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Podcast
#rectoverso #16 | Après ce qui a été écrit
« Ils retrouveront peut-être le génie épique quand ils sauront ne rien croire à l’abri du sort, ne jamais admirer la force, ne pas haïr les ennemis et ne pas mépriser les malheureux. Il est douteux que ce soit pour bientôt. » — Simone Weil, L’Iliade ou le poème de la force
Que la force soit avec toi, mais qui es-tu, toi — homme, femme, enfant, vieillard, rien de cela, tout cela ? Tu pourrais dire je ne suis rien, je suis tout, mais la force ne t’écouterait pas. Elle passe, indifférente. Face à elle, il reste la faiblesse.
Et puis vint le silence.
« Et j’ai appris comment s’effondrent les visages, Sous les paupières, comment émerge l’angoisse, Comment le rire se fane sur des lèvres soumises… » — Anna Akhmatova, Requiem
Et puis vint le silence.
— Calme-toi, tu n’es pas encore traîné dans la poussière.
— Mais je suis mort déjà. Avec les morts on ne s’agite plus. On use le temps, on épuise l’ennui, la haine, l’amour. Tout s’écrit dans un perpétuel présent. C’est le cadeau : étrange cadeau qu’on déballe au terme de sa vie.
Et puis vint le silence.
Mais ce silence avait des marches. On y descendait, une à une, chaque marche plus basse, plus étroite, chaque marche un gouffre.
« Chaque marche un cri, chaque marche une perte. Chaque marche un vide — un vide plus profond. » — Marina Tsvetaeva, Poème de l’escalier
Et moi j’écris une marche, puis une autre, puis encore une. Je les efface l’une après l’autre, soit pour descendre plus bas, soit pour tenter de me hisser plus haut. Je sais déjà que ça ne servira à rien. Ce n’est pas l’importance d’une marche qui fait celle de l’escalier. Mais si je dois être vaincu par la force comme toute chose ici-bas, alors la forme d’un escalier me va — un gouffre ayant la forme d’une spirale, d’un colimaçon. Dans la descente comme dans l’ascension, on peut sans doute choisir son escale un moment. Chaque marche peut, pourrait, pouvait être aussi bien pic ou gouffre,
et c’était bien de ne pas le savoir d’avance.
#rectoverso #15 | Présentation Des Chiens
12
Le décor n’a pas une grande importance. Imagine un bord de mer, de longues allées. Revêtement couleur sable, antidérapant.
D’un côté, la mer immense. Remonte la voix douce de Graeme Allwright : La mer est immense, je n’sais voyager.
De l’autre côté, de hauts pins tournesols dont les basses branches, secouées par un stress hydrique, tentent malgré tout d’offrir une stoïque apparence.
47
Ce qui manque au capitaine Achab, ce qu’il cherche à harponner, c’est cette forme immense, insubmersible, de couleur blanche. Cette paisible apparence. Le bonheur de ce qu’il imagine être la quiétude d’un poisson dans l’eau.
89
Un homme promène son chien. L’homme est long mais son ombre plus grande encore. Le chien est maigre, jeune, nerveux. La laisse qui le relie au maître est courte.
Bel exercice à conseiller si tu n’aimes pas te faire rôtir comme un spare-ribs au bord de l’eau. Avise un banc, assieds-toi. Observe la longueur des laisses tenues par ceux qui promènent leurs chiens.
103
Une femme promène son chien. La laisse est longue. L’animal n’en profite pas.
Elle a noué un paréo autour de sa taille, peut-être pour dissimuler des fesses qu’on supposera proéminentes. Sur sa cheville droite, un tatouage en forme de code-barres.
118
Les bestioles se sont humées tant et tant que cela les a apaisées. Leurs maîtres font semblant de ne pas voir cet assaut olfactif.
Comme la vie pourrait être plus drôle si l’on pouvait ainsi, comme les chiens, se sentir.
152
Le parfum est sans doute un des principaux fléaux de l’humanité. Et en même temps une entrée incontournable pour accéder à la civilisation.
203
Les Noirs disent que le Blanc sent le cadavre.
La mer est immense, celle qu’on voit danser le long, le long des golfes pas très clairs.
244
Le succès commercial du Parfum tient sans doute au fait qu’on ne puisse plus se sentir les uns les autres en dehors des conventions de l’intime.
Où s’arrête l’intime ? On dit la sphère du privé, et être rond comme une queue de pelle.
312
Chez les Esquimaux, la nourriture est mâchée par les plus jeunes durant des millénaires pour nourrir les vieux édentés. Leur sphère d’intimité s’est contractée après s’être dilatée avec l’apparition du premier dentiste.
Je ne sais pas vraiment pourquoi je devrais éprouver de l’aversion à ce qu’on me mâche ma viande.
350
Je ne mange plus que de la viande blanche. Jamais froide.
Manger de la viande froide me rend Noir : j’ai l’impression de manger du cadavre.
389
Suis allé me baigner ce matin dans le gris général ciel et mer, tout en songeant à l’étoile du Chien.
[…]
502
Les dents de la mer. Cette pensée en atteignant la bouée jaune : pourquoi les requins ne viendraient-ils pas se nourrir ici, vu la barbaque à disposition ? Puis la langue des oiseaux pour se calmer. Revenir tranquillement vers le sable, l’aidant de la mère.
503
Après que mon frère a failli perdre un œil, on fit piquer le chien.
« Vous avez eu de la chance », dit le docteur à ma mère, comme si c’était elle qui s’était fait mordre.
504
Le chien fut enterré près du tas de fumier, au fond du jardin. Nous venions prier pour son âme de chien, mon frère pas rancunier et moi-même. Puis on allumait une liane et on fumait comme les adultes. Ça faisait tousser, c’était âcre.
Là-haut, dans le ciel, les nuages formaient des têtes de chien. On disait : « C’est lui, tu vois, il ne nous en veut pas, il est bien plus heureux là où il est. »
505
Au catéchisme, le curé essayait comme il le pouvait de nous extraire de notre animalité. Devenir humain, c’était déjà être propre.
506
Dans le feuilleton Thibaud des Croisades, les Sarrasins étaient aussi des Maures. Ils traitaient les chrétiens de sales chiens.
[…]
601
Ce chien a été renversé par une voiture dans le virage où nous habitions. Mon père a rentré la voiture dans la cour et a dit : « Bon, qu’est-ce qu’on mange ? »
Je suis ressorti de la maison ; le chien vivait encore. Son souffle était court et il pleurait. J’ai essayé de le caresser mais il a montré les dents.
Ma mère m’a appelé juste à ce moment-là : « Viens mettre la table. »
J’ai approché la main encore une fois et le chien n’a plus émis le moindre grognement. Il était mort.
642
Ce que les êtres humains ont dépensé en énergie, en inventivité, pour ne pas se sentir, tient du prodige. Un prodige bête à manger du foin, aurait dit mon grand-oncle, qui a toujours fait semblant d’être sourd.
643
Il disait les choses les plus insensées car il faisait semblant de ne pas prêter attention aux commentaires. Une sacrée force de caractère. Ou bien un égoïsme invraisemblable. Je n’ai jamais décidé vraiment qu’en penser.
644
Caractériser les gens par leur odeur. Mon grand-oncle sentait la foudre. Sa sœur, ma grand-mère, avait un souffle parfumé au grain de café.
Mon grand-père sentait l’essence et le cambouis. Sa vraie vocation aurait été d’être mécanicien auto mais au lieu de ça il avait senti le sang toute sa vie. D’abord à la guerre, il avait commencé à tuer des poulets dans une ferme allemande. Puis sur les marchés parisiens, où il vendait des lapins, des poules crevées.
Patty, la petite chienne caniche, sentait le chien mouillé.
701
J’ai longtemps fumé. Après mûre réflexion, c’était pour ne pas sentir l’odeur du monde. Trop d’émotions.
Quand j’ai arrêté, je n’ai pas découvert un nirvâna olfactif. J’ai noté que ma chatte n’a pas une haleine merdique, nonobstant le nombre de fois où elle lèche son derrière dans la journée.
742
On dit qu’il fait un temps de chien, malheureux comme les pierres. Aujourd’hui c’est canicule.
743
Je n’aborde pas les chiennes spécifiquement. Il faudrait un volume dédié.
744
Sortir le chien. C’est à l’aube ou à la nuit tombée. Un énorme chien, je m’en souviens.
Le poissonnier de la grand-rue de l’Isle-Adam devait dégager une odeur hostile. Le gros chien l’a mordu. Il a fallu le piquer lui aussi. Le chien, pas le poissonnier.
780
La peur et l’odeur. Sur quel critère culturel disons-nous : ça sent bon ou mauvais ?
781
L’ouïe c’est pareil. Quand tu dois dormir dans le tintamarre, tu découvres des rythmes internes insoupçonnés.
[…]
882
Je me demande si je ne suis pas un peu de ce chien qui mordit mon frère à l’œil. J’en ai longtemps éprouvé de la culpabilité.
J’aurais mérité d’être passé au fil de l’aiguille moi aussi. Piqué une bonne fois avec du sérum noir.
900
De tous les canidés que j’ai connus, seul un cocker savait faire de vrais yeux de cocker. Juste après vient un boxer, mais l’effort lui coûta tant qu’il mourut jeune.
901
Le fil utilisé pour recoudre l’œil de mon frère devait être une sorte de fil de pêche.
902
Que peut-on ressentir d’être piqué, quand on est vieux, qu’on a passé une vraie vie de chien auprès d’hommes frustrés, et qui pour un oui pour un non vous battent ?
950
Finalement je choisis une salade au poulet grillé, tomates, salade. Un mixte qui, dès la première bouchée, manque de me faire dégobiller.
972
Quand les gens s’ennuient je m’amuse. Et quand ils s’amusent je m’ennuie.
Toute agitation extérieure titille mon troisième œil, ce qui m’empêche de m’affoler.
C’est en grande partie à cause de cela qu’on m’a longtemps traité d’autiste.
973
Seules l’odeur d’ail ou d’oignon grillés réussissaient à me faire saliver. Je me plaçais devant les fourneaux, langue pendante.
[…]
1000
L’homme et la femme se toisent en se concentrant en même temps sur ce que font leurs animaux.
Ce pourrait être l’occasion de quelque chose qui ne se produit pas. On sent cette tristesse dans la distance qui s’installe lorsque l’homme marche vers l’est et la femme vers l’ouest.
Pas un seul jappement chez les chiens.
#rectoverso #14 | TIME MACHINE
Au moment où il va dire ce qu’il pense, l’image du mime Marceau apparaît. Et il comprend que ce qu’il pense n’a aucune importance. Qu’il vaut mieux aller sur la face cachée de ce qu’on pense toujours penser. Cette colère, cet amour, cette même vieille chose. Parfois ces textes me deviennent hostiles, imbuvables. Je cherche des rubriques. Je n’en trouve aucune qui vaille la peine. C’est comme si être seul me renvoyait à la marge de la marge. Ainsi, d’un seul coup d’œil, je vois les extrêmes comme des mains en train d’applaudir la farce. Le centre ne m’attire pas non plus. Rien.
Et dans trois siècles, il faut espérer que toute cette comédie soit achevée. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas. Jean-Louis Barrault se superpose à l’image du mime Marceau. Le paradis n’est pas ce que l’on pense. Rare que les choses soient ce qu’on pense.
Il est possible d’écourter. De ratiboiser. Au moment de parler, le mime Marceau prend la place. Ce que je pense n’a pas d’importance. Mieux vaut la face cachée de ce qu’on croit penser. Même boucle : colère, amour. Les textes deviennent hostiles. Je cherche des rubriques : rien. Marges des marges. Les extrêmes applaudissent la farce. Le centre, non plus : rien. Souhait pour dans trois siècles : fin de la comédie. Ne dis pas ce que tu penses. Barrault se colle au mime.
Je pourrais décliner tout simplement. Dire non. Non merci. C’est souvent le premier mouvement de la valse hésitation. Je pense non mais ma bouche dit oui, machinalement. De toute façon, ce que je pense n’a aucune espèce d’importance. Mais tout de même cette bouche.
