l’interphone, d’abord,  pour que  le lourd portail en fer forgé s’ouvre. Il grince et prévient, à son bruit, de chaque arrivée.

Au nord du Petit Bourg, il y a l’Ecole Communale des filles et des garçons. C’est une vielle bâtisse en briques rouges et pierres meulières. Elle est en forme de U, avec un centre un grand marronnier centenaire qui perd ses marrons et ses feuilles en automne ce qui fait le plaisir des enfants qui jouent  avec à toutes sortes de jeux.  Après la fin des classes, l’Ecole Communale organise toujours un grand pique-nique en bordure de la forêt de Sénart, là où il faut contourner l‘asile. Les enfants  marchent deux par deux , bien sagement , avec une maitresse et une maman qui ouvre et ferme la marche pour vérifier que personne ne manque. Elle surveille les enfants et les enfants surveillent aussi du côté de l’enceinte, s’ils peuvent apercevoir, au moins, un fou  pour voir à quoi ça ressemble.  Les maitresses répondent, « à rien de spécial, il faut se méfier des gens qu’on ne connaît pas ».

Après l’hôpital, un champ de blé. Deux moissonneuses-batteuses abandonnées. Plus loin un parc, avec tout autour, de gros grillages verts, plantés dans la terre, assez hauts pour ne pas laisser les enfants s’échapper. C’est tondu bien ras , régulièrement, par des jardiniers de la ville qui débarquent avec leurs gros engins bruyants qui font de grosses traces profondes dans la terre.  Après leur départ, plus une pâquerette, et l’herbe qui brule sous le soleil.  Personne  ne pense à arroser ce parc, « pourtant c’est leur boulot » et personne ne comprend.  Au début , c’était toujours bien vert. Et les enfants aimaient jouer au ballon sur l’herbe. Maintenant , ils n’y vont plus , il y a trop de cailloux et de poussière. Pas un qui n’arrose et l’espace de jeu en plastique est rongé de moisissures. Il manque des marches à l’escaliers du toboggan.  « On se demande où passent nos impôts ». Un gros tag à tête de mort fait peur aux enfants. Quelques seringues brillent encore sous le soleil. « C’est les enfants qui les ramassent. L’horreur ! »

VERSO

Après la barre  d’immeuble, l’hôpital, le parc, un rond-point, des traces noires de dérapages contrôlés. Des cannettes de bières, des cornets de frites et de burger dégoulinants de ketchup, des mégots de cigarettes en tas qui s’ennuient..Plus loin, sur un grand champ municipal, sur la droite, un chapiteau de cirque et trois camions Bouglione avec des têtes de lions  et une grosse enseigne jaune et rouge. Un chameau et un dromadaire assoiffés broutent tranquillement les détritus du restaurant KFC , le premier resto avant le branchement pour l’ A7, juste sur le même côté de la route  à une centaine de mètres. Puis,  au fond de champs vers le petit bois ,les caravanes des gens du voyages plantées en rond. Il y a un type avec des cheveux gris, et long, un peu crasseux. Un visage buriné par l’alcool et  le soleil. On dirait un Lucky-Luke. Il a même un chapeau en cuir et de vieilles santiags noires, toujours une clope au bec. Une guitare sur  le dos , avec une grosse sangle multicolore. Il est toujours à l’entrée du champ. On ne rentre pas dans l’enceinte des caravanes si on n’a pas pris rendez-vous. Il faut montrer au type au cheveux gris, un genre de laisser-passer. Sinon, personne ne franchit le passage. Les mamans d’école n’aiment pas « les enfants des gens du voyage qui font baisser le niveau ». Il y a pourtant une jolie rouquine de Cm2 qui est très forte à l’école. Elle a un regard qui vous transperce. Elle a des beaux yeux verts en amandes et des taches de rousseurs. Des lèvres fines qui ne parlent pas beaucoup . Elle joue toute seule à la marelle au fond de la cour. Les enfants disent « qu’elle a des poux dans ces longs cheveux, la rousse ». La maîtresse dit  « c’est  méchant de dire ça, elle est très gentille, qu’elle ferait une super copine, et peut-être même qu’elle pourrait nous donner des places gratuites pour aller au cirque. Il parait que c’est la fille du gardien aux cheveux gris …

A propos de Carole Temstet

Née , à Paris en 1966 , animatrice d' atelier d 'écriture depuis 17 ans , dans les milieux scolaires et associatifs, j 'aide adultes et enfants à développer leur créativité et à y prendre goût au sein de l ' association Mots et Pinceaux à Nogent sur Marne. J'ai publié , un premier roman intitulé "Hors sujet" et un roman pour la jeunesse à partir de 9 ans " Violon d'étoiles" illustré par mes aquarelles, dit par P. Calmon (acteur) et joué au violon par I. Scialom (violoniste). (lien à trouver sur Publibook.fr) site FB : Carole Temstet

12 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | Enceintes”

  1. Merci pour ces retours, plaisir de vous retrouver !
    Rassurée aussi , toujours un peu frileuse d’ouvrir le bal même si c ‘est la canicule!!!
    Bon voyage à tous…

  2. Soufflée par la si rapide mise en place des lieux et des gens si justement ressentis! Bravo et merci, Carole…

  3. merci Carole tu plantes le décor, on arrive vraiment quelque part et tu nous ouvres le chemin : Bravo!

  4. Ça y est, je t’ai trouvée. Un peu de mal à reprendre les automatismes du système. J’ai beaucoup aimé ta première contribution. On y est !

  5. Heureuse de te retrouver pour cette nouvelle aventure ! Et un monde surgit devant nous, ses lieux, ses personnages, oui, c’est ça, on y est, et puis j’aime cette idée des paroles directes pré-jugées, a priori qui disent tant et tant de notre monde et de notre difficile « vivre-ensemble ». Heureusement la littérature est là pour les déjouer au service de l’humain ! Merci Carole.

  6. Hôpital Psychiatrique/Ecole Communale/parc/chapiteau de cirque/gens du voyages : tout le monde a son enceinte. Ça ricoche d’une enceinte à l’autre dans le Petit Bourg. Merci Carole !

  7. Ce petit bourg et ses entours, un instantané implacable. Votre écriture qui met à distance toute sensiblerie. Et c’est le monde tel, impitoyable. C’est très fort !