[R]
C’est le matin. La lumière du soleil d’été descend lentement le long de l’immeuble de trois étages au toit d’ardoises. A chaque étage, deux fenêtres identiques, sans rideaux. Au rez-de-chaussée, l’atelier du peintre et sa plaque de bois suspendu à une patère de fer forgé. Un homme en vareuse rouge brique délavée, tasse de café à la main, se tient sur le pas de la porte ; deux petits yeux scrutateurs cerclés de lunettes rondes observent droit devant eux. Aux pieds de l’homme – le peintre – et contre le mur, une évocation de l’archipel que l’on peut apercevoir au large depuis la guerite de pierre sur le rempart nord. Derrière lui, la mer vert émeraude est visible dans l’encadrement de la fenêtre au fond de l’atelier.
De l’autre côté de la place, deux hommes, chacun habillé d’un bermuda, d’un polo et d’une paire de chaussures bateau, semblent émerger de la grande porte à pont levis ouverte dans les remparts de la Haute ville sous le logis du Roi. La rue déserte est pavée de blocs de granit irréguliers. Un drapeau arborant deux léopards gueules ouvertes, toutes griffes dehors, en couleur or sur champs de gueules rouges est fiché dans le mur.
Du côté Est de la place, à mi-distance de l’atelier du peintre et de la grande porte, une femme est devant un des présentoirs à cartes postales de la librairie. Elle est vêtue d’une robe légère à pois et d’une paire de sandales en cuir clair. Sa main droite tient une carte postale évoquant l’archipel que l’on peut apercevoir au large depuis la guerite de pierre sur le rempart nord. Le libraire, chemise en lin sur une paire de jeans, stationne sur le pas de la porte, pas très loin de la femme qu’il ignore. Derrière lui, se dresse la devanture centenaire du magasin en bois composée de six panneaux vitrés.
[V]
Une grande clameur tombe du ciel disputé par une dizaine de goélands sur la presqu’île pendant que la brise se faufile dans les rues aux immeubles bâtis de granit gris extrait des îlots de l’Archipel. Je cale un coin de la serviette de papier sous le verre d’eau et je bois par petites gorgées prudentes l’espresso déposé sur la table il y a quelques instants. « Oui, il vient de vendre sa peinture de l’archipel. Un bon prix m’a dit Philippe ». Mon regard se tourne vers l’atelier du peintre. Celui-ci observe deux plaisanciers qui viennent de franchir la grande porte et s’attardent devant un présentoir à cartes postales alors que le libraire hume l’air chargé d’embruns. Il porte peu d’intérêt aux deux hommes qui tournent le présentoir sur son axe ; il ne vend jamais de cartes postales à cette heure-ci. « Tu trouvais son tableau ressemblant toi ? ». Une femme vêtue d’une robe à pois s’assied à une table près de la mienne, commande un thé noir et ajuste sa queue de cheval d’un geste automatique. « Moi tu sais la peinture… ».