Il décida de partir dans le Grand Nord… en quelle année déjà ? Il faut des dates, sinon on perd la notion du temps. Des rubriques, des dates. Nous voici bien partis. Équipés pour la journée.
Et si tu décides de ne pas écrire plus que ça pour aujourd’hui, si tu décides de ne pas écrire durant toute une semaine, le seul à qui tu manquerais ne serait que toi, toujours toi.
Recommence. Écoute le mot. Recommence. Dis-le tout haut. Recommence. Au moment de parler, l’image du mime Marceau me coupe la voix : ce que je pense n’a pas d’importance, mieux vaut longer la face cachée de ce qu’on croit penser — la vieille boucle, colère et amour confondus. Les textes se hérissent, m’éjectent. Je cherche des rubriques, rien. Marges des marges : d’ici, les extrêmes se répondent comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre ne m’attire pas non plus, rien. J’aimerais croire qu’en trois siècles la comédie sera close. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais décliner, dire non, non merci ; je pense non, la bouche dit oui, par habitude. On me parle de dates pour ne pas perdre le fil : le Grand Nord, en quelle année déjà ? Des rubriques, des dates : équipés pour la journée. Et si je n’écris pas davantage, aujourd’hui ni cette semaine, le seul à qui je manquerai, ce sera moi — toujours moi.
Non, toujours pas. L’histoire de ma vie résumée en trois mots et une pause pour dissocier ce bruit.
Parler, ou faire signe. Le mime prend la place et le centre n’est qu’un néant tiède. Je range, je décline, je diffère — et j’espère qu’un jour la comédie s’achèvera.
Pas besoin de placer de rubrique. Les cimetières en sont remplis. Cénotaphes, épitaphes, toujours un taff de vouloir enterrer les choses. Tu allais dire « correctement ». Oui, en général, le correct ment — car on sait bien que rien ne l’est véritablement. « Véritable », aussi, je te l’accorde.
Le jour où j’ai trimé deux mois pour me payer cette guitare. Ce serait autobiographique encore. Tu y tiens vraiment ? Imagine qu’on tombe, dans mille ans, sur ta fiche de paie d’un de ces deux mois. Ça nous ferait une belle jambe. En revanche, si tu t’extrais totalement de cette histoire, si tu te biffes, tu peux parler des magasins Grizot & Launay de L’Isle-Adam. Mettons dans les années 1975. Tu pourrais trouver de la documentation. Une histoire de vinaigre. Quelles étaient les marques dont tu te souviens encore ? Procter & Gamble ? Des produits qui rendent la vie un peu plus facile.
Le mot « solfétique » remonte comme une acidité dans la bouche. Tu cherches de la doc mais grand-peine à en trouver. D’ailleurs tu ne sais même plus exactement ce que c’était. Était-ce l’outil pour placer le rouleau de scotch d’emballage, ou bien le pistolet pour créer les étiquettes de prix ?
— ChatGPT, tu sais, toi ? — Oui : très probablement les étiqueteuses manuelles — pistolets à étiqueter, pinces à étiqueter — utilisés en GMS pour imprimer et poser de petites étiquettes. (Tailles courantes, molette(s) à chiffres, rouleau encreur, avance et pose en un geste. Exemples de marques : Monarch, Meto, Sato, Blitz.)
Et bien voilà. Voilà exactement ce que l’on retiendra de Grizot & Launay. Dans mille ans, pas grand-chose de plus. Et tout sera déformé, comme tout de nos jours l’est déjà. C’est obligé.
Au moment de parler, Marceau me coupe la voix : ce que je pense n’a pas d’importance, mieux vaut longer la face cachée de ce qu’on croit penser — vieille boucle colère-amour. Les textes se cabrent, m’éjectent ; je cherche des rubriques, rien. Depuis la marge de la marge, je vois les extrêmes se répondre comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre n’attire pas, rien. J’espère qu’en trois siècles la comédie sera close. « Ne dis pas ce que tu penses » : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais décliner, dire non, mais la bouche dit oui par habitude. On réclame des dates : le Grand Nord, en quelle année déjà ? Des rubriques, des dates ; nous voilà équipés pour la journée. Si je n’écris pas davantage, aujourd’hui ni cette semaine, je ne manquerai qu’à moi. Pas besoin de rubrique : les cimetières en débordent. Le correct ment. Alors je dévie : Grizot & Launay à L’Isle-Adam, années 1975, Procter & Gamble peut-être, et ce mot « solfétique » qui pique la langue — un pistolet à étiqueter ? Peu importe : c’est cela qu’on retiendra, et mal encore. Tout se déforme, forcément.
Parler ou faire signe. Depuis la marge de la marge, les extrêmes applaudissent la farce et le centre n’est qu’un tiède néant. On classe, on date, on corrige — et tout se déforme quand même.
Le collectif des adorateurs du rien. Celui qui fait tout pour exhumer des archives qui ne disent rien de rien. Il fut crée vers 2025, en France. S’inspire d’Alfred Jarry. A ne pas confondre avec une secte religieuse autrefois nommée Catholique. Eux pronaient que tout est dans tout et surtout tous pour un.
Dans quoi je classe ça ?
-Rubrique « fourre tout «
Nous sommes en 5000 après la Simca 1000. De l’eau a coulé sous les ponts. Il ne reste d’ailleurs qu’un mince filet d’eau dans la Seine. Malgré tout les efforts, les décrets, les avenants aux décrets, les dictatures, les années noires, celles des vaches enragées, celles de la farine d’insecte empoisonnée, celles du virus Gog du virus Magog, celles de la révolution des fleurs, celles du départ pour Mars, celles de la découverte du vaisseau fantôme, celles du retour à la terre, celles du revenu universel, celles où l’IA a failli nous détruire.
Tu ne devrais pas lire ce genre d’ouvrage idiot , dépèche toi on a encore toutes ces antiquités à télécharger dans nos puces neuronales.
Y et X sont dans le même collectif nommé « on garde tout on ne sait jamais ». en SIGLE ça donne OGTONSJ et ça se prononce comme on peut.
Le vieux livre » the Time Machine » est posé sur un coussin de velours rouge au centre d’une colonne de plexiglas. Tout autour le sable s’étend à l’infini. Un océan lent de dunes. De loin on peut apercevoir un point noir dans le ciel. Ce point noir grossit. C’est un engin volant. A l’intérieur des êtres humanoïdes.
What the fuck !? dit une voix en se penchant pour voir le paysage au travers d’un hublot.
Naissance d’un nouveau collectif en l’an 11200 après la chûte du Tyran Nosor. Les lecteurs de vieux papier. C’est en fait un jeu de rôle planétaire. Des vieux ouvrages ont été disséminés sur l’ensemble du système solaire. Ceux qui liront le plus seront récompensés par un prix extraordinaire : le droit d’écrire leur vie. On n’en tirera qu’un seul exemplaire que l’on mettra sous globe quelque part dans la galaxie du Centaure, soit sur une île entourée d’une mer de mercure, soit dans une chapelle au sommet d’une montagne de X428 ( voyage à réserver dès la naissance car les files d’attente sont longues comme le bras du géant de Syrius qui en fait est un pouple doté d’une mémoire infaillible, d’une intelligence rare, mais qui en cette année 11202 donne quelques signes de faiblesse. Heureusement la firme je répare tout (JRT) est déjà en train de pomper ses vastes connaissances dans une puce de génération 5.
#rectoverso #13 | sans éducation
Personnages :
VOIX (narrateur)
CHOEUR
VOIX
Sans éducation mais que feriez-vous donc dans la vie, me dit-elle.
sang et duck duck duck
cassons cassss cassss cas sion mmmmm é mmmmé
queue fffffffe ffffffe
riez vooooooussss
d’oncques don dondon don
queue dans dans dent lave
iiiiiii la vis l’avvvvvie
meuh meuh meuh
mmmmmmmmmmm
dddddi tel tel tel
tttttttttttt ‘hell
VOIX
Mais que lui prend-t-il
qui lui prend quoi
quoi donc est pris
CHOEUR
— la main dans l’sac.
VOIX
Le ressac le ressac
CHOEUR (bis)
— Mais que lui prend-t-il
— Mais que lui prend-t-il
VOIX
à cet hurluberlu
CHOEUR
— Que lui prend-t-il à cet… à cet hurluberlu
— Le ressac le ressac
VOIX
Sac âge ses tours mentent
zozotaient-ils les zozos
en levant les z’yeux z’o ciel
CHOEUR (trois fois)
— En levant les z’yeux z’o ciel
VOIX
Il me prend dans ses bras
pas toujours dans ses rhoo
ajoute tas d’ailes
pas tou pas tou jour
dans ses dansez dansez maintenant
dans ses rhooo
VOIX
Roméo, Juliette a du monde au balcon
tiens au bal qu’on tient chez juju la layette
quel monde… c’est con
VOIX
Si si si… non
j’aurais j’orée j’or ai
jou jou joue contre joue
joué une séré… une sérénade
CHOEUR
— Ilot rat joue et serré nade
#rectoverso #12 | Emblème
Codicille
J’aurais pu partir d’Alexandre Nevski, évoquer la bataille du lac Peïpous, ce 5 avril 1242 où commence la légende. Parler de la confusion des dates, du lac Ladoga, des batailles des glaces — il y en eut tant et tant. Mais non. Inventer par-dessus l’invention me paraît inutile.
J’espère que l’ensemble des textes fait un peu apparaître cette quatrième strate fantôme, celle qui nous place collectivement devant une impossibilité et, par extraordinaire, nous offre en même temps une ouverture.
1965, La Varenne-Chennevières
Au-dessus du cosi, une plaque de bois sombre, veinée comme une vieille peau. Une tête de mort et deux poignards croisés, les lames fines se rejoignent dans un vide central. La poussière s’est incrustée dans les lettres cyrilliques, le vernis a craquelé par endroits. L’attache triangulaire pend légèrement, comme si elle avait perdu sa tension, et le clou nu, sans tête, traverse un éclat d’enduit.
Peut-être un trophée arraché dans une ville en flammes. Peut-être acheté dans une échoppe portuaire, offert par un homme déjà mourant. Peut-être qu’il n’a jamais rien eu à voir avec Kornilov. Peut-être qu’il sert seulement à habiller un silence.
Aujourd’hui, le crépi beige absorbe la lumière. Il n’y a plus de cosi, plus de plaque, plus d’attache. Je tente de placer mentalement l’objet au-dessus d’une fenêtre, mais il flotte dans l’air. Dans la vitrine du café, mon carnet reflète le passage d’un bus rouge qui déforme les lignes. Je note : rien ne colle.
mars 1975, Limeil-Brévannes
L’adolescent saute du premier étage, les pieds s’enfoncent dans la terre meuble. L’odeur d’humus froid remonte avec l’impact. La lune éclate derrière les nuages puis disparaît. Un frisson lui parcourt les bras.
Peut-être que le corps sait avant l’esprit. Peut-être qu’il porte du sang slave. Peut-être pas russe : estonien, finlandais, danois. Peut-être un sang sans patrie, sans drapeau. Peut-être que cette vérité restera endormie longtemps.
Le jardin est aujourd’hui grillagé. La fenêtre a été remplacée par un vitrage coulissant. Je ne saute pas. Je sirote un café tiède. Le ciel est vide. Pas de lune pour bondir.
Vacances d’hiver 1966, La Varenne-Chennevières
Sur la table, l’Assimil russe est ouvert à une page bleu pâle. Un homme robuste tient un enfant de six ans sur ses genoux. « Répète après moi : ia lioubliou, caco ia nié lioubliou tchaï. » L’haleine d’ail et d’oignon est chaude, insistante. Derrière un mur mince, une voix de femme : « Pourquoi lui apprendre le russe ? » — « Parce que je n’ai plus rien que mes souvenirs. »
Peut-être qu’il ne parlait pas vraiment la langue. Peut-être que ces phrases n’avaient jamais été prononcées ailleurs que dans ce manuel. Peut-être que l’enfant a gardé plus l’odeur que les mots. Peut-être que ce n’était pas une langue qu’il voulait transmettre, mais la persistance d’une voix.
