#rectoverso #01 | Françoise Le Golvan

RECTO

Le terrain vague

Le terrain vague se situe entre deux immeubles. Un panneau métallique en obstrue le passage avec, en son centre, un panneau Propriété privée, défense d’entrer. En déplaçant cette tôle, un corps pourrait aisément passer. Quelqu’un a posé devant cette entrée une dizaine de parpaings comme force (petite) de persuasion ou marque de territoire ou délestage spontané.

En s’y juchant on peut d’ailleurs voir des traces d’occupation : blisters, bouteilles en verre, canettes, carton de plusieurs gabarits… Là où le sol est tassé, pelé, il y a un tas de gravats et autres débris de chantier. Au fond et sur les côtés, herbes folles, arbres à papillons, fourrés de ronciers commencent à s’installer. Sur la face latérale de l’immeuble de gauche plusieurs ouvertures condamnées, au verre dépoli, sûrement celles correspondant à une cage d’escalier. Sur le mur de droite, les fameux tags qui ont attiré mon regard de la rue. Comment font-ils/elles pour atteindre une telle hauteur ?  Tout l’espace est recouvert. Une fresque graffiti jurant avec l’aspect délaissé, rétréci du lieu. Véritable manifeste d’ensauvagement des espaces.

Le bar-charcuterie

Dans le quartier du Pondic, au 7 rue des Fontaines, le bar-charcuterie a gardé ses deux vitrines datant des années 1970. Les deux commerces sont fermés; l’un depuis la fin des années 90, l’autre depuis 2021. Si l’on jette un œil au travers des rideaux , on peut y voir encore, côté bistrot, le comptoir sculpté tout en bois, la pompe à bière, les étagères avec des barquettes en aluminium et en plastique venant d’à côté, les tables imitation bois et chaises en osier, des lustres des années 80, le mur apparent et sa grande cheminée, une porte permettant l’accès aux toilettes, et l’on devine tout au fond, d’autres étagères et tables jusqu’au petit sas qui  conduit à la cuisine de l’unique, désormais, habitante du lieu. Côté charcuterie, on distingue parfaitement la vitrine réfrigérée prenant toute la longueur. La caisse enregistreuse avec balance intégrée, de gros agendas chargés de commandes, des post-it, des pots de crayons, agrafeuses, le panneau présentant toutes les pièces ou quartiers du mignon cochon rose en image et le prix au kilo…Contre le mur du fond, des étagères en bois marron avec encore des conserves, des purées Mousline, des paquets de chips, des plats en faïence, en terre et en plastique. Sur le plan de travail ou dépose marchandise, des planches à découper, des couteaux de différentes tailles, des crochets, des étiquettes avec, on l’imagine, le nom et prix de l’article, des papiers d’emballage au nom de l’artisan-commerçant. Derrière la caisse, La porte d’une chambre froide entrouverte, puis le billot de bois, deux trancheuses à jambon, un meuble autrefois réfrigéré pour sûrement le rayon laiterie et encore des barquettes, des emballages.

VERSO

À l’hypermarché Leclerc, un mardi après-midi de juin. J’ai du mal à manœuvrer le caddy dans les virages en cherchant le rayon des Eaux de source et minérales. J’opte pour la ligne droite en tournant la tête d’un côté, de l’autre, à l’affût de la région des eaux douces. Tout au bout, la poissonnerie et son étal qui fait bien douze mètres. Aujourd’hui arrivage d’Araignées, et bien sûr langoustines vivantes, bars à la ligne, carrelets, sardines, cabillaud, colin, merlu, Saint-Pierre… Tout est frais et fait envie. Beaucoup de personnes à faire la queue. « Il faut prendre un numéro et on vous appelle ». La dame devant est une habituée, me donne la conduite à suivre et les tuyaux : « c’est la meilleure poissonnerie de la région et la plus avantageuse ; hier les langoustines étaient à 22 euros, trop cher. Aujourd’hui 16,80, j’ai bien fait de revenir ». Je prends un numéro, le 62 (j’irai à l’eau après), le compteur affiche 26. Les 6 employés s’activent. Les gestes sont précis, soutenus, constants. Seul le plus jeune est à la traine, un saisonnier peut-être, mais la brigade le contient. Aucun arrêt entre les commandes, la préparation (vider, écailler, tout rincer), les cuissons, peser, emballer et l’annonce à voix haute du numéro suivant. Rythme soutenu. Les tenues sont dignes de pêcheurs en haute mer. Vareuses, salopettes en PVC, charlotte tout de même, on est proche de l’océan en respectant les règles sanitaires de la grande distribution. « Oui les moules sont petites, il faudra attendre août pour avoir de la plus grosse. Les Saint Michel, celles-là viennent de Noirmoutier mais elles sont pleines ». Ses yeux sont bleus, son visage, tout son corps est présent à ce qu’elle fait. Je suis près d’un chalut , au cul du bateau « une araignée, laquelle ? Vous êtes toute seule, prenez une femelle, elle est pleine (encore !), vous préférez les pinces alors prenez un mâle, les grosses pinces ce sont les mâles ». Un rien de pédagogie au passage pour nous autres ignorants mais jamais de surplomb. « À cuire sur place ? ». Et voilà l’araignée pesé c’est payé dans le sac, dans le four à vapeur. C’est mon tour, j’aurais aimé être servi par cette femme, je tombe sur le jeune qui lui, a un coin du cerveau bien ailleurs, me ramenant à la grande surface. « Vous pouvez aller faire vos autres courses et quand vous revenez, vous donnez votre numéro ». Bien je retourne aux eaux plates.

3 commentaires à propos de “#rectoverso #01 | Françoise Le Golvan”

  1. Vignettes très réussies de la vie quotidienne. J’ai un faible pour le terrain vague.