L’appartement, aujourd’hui, est repeint d’un blanc sans nuance. Les volets sont en PVC, les jointures neuves. Il n’y a plus de table, plus de livre, plus de voix derrière la cloison. Au café, un reflet dans mon écran : mon visage sans haleine d’ail.
Fort de Vincennes, 1982
Un éclat de lumière glisse sur le métal des poignards. Badge, écusson, uniforme. Deux silhouettes se tiennent dans l’air sec. Un nom est prononcé : Kornilov.
Peut-être qu’il aurait dû répondre non. Peut-être que ce sang-là ne vient pas des batailles. Peut-être un sang de marche lente, d’exil discret. Peut-être que le rêve de Norvège n’était qu’une sortie de secours.
Les murs du fort sont toujours là, pierres froides, épaisses. Aucun lieutenant, aucun plan de fuite. Le périphérique gronde au loin. Dans mon carnet, je dessine des têtes de mort minuscules, serrées comme des insectes.
#rectoverso #11 | seize
Codicille
Pourquoi 162 ?
Certains diront que c’est un hasard ancien, la longueur d’un rouleau, la patience d’un copiste ou l’inspiration d’une nuit.
Mais moi je pense qu’il fallait bien finir quelque part. Et que finir, c’est toujours recommencer.
162, c’est 1 + 6 + 2 = 9. Et après 9 ? On recommence : 0.
C’est une boucle. Un retour. Le moment exact où ce qu’on a nommé disparaît de nouveau.
C’est pour cela que je n’en propose que 16.
Parce que 1 + 6 = 7.
Et que 7, c’est le nombre de mondes, de cieux, de nains, de notes, de jours.
C’est le juste excès. Le seuil du visible.
À quoi bon pousser au-delà si l’infini est déjà là, dans le nombre impair qui rassemble ?
Chaque phrase ici est une poignée de sable — mais si on les jette ensemble, elles dessinent peut-être un passage.
Un verso. Ou un silence.
Verso
- Le souvenir est éreintant mais pas son parfum
- Si la jeunesse pense à mourir, c’est qu’elle n’a pas encore trop vécu
- La vieillesse peut être très triste si on n’a pas de petite joie pour compagnie
- On dit que Jimmy Hendrix était un garçon timide et on dit aussi que John est resté à contempler sa dent carriée un bon moment
- On dit que on dit qu’il ou elle
- Trouver le vivant dans le mort et son contraire
- Pourquoi s’arrêter à 162 sinon parce qu’après 9 tout repart à 0
- Sans un plan qui tombe à l’eau, on ne sait rien de la dureté des sols
- L’inconscient sait d’avance ce que tu n’as pas encore imaginé
- Si j’avais le temps j’aimerais bien m’arrêter un peu pour le voir passer
- Que laisse-t-on derrière soi de précieux, se demande-t-il en plein été sur la route
- Si l’on sort du spectacle, on ne trouve que des vêtements au sol
- Pourquoi un extraterrestre voudrait s’intéresser à toi
- Il faudra être mort pour se déplacer plus vite que la lumière
- Si je n’existe plus, je ne suis plus seul
- Tout parle, mais peu écoute
Recto
Soie. Doux, odorant, s’échappe. Cruauté aussi. Mais une cruauté qui ne fait pas mal à autrui. Une déchirure de l’air. Est-ce cruel pour soi, pour l’air, difficile de le dire. Et d’ailleurs pourquoi faudrait-il le dire.
Un bol intact, dans une lumière du matin. Un sourire qui n’a pas besoin de public. Le fait de ne pas répondre immédiatement, et de n’en éprouver aucune culpabilité. Une fenêtre entrouverte sur un champ qui n’appartient à personne, mais qu’on regarde comme s’il nous reconnaissait. Être à l’abri d’un désir qui ne nous concerne pas, entendre quelqu’un parler, et rien vouloir ajouter. Se tenir là, dans le retrait, et pourtant sentir que l’on pèse dans le réel.
Un ballon rouge s’envole. Il y a un grand ciel et un point rouge. Il y a des toits en dessous, mais ce ne sont pas les mêmes toits au départ et à l’arrivée. C’est dans un film. C’est drôle parce que c’est paradoxal. Des images en noir et blanc sauf ce rouge. Cette espoir dans un ballon rouge qui flotte dans le ciel, pour rien. C’est un espoir sans but, c’est pour ça qu’il est beau, qu’il me plaît.
Luxembourg. Le mot lumière ici c’est bassin. Au milieu du bassin le jet d’eau. L’eau en retombant sur l’eau crée un mouvement. Il est remarquable si l’on prend le temps de l’étudier que les déchets se regroupent par affinité. Ainsi les bâtonnets plats se rangent à côté des bâtonnets plats, les emballages de chupa chups font une ronde, les balles de ping-pong jouent à s’entrechoquer ensemble. Chaque jeu n’inclut que les membres appartenant au jeu et ignore tout des autres jeux.
#rectoverso #10 | paupière tombante
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voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile.
Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux.
Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire.
Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé.
la honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. |
La honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend. |
#rectoverso #09 | tension silencieuse
recto
Le bleu de travail. Le plus souvent café, selon ce que dit Talleyrand. Fort. Enfer. Les yeux pochés, jamais de bacon. Raide comme la justice derrière le genou, ce qui n’aide pas à plier.
Le pain. Il remplit un trou, temporairement. Un goût de sueur, évidemment. Pas de croix au dos avec un couteau, pas de bénédicité. Le pain nous mène à la baguette.
La cuisine. Petit coin étroit, confortable. Il faut rentrer son ventre pour s’asseoir en bout de table. Un peu de dignité : se laver les mains des propos diffusés par le poste. Apercevoir des pigeons, frères et sœurs, à la fenêtre.
verso
La Clark. Rebelle, elle baille aux corneilles. Démarche souple, un peu trop. Comme une danse auguste, une clownerie résistante. Elle lutte, sans pancarte, contre le cirage de pompes généralisé. L’odeur devient suffocante, sur le tard.
La soupe au lait. Elle indique le soir mieux que la pendule. Sa forme dépend de l’humeur, du fond du placard. À boire et à manger. Un tout-en-un qui s’avale chaud, tiède, rarement froid.
L’appentis. Il sent la peau de poisson séché, la vieille ficelle, le caoutchouc des bottes. Bardé de bois à nœuds, bon marché. Couvert de tôle ondulée. Une accumulation de choses, qui semble du désordre, mais qui ne l’est pas.
#rectoverso #08 | Amer Caïn
recto
Il m’est soudain devenu difficile d’écrire comme de parler. Impression que tout ce que je peux dire ou écrire sera de toute façon faux, inintéressant, ridicule. J’ai l’impression d’être revenu des années en arrière. Peut-être 79 ou 80. C’est si loin. Je ne me souviens que de cette difficulté à dire que j’avais retrouvée dans l’envie d’écrire. La difficulté de dire, en y réfléchissant, remonte à bien plus loin. Elle est associée à l’enfance. C’est qu’on ne prenait pas la parole si facilement. Ou peut-être que la parole des enfants était du pipi de chat. Tiens. C’est venu comme ça. Du pipi de chat. C’est-à-dire rien, ou presque.
C’est difficile de ne pas inventer. De dire les choses telles qu’elles sont. Ce que l’on appelle « dire la vérité ». Comme ils disent. Une fois j’ai voulu tuer tout le monde à cause de ça. Quelle vérité. C’est au même moment que je cesse de parler de toi. Je crois qu’il y a un lien avec cette histoire de vérité. De toute façon, on ne me croit pas. On dit que j’invente, quand on ne dit pas que je mens.
Je me vois entrer dans une librairie près de la gare de l’Est, acheter ce premier carnet de la marque Clairefontaine, couverture verte à motif écossais, petits carreaux. Et un feutre le plus fin possible, le plus fin cela devait être du 0,5. Et cette envie d’écrire, d’où vient-elle sinon de cette impossibilité de dire qui remonte. Une acidité. Et je crois que tu es associé à tout cela. Je ne m’en rends pas compte encore. Pour l’instant j’ouvre le carnet, est-ce que je dois écrire tout de suite sur la première page ? Ou bien peut-être laisser une page libre, écrire sur celle d’après. C’est une question. C’est un prétexte. Il faut que je mette la date pour ne pas oublier. Quoi. Je n’en sais rien. C’est sans doute une habitude qui revient avec la difficulté. Qui l’accompagne. Inscrire la date du jour, en marge sur un cahier. Je te vois ricaner. Tu te moques de mes velléités d’application. Tu essaies de me dire quelque chose que je ne désire pas entendre. Que je repousse. L’exact contraire de ce que tout le monde autour me dit. Applique-toi et… tu obtiendras, tu auras, tu pourras. Cette fois tu ris franchement. Je le retrouve, ce rire. Non, je ne dis pas que tu ris de bon cœur. Ce ne serait pas la bonne expression.
Tu ris tristement. C’est une chose que je n’avais encore jamais relevée. Et maintenant je peux accoler ces deux mots, rire et tristement. Et c’est toi. C’est tellement toi. Cela je ne peux pas l’exprimer la première fois. J’éprouve une peur inouïe en entendant ce rire. Il y a quelque chose qui ne va pas. C’est évident. Cela saute aux yeux — ou à l’oreille plutôt. Cette fausseté apparente qui vient briser l’idée de justesse apprise.
verso
Tu m’as laissé tomber l’été 1967, pour être précis. Ça s’est passé en fin de journée, vers 18 heures, je m’en souviens comme si c’était hier. Tu étais en train de tailler des flèches en vue de tuer le plus de monde possible. J’arrangeais les plumes des empennages, nous étions là tous les deux juchés sur la tonnelle, concentrés sur notre colère. Cette colère qui, le croyais-je, nous soudait. Et puis tu as détourné le regard, il y a eu ce bruit dans l’escalier de l’autre côté du grillage, chez Muguette, la voisine. Des gens arrivent. Ce sont des étrangers. Des Américains. Tu te souviens de ce mot. Américains. Je n’arrive toujours pas à comprendre l’effet que ce mot a pu avoir sur toi. Est-ce que c’est parce qu’il contient âme, ce mot. Amer. Caïn. Est-ce que c’est parce qu’on vient d’enterrer l’arrière-grand-père. L’œil dans la tombe. L’Hypnose de vouloir croire en quelque chose. Ces choses étranges que tu apprends au catéchisme. Je te rappelle les choses telles que je les ai vues et entendues. Rien de moins, rien de plus. D’ailleurs, Jennifer, si tu veux le savoir, je nie faire est beaucoup moins fort qu’Amer Caïn J’espère que tu t’en rends compte toi aussi à présent. Mon pauvre vieux, tu es tombé dans tous les panneaux. Heureusement que j’étais là, sinon je n’aurais pas donné cher de tes os. Il fallait que j’en aie, de la patience. Pourquoi ai-je eu tant de patience. Tu pourrais trouver ça suspect un jour. Une patience suspecte, c’est aussi bizarre qu’un rire triste, tu ne trouves pas.
#rectoverso #07 | sans dehors
recto
Le fait que c’est samedi, encore samedi, toujours samedi, que ça revient sans rien changer, que je me lève sans envie, sans élan, sans même une vraie fatigue, le fait que je n’ai rien fait de ce que j’aurais dû faire, que je n’ai pas ouvert le fichier, que je n’ai pas lu le texte d’hier, que je n’ai rien corrigé, que tout m’échappe dès le matin, que tout me pèse sans poids, que le Dibbouk est là, à l’attendre, que je fais semblant de l’attendre, que j’espère qu’il parle à ma place, le fait que je rature, que je reviens, que je bloque, que je répète, que chaque mot me glisse entre les mains, que tout est tiède, flou, lent, et que je veux que ça bouge, que ça parte, que ça explose, que ça s’arrache, que je tape plus vite, que je noie le silence dans les lignes, que je me perds dans les boucles, dans les titres, dans les noms de fichiers, dans les balises sans fin, le fait que je veuille secouer quelque chose en moi, faire sortir, faire jaillir, mais que rien ne vient, que ça reste là, collé au fond, le fait que j’essaie d’écrire pour échapper à ce que j’écris, que je me relis et que tout m’endort, que tout s’endort avec moi, le fait que je pense à d’autres textes, à des anciens, à ceux qui n’ont rien changé, que je cherche un ton que j’ai déjà usé, que je me répète, que je m’épingle dans mes propres phrases, que je tourne en rond, que je tourne, que je tourne encore, que je ressens cette lenteur comme une menace, comme un puits, et que je cours pour ne pas y tomber, le fait que ça ne sert à rien, que ça me rattrape, que je suis déjà dans le puits, dans le ventre vide du samedi, dans le souffle court de tout ce que je ne fais pas, que je me débats dans du sable, que je parle trop, que je pense trop, que je pense rien, que je ne pense plus, que je m’épuise à chercher une issue, une phrase, une image qui tiendrait, le fait que rien ne tienne, que tout glisse, que tout se répète, que lundi approche, que je suis déjà dans lundi, dans la peur molle de lundi, dans le fond usé de tous mes retards, que je suis encore là, planté dans cette chaise, que je voudrais sortir de moi mais que je suis moi, que je suis là, encore, encore, encore, que je suis seul dans ce dedans sans fenêtres, que je suis à l’intérieur de tout ce que je n’ai pas fait, que je tourne et que je tourne et que je tombe toujours au même endroit, que je suis cerné, cerné de partout, cerné par moi, par tout ce que j’évite, que je suis l’écho de moi-même et que ça ne s’arrête pas, que je ne m’arrête pas, que je ne sais plus comment faire pour m’arrêter.
verso
Le fait que je sois resté là, que je n’aie pas bougé, que je sois resté dans la même pièce, sur la même chaise, dans la même phrase, que tout se soit resserré autour de moi, que je n’aie plus su comment m’en défaire, que la lumière ne changeait pas, que l’écran restait allumé sans rien dire, que les mots tournaient en rond dans ma bouche, que la gorge se serre, que l’intérieur devienne l’unique endroit, que je cherche l’air et que je n’en trouve pas, que chaque chose pensée ramène à la suivante, que je ne sorte pas de moi, que rien ne m’aide à sortir, que je sois pris dans un filet mou, dans une masse tiède, dans un flottement sans début, sans fin, que je sois resté là à attendre un orage ou un choc ou un cri ou un rien, le fait que je me sois vidé à force de vouloir fuir, que je me sois épuisé à lutter contre un poids sans nom, que je me sois effondré sans même tomber, juste tassé un peu plus dans le dedans, que ça se soit calmé comme ça, non par paix mais par extinction, et que peu à peu, le souffle revienne, plus bas, plus long, plus large, que les mains soient revenues, posées sur la table, que le corps se rappelle à moi, que les jambes reprennent leur poids, que les sons reviennent lentement, d’abord le frigo, puis un frottement contre la vitre, puis plus rien, mais un plus rien habité, le fait que le sol se refasse sous mes pieds, pas ici mais ailleurs, plus ancien, le fait qu’un champ me revienne, un champ de rien, un champ de toujours, avec des haies épaisses, du cornouiller, des ronciers, des orties grasses pleines d’eau, vertes, presque brillantes, le fait que je sente leur odeur sans les voir, que je marche dans le trèfle, que je sois jeune, ou vieux, ou sans âge, que je sois là et qu’il ne se passe rien, que le ciel soit blanc, qu’il fasse chaud, lourd, sans drame, que les vaches soient couchées dans le fond, immobiles, que les mouches volent bas, lentes, sans intention, que les feuilles ne bougent plus, que le vent ait cessé de chercher, que je sois debout sans raison, dans l’herbe humide, que les sons soient lointains, éteints, que la lumière n’ait pas de direction, que je sache qu’il va pleuvoir, mais que cela ne change rien, le fait que les nuages gonflent, que le ciel se tende, que le jour ne bouge pas, le fait que la pluie vienne enfin, large, épaisse, sans colère, qu’elle tombe sur moi comme sur le reste, qu’elle me lave sans insister, qu’elle rafraîchisse ce qu’elle peut, que le champ respire à nouveau, que les bêtes ne bronchent pas, que tout reste, simplement, là, exactement là, que je sois dedans, que ce soit revenu, le champ, le calme, l’herbe, l’eau, le goût d’oseille, le poids de mes bras, le silence après, et que ce soit exactement assez.Que ça me comble, totalement, enfin.
#rectoverso #06 | transports en commun et hall de gare
Recto
Je viens de faire un petit crédit à la consommation. Marre de me taper trois heures de transports en commun. Lyon – Saint-Laurent-de-Mûre, ce n’est pas que ce soit loin, une vingtaine de kilomètres à peine, mais en train ou en bus, c’est minimum une heure et demie le matin, et autant le soir. Sur une journée, ça va. Sur six mois, ça devient une forme de punition. Je sais de quoi je parle. Ce matin encore, en voiture, j’ai longé l’entrepôt Chronopost. Il était encore dans l’ombre, les camions dormaient debout, moteurs froids, phares éteints. C’est à ce moment-là que je me suis dit : j’ai enfin une bagnole. Pas neuve, pas brillante, mais elle démarre, elle roule, elle me ramène. C’est tout ce que je lui demande. J’ai repensé au crédit, à la femme au téléphone, celle de la société de financement. Elle m’avait demandé : « Vous avez un CDI ? » Et j’ai pu dire oui. Quel pied. Mais quand j’ai précisé mon métier, il y a eu un blanc. Rien de bien méchant, une seconde suspendue, mais je l’ai bien senti. La conversation a dérivé sur les tarifs. Elle avait pas mal de questions. Ils doivent pas être écoutés dans leurs bureaux. Moi non plus je ne suis pas écouté pendant le boulot. Je ne suis pas filmé non plus. Enfin… pas à ma connaissance.
Je me gare au bord de la dalle, derrière le bâtiment. Le béton est encore mouillé par endroits. Il y a de la rosée sur les touffes d’herbe maigres qui poussent le long des bordures. Je descends de la voiture, et ça craque sous mes pieds comme si je marchais sur des os. Le bâtiment lui-même est un bloc de béton rectangulaire, nu, gris, sans nom. Une longue bande vitrée court le long de la façade, mais on voit rien à travers, à peine quelques reflets. On dirait un centre de tri désaffecté, ou une piscine municipale fermée pour travaux. Quand je suis venu la première fois, je croyais m’être trompé d’adresse.
Dedans, c’est propre, froid, fonctionnel. Tout est béton, sol lisse, murs nus, éclairage neutre. Les machines sont noires, massives, silencieuses. Des fours. Le mien s’appelle Rouge-Gorge. C’est écrit dessus. Ça fait sourire la première fois. Après, non. Il y a des tuyaux jaunes, des câbles, des écrans de contrôle, des boutons rouges, des boutons verts, un manche en métal poli. Chaque matin, je mets ma tenue, je vérifie les voyants, je fais rouler le chariot, j’ouvre la porte. Je place le corps, je fais attention aux pattes. Toujours. C’est une habitude.
Les jours pleins, ça s’enchaîne. Des petits, des gros, surtout des chiens. Quelques chats. Parfois autre chose. Je lis pas les noms. Enfin si, mais pas à voix haute. À la fin, je referme l’urne, je colle l’étiquette, je glisse la fiche dans la boîte. Et je joins la petite enveloppe blanche. Dedans, une carte. Trois graines. « À planter en mémoire de votre compagnon. » Je supporte plus ce mot. Compagnon. Trop utilisé, trop triste, trop faux aussi. Une fois, j’ai ouvert l’enveloppe, juste pour voir. Des graines noires, minuscules. J’ai failli les garder. Puis je l’ai refermée.
Je me demande si les gens les plantent vraiment. Est-ce qu’ils versent les cendres sous un cerisier ? Est-ce qu’ils sèment, arrosent, attendent ? Est-ce qu’ils passent tous les jours devant le petit coin de terre en se disant : ici repose Ramsès. Ou Chiffon. Ou Lola. Moi, ça me touche un peu. Pas au point de pleurer. Mais ça reste là, en bordure. Comme les touffes d’herbe dans les joints de la dalle. On les arrache. Elles reviennent.
Verso
Je l’ai senti venir ce matin, pendant que je poussais le chariot. Une de ces pensées que j’ai pas appelées, mais qui débarquent quand même, entêtées. Pour que moi j’existe, que j’ouvre la porte de ce four, il a fallu combien de générations avant moi pour qu’on en arrive là ? Je sais pas d’où elle vient, cette phrase, mais elle revient. Toujours. Elle flotte un moment, se cale dans la nuque, reste là.
J’ai pensé à mon père. Il m’accompagne presque tous les jours depuis que j’ai pris ce boulot. Avant, il s’asseyait à côté de moi dans le train ou dans le bus. Mais ça durait jamais longtemps. Très vite, quelqu’un s’asseyait sur son souvenir. En voiture, on est mieux. Je le sens là, tranquille, silencieux. Ma mère aussi est souvent présente. Elle préfère les salons de recueillement. Elle me met une petite tape sur l’épaule, penchée un peu, les cheveux relevés comme à l’époque : « C’est bien, fils. Je suis tellement contente que tu te rendes utile. Je te laisse un moment, je vais m’asseoir au salon. » Elle aime bien le salon d’à côté, celui avec les fauteuils gris et la lumière indirecte.
Il y a aussi le cousin Karl, les deux nièces jumelles, Astrid et Liliane. La mort ne les a pas changées. Toujours en train de se chamailler, de rire, de courir d’une pièce à l’autre. Et parfois, quand je suis là, devant ce putain de four, c’est tout ce monde-là qui m’accompagne. Et puis il y en a d’autres. Des morts inconnus. Des morts lointains. Un véritable hall de gare certains jours, avec leurs costumes d’époque, leurs allures de travers. Certains avec des fraises autour du cou, d’autres en haillons, d’autres encore avec des peaux de bête, des sabots, des valises en cuir. Ça murmure, ça passe, ça stationne, ça observe.
Sans oublier la foule des bestioles, bien sûr. Elles courent partout, elles jouent les vivantes, elles font semblant de japper, de miauler, de caqueter, de piailler. Mais en vrai, on voit bien qu’elles ne peuvent pas. Elles ne sont pas comme les morts humains. Elles n’ont pas cette voix qui reste dans la tête. Elles sont là, pourtant, on les devine, minuscules ou massives, mais elles ne parlent pas. Elles ne hantent pas. Elles passent.
#rectoverso #05 | une maison parmi d’autres
Recto
C’est une maison simple. Elle ressemble à tant d’autres, le long de l’avenue Charles Vénuat, quartier de La Grave, à Vallon-en-Sully. Un rez-de-chaussée, un étage. Une cave, un grenier.
Au rez-de-chaussée vit Charles Brunet. 85 ans. Ancien instituteur et secrétaire de mairie. Il dit que sa vie est réglée comme du papier à musique. Chaque matin, il trempe le pain de la veille dans un bol de café noir, sans sucre. Il se lave le visage dans l’évier de la cuisine, s’habille lentement, et part, à pied, jusqu’au village, à quelques kilomètres. Qu’il pleuve ou qu’il gèle, il va chercher son journal. Ensuite, il fait ses mots croisés. Le reste de la journée.
À l’étage vit une famille. Le père est voyageur de commerce pour une société de revêtements bitumineux. Il part tôt, revient tard. La mère est couturière à domicile. Elle reçoit dans la salle à manger, les volets souvent à demi clos. Les enfants ont sept et quatre ans. Ils parlent avec l’accent du coin, pour ne pas qu’on les traite de Parisiens. C’est mieux, disent-ils, pour avoir des copains.
Dans la cave, les pommes de terre sont rangées dans des cagettes tapissées de feuilles de La Montagne. Sur des étagères bricolées : haricots verts, petits pois en bocaux. Cerises à l’eau-de-vie, prunes au sirop. La cave est une réserve. On n’y va pas tous les jours, mais on sait ce qu’il y a.
Le grenier est en désordre. On y monte par un escalier large. En dessous, une penderie : parkas, manteaux, costumes de laine. Au-dessus, des boîtes en carton et en métal : chapeaux passés de mode, chaussures, foulards, gants. Dans le grenier lui-même : des lettres de vielles cartes postales dont on n’arrive pas à déchiffrer la signature, des photos sans noms. On imagine des visages, des noms oubliés. Puis on referme la malle.
verso
J’ai garé la voiture devant la maison. Nous revenions de Saint-Bonnet, nous avions déjeuné à Hérisson, au pied du château. Un petit établissement, repas à moins de 15 euros.
— Arrête-toi donc, m’a dit mon épouse quand je lui ai montré la maison.
J’allais passer sans m’arrêter. J’avais ralenti pourtant. Mais je me suis arrêté.
C’était la même maison en apparence, mais comme vidée de quelque chose. Quelque chose d’indéfinissable.
Le lierre avait été arraché de la façade. La rangée de pommiers, celle qui séparait la cour du jardin potager, avait disparu. Même le vieux cerisier n’était plus là. Tout était propre, net. Trop.
Je regardais ça de l’autre côté de la route. J’avais envie de repartir.
— Attends, a dit mon épouse.
C’est là qu’une femme est arrivée, à vélo. Elle nous a regardés, méfiante. Elle a ouvert le portail, a fait entrer son vélo.
C’est mon épouse qui a parlé. Moi, je ne pouvais pas.
— Vous êtes la propriétaire ?
— Oui, a répondu la femme, mais son visage s’est encore durci. Elle ne comprenait pas ce qu’on faisait là.
— Mon mari a vécu dans cette maison, enfant, a dit mon épouse.
Alors c’est devenu pire. La femme a parlé de l’achat de la maison.
— Votre père était un type infect, elle a dit.
Je voulais repartir. Ça n’avait plus aucun sens. Je ne voulais pas savoir. Je savais déjà, ou je me doutais. Honte de lui. Et, tout de suite, honte de moi. Honte de tout.
— Viens, j’ai dit. On s’en va. Ça ne sert à rien.
Un autre type est arrivé. À mobylette. Une bleue. Comme on disait autrefois.
— On n’a rien à faire avec vous, a dit la femme, quand elle l’a vu.
On est repartis. Je ne suis jamais repassé devant la maison depuis.
#rectoverso #04 | Je peux vous appeler Malone
Recto
Je me souviens. Poupées russes. Un malentendu, certainement. Des silhouettes dans une rue. Bonjour. Une question inattendue.
— Tu les connais, ces gens ? — Non. Je croyais qu’il fallait dire bonjour à tous les gens qu’on croise dans la rue.
C’était pas grave, en apparence. Mais il y avait ceux à qui l’ on pouvait, et tous les autres à qui on ne pouvait pas. C’était déjà assez compliqué comme ça pour faire face aux masques. Il fallait d’urgence s’en composer un nouveau, celui de l’indifférence. On ne pouvait pas encore savoir s’il était bien commode. Si on était vraiment à l’abri derrière ce masque. Ça rendait assez maladroit, surtout si on oubliait qu’on se baladait avec.
Comme toujours, on exigeait de soi un choix, une décision : l’indifférence, ou pas.
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Verso
Je me retournai et il était assis sur ma propre chaise. J’avais été comme éjecté de celle-ci par une force centripète. Aplati contre un mur de la pièce, je reprenais mon souffle. Le choc, comme toujours, avait été violent. Il me fallait un peu de temps. Quand je me suis senti enfin prêt, je me suis donc retourné, et j’ai vu le malentendu dans le blanc des yeux, si je peux dire.
Il n’avait rien d’extraordinaire. C’était un de ces pauvres types comme on en croise à chaque coin de rue. Il était d’une banalité à pleurer. Cependant, comme nous étions seuls à présent, et que je ne savais plus où j’avais foutu mon masque d’indifférence pour me protéger, je me sentais nu, et je vis que le malentendu était nu lui aussi. Nous étions face à face et complètement nus. La situation, elle, n’était tout de même pas banale. Peut-être que ça rattraperait un peu les choses, m’étais-je dit. Et aussitôt, j’éprouve l’envie irrépréssible de le dire à voix haute : « Vous avez remarqué que nous sommes face à face et totalement nus ? »
J’hésitais sur la façon de le nommer. « Monsieur le Malentendu » paraissait un peu pompeux, voire obséquieux. « Malentendu » tout court , trop familier. Même si on se connaissait depuis belle lurette, ce n’était pas une raison pour se ruer dans la trivialité. Du coup, comme le malentendu de nommer le malentendu se faisait pressant, j’exposai ma difficulté :
— Comment dois-je vous appeler ?
— J’étais en train de me poser la même question, c’est cocasse, me répondit-il. Peut-être que l’on pourrait rester chacun dans un état innommable, si cela vous va, continua-t-il.
Je pensais à Sam et à Monsieur Hackett, puis je me mis à penser à un banc public. Je me souvins tout à coup que ce genre d’objet m’appartenait et que je pouvais en user à ma guise puisqu’il s’agissait d’un bien public. Ce qui n’était pas la même chose que d’être ici, dans cette pièce, où chacun des meubles qui la meublent est une propriété personnelle, certes, mais sur lesquels le malentendu peut s’asseoir quand ça lui chante.
Je ne suis pas enceinte, me dit Malone. Vous pouvez m’appeler Malone, me dit-il. Je vous ferai grâce des dîners au caneton. Puis il jeta un coup d’œil à sa montre et il me regarda sans rien dire. Un moment, un avion passa.
— Vous vouliez me demander quelque chose de précis ? reprit-il.
C’était tellement abrupt après cette courte période de silence et de léger malaise que je ne sus quoi dire immédiatement. Ce qui ouvrit soudain la porte, légèrement, à peine un entrebâillement, à tout un univers derrière celle-ci que je reconnus aussitôt à l’odeur. Une odeur de poussière déposée depuis belle lurette sur des meubles que l’on n’a pas utilisés depuis des lustres.
Il y avait là aussi un certain nombre de sensations paradoxales. Des draps rêches en lin invitant à se glisser dedans comme dans une armure en fer mais au final tout à fait confortables par temps chaud. Une peluche borgne aimée mais qui paraissait tellement abandonnée qu’un sentiment de culpabilité vous prenait aussitôt à la gorge. Un rai de lumière avec des milliers de grains de poussière traversant l’espace pénombreux d’une chambre à coucher d’enfant.
Il me fallut très peu de temps pour me rendre compte que tous ces objets, ces lieux, m’avaient un jour appartenu. Autant qu’un objet ou un lieu peut appartenir à qui que ce soit, d’ailleurs. Je les regardais et je me rendais compte qu’ils ne m’appartenaient plus. Ils m’avaient appartenu comme s’ils m’avaient laissé ma chance et que je ne l’eusse pas saisie au bon moment pour pouvoir les conserver.
Malone toussa et je compris que ça voulait dire que je m’étais égaré dans le souvenir et que ça ne l’intéressait pas du tout.
— Vous m’avez convoqué pour autre chose que la réminiscence de ces fadaises, dit-il sur un ton pointu de Parisien.
Ce qui évidemment me poussa immédiatement hors de ma rêverie. Et je l’en remerciais.
— Merci, mille fois merci. Sans vous, cher Malone, ça aurait pu durer des heures, voire des jours et des nuits.
Allons droit au fait ajouta-t-il en se détendant un peu, passant une jambe sur l’autre et renversant son buste en arrière pour bien la caler sur le dossier de la chaise.
C’est mon problème, lui avouai-je.
Aller droit vers un but. J’adorerais pouvoir le faire, croyez-moi, mais aussitôt que je mets un pied devant l’autre il se passe quelque chose de fort étrange, la ligne devient courbe et je finis par tourner en rond.
Il rit. Vous êtes un drôle de zigoto, vous… À un moment je cru qu’il allait me nommer Watt mais il se retint. Ce qui me procura une légère sensation de plaisir.
— Vous alliez m’appeler Watt ? l’interrogeai-je.
— Vous êtes en train d’esquiver, me répondit-il.
Je n’esquive rien, je suis même dans le centre du problème je crois. Il faut que je vous le dise : je sens les choses, Malone, mais je m’exprime mal. Je devrais plutôt dire « je sens des choses » car je ne suis pas certain que ces choses existent vraiment, et que je puisse en parler.
— Quelles choses, bon dieu, parlez ! hurle-t-il.
Et là je me souviens qu’il faut me recroqueviller jusqu’à réduire mon corps tout entier pour n’occuper qu’un minuscule point dans l’espace.
— Où êtes-vous donc passé ? me demande Malone.
— Je suis là, baissez les yeux, regardez là entre deux fentes du parquet, ce point noir.
— Et ça vous amuse ? (il rit)
— Je ne crois pas. C’est une sorte de réflexe : dès que ça hurle, je me transforme en point.
— Tant que ce n’est pas un point final…
— Allez-y, moquez-vous, j’ai l’habitude, vous savez.
— Ah, voici enfin un sujet intéressant, (Malone décroise les jambes et se penche en avant au-dessus du point que j’essaie de maintenir en invoquant toutes mes ressources d’« à quoi bon puisque personne ne me comprend, puisque personne ne m’aime, puisque personne ne voit que j’existe »)
— Que faites-vous vraiment pour exister ? reprend Malone.
— Je me dis que j’écris.
— Et vous le faites ?
— Oui, tous les matins j’écris entre 1000 et 1500 mots.
— Et ça vous sert à quoi ?
— À rien. Faut-il donc que les choses servent toujours à quelque chose ? J’existe ainsi « pour rien » si vous préférez.
— Si vous écrivez, c’est pour être lu, n’est-ce pas ? reprend Malone.
— Non. C’est ce que j’ai cru durant des années, mais ça aussi, ça m’est passé.
Le malentendu fit une drôle de moue puis il sifflota.
— À quelle heure est la bouffe dans cette baraque ?
— Vous esquivez quelque chose, Malone. Ce coup-ci, c’est votre tour, je le vois bien.
— Non, je n’esquive rien du tout. Quand je m’ennuie, j’ai faim.
— Moi aussi, tiens, répondis-je.
— Ça nous fait au moins un point commun. Vous auriez du caneton ?
Et de nous tenir les côtes, et de rire, et de pleurer soudain à chaudes larmes.
#rectoverso #03 | oui, il y a, oui
Il y a
Il y a la fente, le craquement, l’œuf, le calcaire, la coquille, l’éclosion, l’ouverture
et
il y a ce qui reste là qui n’est plus important.
Il y a l’élan, le lever du soleil, le chant, l’oiseau, la profondeur des cieux, le bleu.
Il y a le souffle, l’aspiration, l’air qui remplit les poumons, le hennissement, le cheval.
Il y a l’air, le rien, le vide, l’espace et l’intention.
Il y a le moment, la main qui s’ouvre sans pensée, pour aimer ou pour tuer.
Il y a la vie, le sang qui coule dans les veines, dans les artères, le cœur qui bat,
il y a la danse.
Il y a ce que l’on pense, ce que l’on croit penser,
que l’on imagine penser, ce que l’on voudrait ne pas penser
mais que l’on pense quand même.
Il y a la fatigue.
Il y a la lutte.
Il y a l’ignorance, l’inconnu, l’inconnaissable, la limite.
Il y a la petitesse du cercle des je sais qui s’amenuise au fil des ans.
Il y a ce glissement que l’on sent au bout des doigts,
ce crispement qui voudrait s’accrocher à quoi on l’ignore,
la peur.
Et il y a l’événement de l’abandon.
Il y a la chute vertigineuse dans un puits sans fond
dont on ne sait combien de temps elle durera.
Il y a le temps pour s’adapter à la chute,
et toute sa valeur enfin.
Il y a l’éveil au goût de cendre,
la boue et la terre qui terrasse,
la langue
qui emplit la bouche.
Il y a le silence.
Il y a l’éveil au fracas du silence.
Il y a la mort, la nuit, l’oubli, l’absence
et la fin des espérances,
la fin des désespérances.
Il y a le rien qui contient son don.
Il y a un coq qui chante,
il y a une cloche qui sonne,
il y a le souvenir des hirondelles
et de leurs nids de terre et de paille.
Il y a une nouvelle chance.
Il y a un printemps
et toute une file de poussins
qui traverse la boue dans la cour de la ferme.
Oui
Oui, tout cela est vrai et tout cela est faux.
C’est au-delà du simple jugement, et en même temps, il faut bien des jugements. Oui.
Oui, la haine est un réflexe pour certain(es), et sans doute plus honnête que la complaisance des je t’aime qu’on nous assène.
Oui, des gens s’entretuent tous les jours.
Mais des gens aussi s’entraident,
et nul ne tient le fléau pour dire : ceci est juste, ceci ne l’est pas.
Oui, la beauté n’est pas la chose la mieux partagée du monde,
et ce n’est pas la faute des ophtalmologues, des oculistes,
ni même celle de la pupille, ni de l’œil.
Oui, les éléments se moquent de savoir si tu es aimable,
comme des efforts renouvelés que tu as faits depuis huit jours pour le rester.
Oui, ce qui est juste nous paraît toujours plus accessible que ce qui ne l’est pas,
et pourtant tout l’est, quand on ne pense ni à soi ni aux autres.
Oui, nous mourrons tous comme nous sommes nés :
sans raison, sans mémoire, sans désir qui nous appartienne,
car rien ne peut jamais nous appartenir que ce que nous donnons sans y penser.
#rectoverso #02 | à ce stade de la nuit
Mai 1968
à ce stade de la nuit, je ne dors pas. J’ai soif, je me lève pour aller boire de l’eau. La maison est calme, comme la campagne tout autour, juste le frottement discret du vent dans les grands prunus de la cour Nous sommes en mai et plusieurs fenêtres sont ouvertes sur la nuit, laissant entrer le parfum des foins coupés. On peut entendre des grillons, la symphonie habituelle de l’été qui approche.
Je suis maintenant dans la cuisine et j’entends la télévision, une rumeur sourde qui tranche avec le silence habituel. Il y a des bruits étranges, des cris lointains, comme des oiseaux affolés. Un commentateur, d’une voix pressée, dit que c’est une « véritable révolution ». Je ne sais pas si c’est un film ou les informations, ces images urbaines sont tellement loin de la ferme et des vaches.
Je m’approche de l’entrée de la pièce, le plancher craque un peu sous mes pieds nus. Je vois mon père allongé sur le canapé du salon, une main posée sur son front. Ma mère est assise sur un fauteuil, sa lampe de couture projetant une auréole jaune sur ses doigts qui vont et viennent sur un morceau de tissu. « Que fais-tu debout à cette heure-là ? » elle demande, sans lever les yeux de son ouvrage. « J’ai soif et je n’arrive pas à dormir », je réponds.
Je jette un regard sur l’écran. On voit une ville, je pense qu’il s’agit de Paris, une drôle de nuit là-bas. On voit des policiers, ils portent des casques et des armes qui brillent sous les lampadaires. Il y a des pavés en tas sur le bord d’un boulevard, comme des tas de cailloux que Papa ramasse dans les champs. La caméra bouge, ce qui ajoute à l’effet de désordre, tout est flou et rapide. « Il faut retourner te coucher maintenant », dit mon père, sa voix est un peu tendue. Il a l’air inquiet, je ne l’ai pas vu comme ça depuis la grippe de Papy. Ses parents qui sont aussi mes grands-parents habitent à Paris. Je demande si c’est un film ou si c’est pour de vrai, j’ai envie que ce soit un film. Maman veut me rassurer : « C’est un film, ma chérie, ne t’inquiète pas. » Son fil s’est emmêlé.
Je repars vers la cuisine, un petit vent frais pénètre dans la pièce. Il provient des collines dont on devine les silhouettes au loin malgré l’obscurité, des formes douces et endormies. Je me demande si les bruits de Paris arrivent jusqu’ici, portés par ce vent.
***
octobre 1973
à ce stade de la nuit, j’ouvre les yeux et je vois la lumière crue d’un lampadaire qui pénètre par l’interstice du rideau et vient éclairer le mur. Quelqu’un, avant nous, a dessiné une femme cruelle à l’encre de Chine sur celui-ci, avec des cheveux noirs et des dents pointues. Je pense qu’elle se nomme Vampirella, une héroïne de bande dessinée que mon frère a lue. Nous habitons cette maison depuis peu, ici en banlieue parisienne, une maison de lotissement avec un petit jardin ridicule. J’ai désormais ma chambre à moi. Mon frère celle sur le même palier, à l’étage. Nous avons tout l’étage pour nous deux, même si l’escalier craque à chaque pas.
Les affaires de mon père marchent bien, du moins, elles marchaient bien jusqu’à ces derniers jours. Il travaille dans une firme qui vend des toitures bitumineuses ou asphaltées. Mais le choc pétrolier de 1973 nous ébranle tous à différents niveaux. Les adultes parlent de « crise », de « pénurie », des mots qui sonnent secs et froids. Mon père doit aller pointer au chômage, c’est ce qu’il a dit, sa voix est plus grave. Il n’a pas de diplôme, ça, il le répète souvent. Il doit rencontrer des psychologues pour passer des tests, des gens qui posent des questions bizarres, il n’aime pas cela du tout. Sa silhouette est moins droite le soir quand il rentre.
Ma mère a abandonné son entreprise de couture, ses machines sont restées à la campagne lorsque nous sommes venus nous installer ici. Elle a commencé à peindre depuis une année ou deux, des couleurs mélancoliques, des paysages qui ne ressemblent pas à ceux d’ici. Devant chez nous passe l’Oise, qui est un fleuve assez sale, j’ai vu des choses flotter. Sur ses berges, il y a beaucoup de déchets, des papiers gras, des vieilles bouteilles, et mêlées à des nappes de mazout qui brillent en arc-en-ciel quand le soleil tape. Des péniches passent devant nos fenêtres, lourdes et lentes, c’est un spectacle incessant, ça fait vibrer les vitres.
Rien ne me plaît ici. Je regrette ma vie d’avant, les champs à perte de vue, le silence profond de la nuit, l’odeur de la terre après la pluie. Ici, même les grillons sonnent faux.
***
novembre 1989 :
à ce stade de la nuit, P. dort. Sa respiration est régulière, un léger souffle contre mon épaule. Je me suis réfugiée dans l’alcôve, recroquevillée sur moi-même, pour écouter les informations. La radio, une vieille Philips posée sur le tabouret bancal, diffuse heure par heure ce qu’il se passe en Allemagne, un flot ininterrompu de voix excitées et de reportages haletants. Et maintenant, ça y est : la voix du journaliste tremble, on l’entend presque pleurer. Des Berlinois de l’Est viennent de forcer le passage à différents check-points du Mur, avertis par les médias Ouest-Allemands que les autorisations de passage de la RDA vers la RFA, soumises au compte-gouttes depuis des décennies, sont levées. La destruction du Mur commence cette nuit même. C’est inouï. C’est un événement que je ne pensais jamais vivre. Je me demande s’il faut réveiller P. pour la prévenir, partager ce moment qui marque la fin d’une époque, d’un monde. En même temps, assister à cet événement historique ici, dans cet appartement de la Bastille où nos silences sont devenus si lourds, peu avant notre rupture définitive, réveille en moi un désir égoïste de le garder pour moi jusqu’au matin. De le savourer seule, ce secret du monde qui bascule. De ne pas briser ce silence d’avant la fin, avant la bascule de notre propre mur. Les voix à la radio sont celles de la liberté retrouvée, mais dans la pièce, je n’entends que le battement de mon propre cœur et le souffle de P., ignorant encore que le monde vient de changer
***
juillet 1994
à ce stade de la nuit, j’ouvre les yeux et j’entends la pluie. Elle tombe dru, une nappe sonore qui enveloppe la vieille maison de Montfort l’Amaury. Des gouttes de pluie, fines et froides, pénètrent dans la cuisine par la fenêtre mal ajustée, et la chatte, accroupie sur le rebord, miaule, un son plaintif et aigu. Je regarde le réveil, ses chiffres verts dans le noir : il est 4 heures du matin. Trop tôt pour se lever, trop tard pour se rendormir.
Je me fais un café, l’odeur amère remplit la pièce. J’allume l’ordinateur que je viens d’acheter d’occasion en même temps que j’ai emménagé dans cette vieille maison. C’est un drôle de meuble gris clair, avec un écran qui prend du temps à s’éclairer. Le modem est poussif, son sifflement plaintif de fax déforme l’air, mais au bout d’un moment, après des grésillements et des bips, la connexion se fait. Je me rends sur AOL, cette fenêtre sur le monde qui s’ouvre, ligne par ligne.
En gros titre, je lis les mots, noirs et lourds : génocide, Tutsi, Noroît, Front Patriotique Rwandais. Dur de se réveiller avec ça. C’est comme si le café se glaçait dans ma tasse. Je vais faire un tour sur ma messagerie, chercher une distraction, une bulle d’air. La chatte vient me rejoindre, elle grimpe sur mes genoux, ses griffes douces dans mon pantalon de pyjama. Nous regardons l’écran encore un bon moment, les lettres qui défilent, les titres des journaux qui parlent d’un monde lointain et brisé.
Puis je la dépose et je vais regarder à la fenêtre de la chambre. La pluie s’est arrêtée, le silence est de retour, presque assourdissant. J’ouvre la fenêtre. Un coq chante au loin, sa voix rauque déchire l’aube . Une moto pétarade dans une rue adjacente, le son rebondit sur les murs des maisons endormies. Premiers chants d’oiseaux, timides d’abord, puis plus assurés. La chatte claque des dents, elle voit peut-être un moineau sur la branche. Il va bientôt être 7h, l’heure d’aller bosser. Ce monde qui s’éveille autour de moi ne sait rien de ce que l’écran m’a raconté cette nuit.
***
Septembre 2001
à ce stade de la nuit, les images reviennent en boucle. Elles tournent et tournent dans ma tête, comme un disque rayé. Au début, quand je les ai vues pour la première fois, je crus qu’il s’agissait d’un film, un de ces blockbusters américains. Je revenais de mon boulot à Lausanne, j’étais rentré par l’autoroute jusqu’à Yverdon-les-Bains. À l’entrée de la ville, j’avais été contrôlé parce que je n’avais pas encore changé mes plaques françaises, une formalité administrative qui me paraissait énorme à l’époque.
M.A était devant la télévision, assise sur le canapé, elle faisait une drôle de tête, le visage livide, les yeux ronds. « Regarde, » elle me dit, d’une voix à peine audible, en me montrant les images à la télévision. Je n’ai pas compris tout de suite. On voyait un avion de ligne s’approcher de très hautes tours, certainement aux États-Unis, sans doute Manhattan. C’est en voyant la tête de M.A que j’ai su qu’il ne s’agissait pas d’un film, pas une fiction.
L’avion est entré dans la première tour, lentement, comme si le temps s’était étiré. Il n’y avait pas de son, je me souviens de ça, un silence assourdissant qui rendait la scène encore plus irréelle. Puis, un autre avion est apparu, très peu de temps après, pour pénétrer dans la seconde tour. Et là, on a vu les deux tours s’effondrer, majestueusement, comme s’il s’agissait d’un vulgaire château de cartes que l’on aurait renversé d’une pichenette. C’était tellement irréel, tellement absurde. Je n’ai pas réalisé tout de suite l’ampleur de ce que je voyais.
C’est maintenant, que j’y repense, les yeux grands ouverts dans la nuit silencieuse, que tout prend sens. Il se passe des choses anormales, c’est certain. Totalement en décalage avec notre vie ici, bien au calme en Europe, en Suisse, c’est ce que je me dis. Le monde est en train de changer. Il se peut même que cet événement marque un changement total d’ère ou d’époque, une fracture dans le temps. Comme je n’arrivais plus à dormir, rongé par ces images, je me suis levé pour me rendre au salon. L’événement s’était produit la veille dans la journée, et depuis, toutes les chaînes de télévision du monde entier repassaient les images en boucle, inlassablement, comme pour graver à jamais la catastrophe dans nos mémoires.
***
été 2003
à ce stade de la nuit, je ressasse ma vie. J’ai l’impression que le temps file, que chaque seconde est une goutte d’eau qui s’échappe, et que je ne peux rien retenir. Je viens d’arriver de Suisse, un retour en arrière, une sorte de défaite. Retour à Lyon, rue Henri Pensier, un 50 m², 700 euros par mois, un loyer qui me semble démesuré pour l’espace. Mon boulot est à 5 minutes à pied, je m’occupe d’un réseau d’enquêteurs internationaux pour les Américains à Sans-souci. Ce n’est pas sans souci, bien au contraire. La preuve, je n’arrive plus à dormir.
La chaleur n’arrange rien, la canicule dure depuis plusieurs jours déjà, une chape de plomb sur la ville, même la nuit l’air est lourd et immobile. Je passe beaucoup de temps sur internet, mon refuge. Je chatte avec des femmes sur une messagerie, Caramail, un nom qui sonne doux pour un monde si brut. J’ai divorcé il y a de ça quelques mois, une page tournée, mais laquelle ? J’ai quarante-trois ans, je ne possède rien, je n’ai rien fait de ma vie vraiment. C’est mon obsession. Une crise d’adolescence à répétition, une boucle infernale. J’ai l’impression que discuter avec des femmes va élucider quelque chose que je n’ai pas compris, une clé, une explication.
Discuter avec des hommes, très peu pour moi. D’ailleurs, je suis nul en sport, et puis quelque chose d’indicible m’en empêche. Appelons ça le malaise que j’éprouve à écouter les non-dits, les égos, les compétitions. Les femmes sont plus intéressantes, plus directes. Elles n’hésitent pas à parler de choses intimes, à livrer des fragments d’elles-mêmes. Parfois, j’ai l’impression d’être une sorte de vampire. Je ne bois pas de sang. Je bois les propos que veulent bien me livrer toutes ces femmes, leurs histoires, leurs peines, leurs joies. Avec internet, c’est très facile, l’anonymat, nous y croyons encore. Alors on peut très bien parler avec des Américaines, des Canadiennes, des Scandinaves, c’est d’ailleurs une sorte d’expérience sociologique qui frôle l’expérience mystique. Ce que l’on pourrait en conclure en tant qu’homme, c’est que les femmes ont en général bien plus de cran que nous.
Je me suis levé pour aller mouiller un drap dans l’évier de la cuisine, l’eau fraîche sur mes mains brûlantes. Puis je l’ai accroché dans l’encadrement de la fenêtre, un rempart dérisoire contre la chaleur. J’ai allumé le ventilateur dans l’espoir de rafraîchir la pièce, un ronronnement constant qui brasse l’air chaud. Puis je me suis dirigé vers le bureau, l’écran noir attendait. J’ai appuyé sur la touche enter pour sortir de la veille et j’ai rejoint la messagerie en direct. C’est là que j’ai rencontré S., qui ne dormait pas non plus à ce stade de la nuit.
automne 2008
à ce stade de la nuit, je n’arrive pas à dormir. Le sommeil ne vient pas, les pensées tournent comme des pales d’éolienne. Pour ne pas déranger S., sa respiration calme à côté, je me suis aménagé un coin au grenier, entre les cartons et les vieux meubles. Nous avons déménagé de Lyon à Oullins quelques mois auparavant. Les loyers en ville étaient devenus trop chers, je crois, ou plutôt nous nous étions dit que pour le même prix, on pouvait échanger notre duplex contre une maison avec un petit jardin, un espace pour respirer un peu. J’avais acheté un nouvel ordinateur pour l’occasion et nous avions la fibre. La vitesse de téléchargement était prodigieuse, des films entiers passaient en un clin d’œil, c’était la modernité qui entrait chez nous.
C’est à peu près vers ces eaux-là que j’ai démissionné de mon job de directeur des opérations dans cette SSII de Bron. Un ras-le-bol, l’impression de faire du surplace. J’ai trouvé un autre job presque dans la foulée, vers Neuville-sur-Saône, magasinier dans un entrepôt. Je ne gagnais pas lourd, mais ça allait. On parvenait à se débrouiller, à boucler les fins de mois sans trop de mal. La boîte pour laquelle je bossais faisait du déstockage, rachetait des invendus. Ça marchait du feu de dieu parce que les gens commençaient à éprouver le contrecoup du krach, de la crise des subprimes. On achetait de plus en plus d’occasion. De la robinetterie, du câblage électronique, tout un tas de denrées que mon jeune patron négociait auprès de grandes enseignes qui ne pouvaient plus se permettre de conserver trop de stocks. C’était le revers de la médaille de la crise, une sorte d’économie parallèle qui prenait de l’ampleur.
De temps en temps, je faisais un saut à Paris pour voir mon père. J’avais acheté une Mégane d’occasion, pas beaucoup de kilométrage, un diesel, ce qui était bien aussi parce que le prix des carburants flambait, une autre conséquence de tout ce désordre mondial. Il me fallait entre une heure et une heure et demie de trajet matin et soir pour me rendre à ce boulot, une éternité passée dans les bouchons de l’agglomération lyonnaise. J’écoutais la radio dans les bouchons, les émissions d’information, les analyses. Je crois que j’ai à peu près fait le tour de cette crise à l’époque, à force d’écouter et de lire. Une gigantesque arnaque organisée pour faire couler les banques européennes, au bout du compte, quand on remontait le puzzle. Les gens étaient expulsés de leurs maisons un peu partout aux États-Unis, des images insoutenables passaient aux actualités. On voyait des reportages là-dessus, des familles entières à la rue. On se focalisait ainsi sur une crise au niveau local, si je peux dire, une crise des particuliers. On n’arrivait pas encore à imaginer les répercussions sur l’économie mondiale, la déferlante qui allait toucher tout le monde. Ici, dans le silence du grenier, le souffle du vent dans les tuiles me ramène à cette époque où tout semblait basculer.
***
Mars 2020
à ce stade de la nuit, je me demande comment on va s’en sortir. Les insomnies se suivent, une après l’autre, des nuits blanches à regarder le plafond. Il y a ce fait que, soudain, je ne peux plus recevoir d’élèves, mes cours de musique sont à l’arrêt, le silence s’est fait dans la pièce habituellement pleine de notes. Et puis il y a le fait que les charges continuent de courir, elles ne se confinent pas, elles. Le fait que cette situation soit tout aussi extraordinaire qu’absurde, une bulle dans le temps.
Le fait aussi qu’on ne sache rien, en fait, concernant cette maladie, ni son remède, une inconnue qui plane, lourde et invisible. Le fait que, comme je ne dors plus, je suis comme un zombie, les yeux rougis, la tête cotonneuse. Le fait que soudain, la réalité se soit dissipée, comme un brouillard épais qui n’en finit pas de tomber. Le fait qu’on vive dans un livre de science-fiction, avec des masques, des gestes barrières, des attestations de sortie.
Le fait qu’on ne sache plus où se situe la vérité lorsqu’on assiste à tout ce défilé d’experts en tout genre, chacun avec son avis, ses chiffres, ses certitudes et ses doutes. Le fait que ce gouvernement n’inspire aucune confiance, ses messages sont troubles, contradictoires. Le fait qu’en tâche de fond, on devine des intérêts financiers énormes, des rouages invisibles mais puissants, notamment pour les laboratoires pharmaceutiques. Le fait que, soudain, nous sommes passés d’une apparente démocratie à un régime féodal, où les décisions tombent d’en haut, sans discussion. Le fait que l’obscurantisme règne désormais, qu’il faut choisir son camp, sa croyance.
Le fait que si tu n’es pas pour le vaccin, tu es forcément contre, et vice versa, il n’y a plus de nuance, plus de gris. Le fait que la binarité des opinions et des jugements, accélérée par la fréquentation des réseaux sociaux, n’arrange rien, elle creuse des fossés. Le fait que j’aimerais bien pouvoir dormir et que je n’y arrive pas, que cette nuit est la mienne, et celle du monde entier.
***
Juillet 2025
à ce stade de la nuit, je me suis pincé pour savoir si j’étais encore en vie. Le monde d’aujourd’hui n’est plus le monde que j’ai connu jadis, les souvenirs s’étirent, pâlissent. La chaleur est suffocante, même au cœur de la nuit, elle colle à la peau. Je dors dans une chambre à part dans la maison, pour ne pas réchauffer S. avec ma machine. J’ai retiré le masque relié à la machine respiratoire, une impression légère de fraîcheur sur mon visage. J’en ai profité pour me lever et descendre à la cuisine, les pieds sur le carrelage froid, me faire un café.
La chatte est là, derrière la porte de la cuisine, une ombre noire. Elle miaule en me voyant, sa plainte familière. « Ce n’est pas encore l’heure de bouffer, » je lui dis, d’une voix rauque. « Va te recoucher. » Je suis remonté à l’étage pour ouvrir l’ordi et je suis tombé sur cette page dans VS Code, une refonte de la page d’accueil de mon site web. En ce moment, je passe beaucoup de temps à coder, des lignes de texte qui s’empilent, des boucles, des fonctions. Je crois que je parviens à fermer les écoutilles, à me renfermer sur de purs problèmes logiques à résoudre. Et ce d’autant que l’absurdité règne de plus en plus à l’extérieur.
Hier encore, ça me revient, cette femme qui me dit qu’il ne faut pas écouter tout ce que l’on dit sur l’extrême droite. Que le véritable problème, ce sont les émigrés. Que tant qu’on n’aura pas réglé ça, ça n’ira pas. C’est une Italienne, une Calabraise, ses yeux sont vifs. « Moi aussi je suis de souche émigrée, » je dis, sans agressivité. « Oui, mais ce n’est pas la même chose, » elle rétorque. « Quand nos parents sont arrivés, ils voulaient s’intégrer. » Je ne sais pas, je ne sais plus. « Ça me fatigue ce genre de propos, » je dis, en coupant court. « Revenons-en à cette peinture. »
Son bateau est beaucoup trop gros, il prend toute la place sur la toile, écrase le paysage. De plus, il est en plein centre, on ne voit que lui, un poids mort. Je prends un morceau de fusain et je lui montre sur son croquis. « À ce stade du tableau, on peut encore modifier assez facilement les choses, » je dis. « Laisser un peu plus d’air autour, et puis, il n’y a personne dans ton bateau. C’est un bateau fantôme. Un bateau fantôme qui vogue sur un océan fantôme dans un monde fantôme. » La chaleur pèse.
VERSO
à ce stade de la nuit, mes errances dans la ville me ramènent toujours, à un moment ou à un autre, à la rue Saint-André des Arts. Comme un aimant invisible. Et plus spécifiquement à ce cinéma d’art et d’essai, dont la devanture discrète promet des voyages lointains. Ce jour-là, c’était un film de Tarkovski, une de ses premières œuvres peut-être. Il avait plu toute la journée, une pluie fine et persistante, et les pavés de la rue étaient glissants, le bitume noir luisait sous les néons des librairies. Je me suis réfugié dans ce cinéma à cause du mauvais temps, je crois, mais aussi par cette soif d’un ailleurs que seul le grand écran peut offrir.
La salle était presque vide, une odeur de vieux velours et de poussière froide flottait dans l’air. J’ai choisi une place au troisième rang, juste assez près pour que l’image m’enveloppe sans me submerger. La projection a commencé, et le noir m’a happé. C’est le premier film de ce réalisateur que j’ai vu, et je me souviens particulièrement de cette scène où un homme abat des arbres, bûche après bûche, avec une détermination presque surhumaine. Il me semble que c’est entre chien et loup, cette heure incertaine où le jour se mêle à la nuit, une lumière pâle filtrant à travers le couvert forestier. Il dégageait le chemin pour gravir une colline, non pas pour un sommet terrestre, mais comme pour rejoindre une étoile, un idéal lointain. L’image est encore très forte dans ma mémoire, ce geste répété, la sueur, le bois qui craque. Et ça doit aussi résonner, je pense, avec mon sang slave, quelque chose d’ancestral qui comprend cette quête, cette force.
Le film s’est terminé dans un silence pesant. Je suis sorti dans la nuit parisienne, l’esprit encore engourdi par les images. La pluie avait cessé, mais les rues étaient encore humides, reflétant les halos jaunes des lampadaires. Le monde extérieur me semblait étrangement irréel après l’intensité du film. J’ai marché sans but précis, les pavés résonnant sous mes pas. L’expérience du cinéma avait laissé une empreinte, une certitude silencieuse que certains chemins ne peuvent être ouverts qu’à la force de la volonté, même quand l’étoile semble inatteignable. Peut-être, comme dans ce film, étais-je aussi encore mué à cette époque par une sorte de rêve impossible, mais je ne me souviens plus duquel. Un rêve flou, insaisissable, qui me poussait sans que j’en connaisse la destination.
Ensuite, j’ai fait la tournée des bistrots, comme je le faisais souvent à cette époque. Je me sentais si seul que c’était le seul lieu où je pouvais me goinfrer d’un peu de chaleur humaine, me fondre dans le brouhaha des conversations, l’odeur du tabac froid et du café renversé. Chaque comptoir était un refuge temporaire, une escale avant de retrouver le silence de mon propre appartement. La solitude, à ce stade de la nuit, était une bête qui me suivait partout, et les lumières des cafés étaient les seules à pouvoir l’éloigner un instant.
#rectoverso #01 | chaleur
RECTO
Parking souterrain, niveau -1. Bornes de recharge électrique. Barrières métalliques, lignes blanches au sol, tracées « en épis » pour garer les véhicules. Au plafond, des panneaux lumineux indiquent la sortie piéton. Numérotation au sol. Un petit hall offre la possibilité de prendre un escalier ou de visiter une expo photo installée là. Deux caisses automatiques attendent le paiement : on insère le billet, et si l’on veut payer par carte sans fil, une lumière bleue s’allume. Personne derrière les vitres de la cabine, juste une affiche avec un flash code : « Venez voir nos services. » Les ascenseurs sont silencieux, un bouton lumineux. Sur la paroi, une bite dessinée avec « J. est une p. » et un numéro de téléphone. Niveau 0 : la sortie. Une chaleur écrasante.
*
Chercher sur l’interphone « cabinet médical », puis sonner. Un mécanisme à peine bruyant signale que l’on peut pousser la porte. Le cabinet est au rez-de-chaussée. Des affiches sur la porte : « Médecins en colère ». Une petite affichette invite : « Sonnez et entrez. » La secrétaire salue avec bonhomie, au téléphone, et fait signe de rejoindre la salle d’attente, juste là. Une personne dit bonjour. Une femme entre deux âges, une habituée, car de sa place elle interpelle la secrétaire. « C’est bien un homme, 95 % des opérations se passent sans problème », dit-elle. Puis une mère entre avec ses deux enfants. Ils ne disent pas bonjour. La mère les reprend. Les enfants marmonnent un « bonjour » du bout des lèvres, puis attrapent les magazines en papier glacé sur une étagère en fer. Ils changent de place, ils ont chaud. Un petit grésillement discret indique que la climatisation fonctionne. Il faut lever la tête pour voir l’appareil : un coude en plastique où se trouvent fils et câbles, l’ensemble montant vers un faux plafond ponctué de spots allumés. Au-dessus d’un mur, quelques fenêtres horizontales ont été percées, laissant apercevoir la colline de Fourvière.
*
Le Monoprix se dresse comme un temple à l’angle de la rue Grenette et de la rue de la République. Il semble qu’ils vont rendre la rue Grenette piétonnière, comme la rue de la République. Pour le moment, seuls les bus ont le droit de circuler. C’est incessant. Il y a tout de même un feu rouge qui permet aux piétons de s’élancer d’un trottoir à l’autre. Quand le petit homme est vert, c’est un mouvement de foule d’un bord à l’autre. Parfois, quelqu’un s’en fiche et ne se préoccupe pas du bonhomme vert. Un vigile se tient dans l’ombre de l’entrée. Il est en uniforme, boutonné jusqu’au cou. C’est un homme noir, un balèze. Il ne sue pas. Il ne bouge pas. Il est là, inamovible dans l’ombre de l’entrée. Impossible de le rater. Mais personne ne dit bonjour. Ni lui, ni les clients. Ça rentre et ça sort. À côté, un magasin H&M, l’enseigne rouge vermillon. Un peu plus loin, une rue perpendiculaire mène, au choix, à un parking ou à une église.
VERSO
Elle avait sorti tous les desserts et les avait posés sur la table en formica. « Lequel vas-tu choisir, lis ce que c’est si tu le peux à voix haute », dit-elle. Une chaleur insupportable régnait dans la cuisine. « Il faudrait lui mettre au moins un rideau, elle dit au téléphone, en attendant que le store soit réparé un rideau tu sais ce que c’est n’est-ce pas, avec une tringle toute bête et des anneaux ». La voix de la vieille dame avait commencé sa litanie, elle lisait les étiquettes des desserts. « Va ni lle chocolat lié geois, yahourt à la poire, yahourt à la pèche, gateau de riz au cara mel ». Juste avant, elle s’était enfilé une tranche de melon qu’elle avait mis un temps infini à avaler. « Je le coupe en petits dés c’est rigolo, mais c’est trop vous savez je ne mange presque plus rien —un blanc— si vous saviez à quel point j’aimerais retourner à Marengo . Elle raccrocha et dit « Alors maman tu as choisi ton dessert ». « Elle a l’embarras du choix, dit l’homme », mais elle l’interrompt : « Tais-toi, laisse-la choisir son dessert ! » Puis elle enchaîne : « Il n’y a qu’à tout mettre dans l’évier, elle fera la vaisselle. Elle aime faire la vaisselle ». Et elle poursuit, disant à l’homme : « Tu peux aller faire ta sieste si tu veux. Mais avant, il faut qu’elle rebranche les fils de la télé. Aller maman, rebranche les fils de la télé. Oui c’est ça, ça y est on voit la lumière rouge. » Il faisait chaud dans le salon aussi. « Pourquoi tu ne mets pas en route le ventilateur ? » « Je ne sais pas, dit la maman, quelqu’un a dû l’éteindre, et quelqu’un a retiré les fils de la télévision aussi. » « Non, laisse-la faire, il faut qu’elle remette les fils toute seule. La lumière rouge apparaît, tu as réussi ! Aller je vais te faire tes ongles. » La vieille dame regarde ses ongles de pouces, elle a un ongle très long qu’elle montre à l’homme, assis maintenant à côté d’elle. Mais il réplique quelque chose d’idiot, du genre « Ah oui, il est plus long que l’autre ». « Va donc faire ta sieste ! » dit la fille à l’homme qui, au bout d’un temps, se lève et va dans une autre pièce. Il s’agit d’un appartement HLM : une cuisine, un salon salle à manger, une chambre à coucher et une autre pièce qui sert de fourre-tout depuis des années.
L’Histoire qui percute une histoire, et ça fait toute une vie… qui résonne avec les nôtres, de vies. Et bravo pour avoir répondu aussi rapidement à la consigne !
merci, baptême du feu pour cette proposition 3 !
Merci pour votre écriture et vos textes, bonne journée, à bientôt.
j’aime beaucoup sur Tarkovski la déambulation la nuit, la tentative d’exploration de ces arbres abattus de fatigue pour atteindre une étoile, la réflexion sur la volonté comme rocher de Sisyphe invaincu et splendide dans l’effort réitéré de se rendre à l’effort, et puis les bistrots, l’ambiance des bistrots, on y entre, passant de l’ardeur au renoncement pour vivre d’un coup sans y penser
Subtile #05. Merci Patrick. Efficace.
#6
La mort dans le mort dans la mort
Comme dit Hugo : Subtil
Je vous ai lu tous les deux, j’ai jubilé et maintenant ? Vivre ou …il faut …
A suivre,
Comment faire ? Et le verso qui arrive et réconcilie. le vent les vaches, … j’ai beaucoup aimé
La 6 implacable et parfaite dans son genre, le credit sollicité, la crémation des animaux, ce mort qui accompagne, c’est tout de suite prenant. Bravo. envie de la suite
et puis dans la 7, cette phrase incroyable : »je suis à l’intérieur de tout ce que je n’ai pas fait »
Ce flux de conscience vous laisse sans mot, tellement sa lecteur est émouvante et sensible, heureusement un apaisement fin de #07 comme une respiration…
Emporté dans l’élan de la #07, lecture hypnotique. Belle expérience. Merci.
Je lis la 7 et je suis bluffé par le premier texte, comment si bien décrire ce qui peut être ressenti dans un moment ou il ne se passe rien à priori ? Et merci pour cette si belle phrase qui me parle tellement : « dans le fond usé de tous mes retards »
2 triades coupées au couteau comme le pain sur un coin de table avec efficacité et justesse. . Pas un mot de tro.p. Un régal de lecture. Merci.
Oui, c’est une écriture « totale »: images saisies sur le vif comme des scènes de genre, humour, politique et religion, poésie.. J’ai beaucoup aimé. Merci!
#rectoverso #10 | paupière tombante : pas sûre que la disposition en colonne serve le texte ici (de mon humble point de vue bien sûr). J’ai apprécié l’usage inattendu que vous faites ici de la proposition pour voir la honte/au centre du paysage d’une paupière tombante. Merci pour ce pas de côté.
#10 Perception intérieure et extérieure de cette chose énorme et impossible qu’est la honte, difficile à dire à écrire. J’ai bien aimé l’échappée avec le perroquet.
Plaisir de savoir qu’il y a de ça l’espoir pour l’éducation, merci
Impressionnante façon de dire oui non à cette 14. Merci pour et pour les textes qui la précèdent
Merci Patrick d’ouvrir le bal de cette terrible proposition 14. La convocation du mime Marceau me rassure. Je ne suis pas sûr pour autant de pouvoir mener à bien de tels retours. Mais j’inscris avant tout effort la consigne fondamentale que tu livres: « Qu’il vaut mieux aller sur la face cachée de ce qu’on pense toujours penser. »
Merci, merci.
Je découvre votre écriture avec ce texte, magnifique réponse à cette proposition difficile. Merci !
« Je pourrais décliner tout simplement. Dire non. Non merci ».
Au moment où se met en place tout ce qui permettrait d’échapper à la 14 (la # pas la guerre, quoi que..), pas à la cantonade, non, pas ma petite vie là à poil, et puis aucune mémoire des dates, tout dans l’isolant, pas le temps, trop partout, mais y aller quand même, mais non.., au moment donc, je tombe, ou plutôt ce #0-14 me tombe dessus. KO par lecture d’une traite. Désolée, je parle de moi, mais ébranlement fort par échos sans bordure ( du fictif du réel, ne sais). Encore plus impossible, s’il est possible, de s’y mettre. Et puis, comme toujours, roule la roulette sur le bord des pages, et l’envie de s’y mettre s’y remet. Visite au dibbouk qui arrange grave ou aggrave grand les choses.
Quelle impressionnante et ouvrière saisie du malaise de soi, de l’époque, de l’écriture dans cette continuité discontinue. Un seul mot : merci.
Le pas de côté, du pas de côté
Les détours, du détour
Du non au oui, et recto-verso
Penser sans penser, que dire est possible
Ne dire tout et rien, pour dire ce rien et ce tout
Que de boucles.
Impressionnée par ce dedans dehors
Et cette écriture en mouvement
grand merci à touxtes : lectures, commentaires et vos écrits . Merci François pour cette aventure !
Merci pour cette 15 absolument magnifique. J’ai aimé les chiens, les odeurs, les mots, la force des propose, bravo.
la force des propos.