cette consigne #02, et le principe de « recto-verso » incitent d’emblée à concevoir ses contributions comme dispositifs
à ce stade de la nuit,
je suis sur le sable, au milieu du sable, une parenthèse, paire de, le sable c’est du texte, ou le fond du texte, entre les parenthèses un nom d’endroit, ou de tribu, région, rivière, je me tourne, roule, ou mon corps roule entre, sur le sable, ou contre, jamais plus loin que, la parenthèse ouvrante, la fermante
à ce stade de la nuit,
le bruit de la pluie me sort le corps du lit, debout sur le palier, l’orage, au plafond, est loin, éclairs espacés dont ne parvient aucun bruit — détecteur des fumées — ce détachement, suivez les pointillés, c’est, dans le noir, faire abstraction de la succion sonore des pneumatiques sur route mouillée aux premières heures des prises de service, qui tôt me rejoint dans l’escalier par les fenêtres du séjour, ouvertes pour dissiper les odeurs imprégnées du dîner de la veille
à ce stade de la nuit
le bleu du gaz pour seule lueur, les langues en dansent dans le courant d’air, car j’ai tout ouvert, tout laissé, fenêtres et volets, tout fini d’ouvrir, et me fais un thé, ce qui n’est pas moi, mais quoi… quoi faire d’autre, pas de café à cette heure qui dans ma vie non plus n’est pas… n’est l’heure de rien, ni le début, je ne saurais dire ce qui ne me fait pas faire plus de lumière
à ce stade de la nuit,
pas plus le thé encore brûlant que les douceurs de la perturbation printanière traversant la maison ne me retiennent dans l’encadrement de la fenêtre, sur la rue — la cause unique en est elle : de me dire qu’elle, mon auto, c’est quelqu’un — et je n’y suis pour rien, si cela émane de sa surface, où la blancheur n’est plus une laque automobile, mais l’aimantation là, et le flottement comme au-dessus d’une eau, de ce que la nuit autour recèle de lueur résiduelle
à ce stade de la nuit,
le mobile pour lumière je m’envoie un texto… un autre… j’y réponds — dans le noir… et puis un autre… et
à ce stade de la nuit,
le silence est un fil tendu entre les toits. Les velux ouverts les hérissent, puits de chaleur dans la nuit qui y tombe. Sur le faîte le merle, lui-même tendu comme un ressort, son chant. Premier pas hésitant, la porte refermée derrière soi, sortir du noir dans la nuit, ou pas le jour encore. S’en tenir là. Les volets fermés. Roulants. Électriques. Le jour ne fait que poindre. Sur ce point l’équilibre est précaire, le pas, recommencé. Sous la tong un gravillon crisse, le silence s’en hérisse alentour, et la peau. Le silence n’est plus étendu comme la nuit était, on est debout là, milieu de la rue, on est un fil tendu entre nuit et jour. On garde le silence. Le silence n’est plus l’étendue que la nuit était.
à ce stade de la nuit,
est-ce qu’une grande respiration pourra être enfin prise ? Inspirera-t-on à la fin une phrase complète ? À mi-distance des façades en enfilade et du caniveau central suivant la courbe de la rue en remontant jusqu’aux stades, le haut filet de protection et derrière, le concert des oiseaux. Les merles et tous les autres. Ouverture… C’est avec les oiseaux que le monde chante, avec eux qu’un monde s’ouvre, qu’une vie touche au monde. L’immobilité est totale sous les chants. Le monde, est immobile et écoute. Les stades, les chants. Sous les oiseaux les grenouilles par les fonds des champs. Par-delà les stades, la nappe blanche sur le blond des blés. C’est là qu’il se tient, de là qu’il vient — le jour.
à ce stade,
à cette heure de la nuit — du jour à cette saison —, mon mobile sonne : c’est le réveil, il est l’heure de me lever, je viens de dépasser le mur du cimetière, le programme du jour est là. La trivialité me reprend au carrefour — nom de déesse à l’origine, si l’origine est romaine —, où ce bout de la rue — comme le mien, le nôtre, l’autre un peu plus bas, à l’est — donne sur la route : au stop, là où deux stops se font face, ou plutôt : où deux panneaux stop se tournent le dos. Le camion du ramassage approche.
aperçus ; travailler par bribes, par sauts, écarts ; échantillonnage ;
déplacement de pions, mouvements ;
remplir des cases — d’abord se les ouvrir ; se les offrir, ménager ; prévoir ;
ourdir ; combiner ;
appuis (points d’) ; jalons ;
convoquer :
Scène finale c’est film, c’est combinaison, intégrale, filmée : skintight, les lignes du corps sont les lignes du film, de fuite, le film en épouse, double les mouvements — liberté de ? personne n’est moins assurée qu’elle se risquant — liberté donc — et dans quelle peau ? Couloirs de l’hôtel, toits de Paris, gouttières, ciel garde-corps, animation… (…)
Scène finale c’est film, combinaison, c’est combine intégrale c’est, filmé, skintight : les lignes du corps sont les lignes du film, courbées, le film épouse le mouvement — liberté de ? rien de moins sûr, moins assuré, mais se risquer, mais fuir — liberté alors : chenaux d’écoulement, station d’épuration, camions d’ordures, horizons du désir… Il se précipite hors de la chambre, que s’est-il passé sur le lit ? qu’y a-t-il ? un corps, dans quel état ? quelle incapacité, dans quelle prison, mentale ? a-t-il pris peur ? la peur prend alors la fuite, on pense : Édouard Stern… non, la fin de Stern, c’est près de quatre ans plus tard — l’année suivante, l’on visitait un appartement dans un château propriété de la famille Stern : à l’orée d’un bois, domaine en glacis visible de la 2×2 voies (D200) juste avant le grand rond-point — l’on avait trouvé à stationner au milieu d’un champ de boue entre les Manitous, bétonnières, big bags de sable, au pied. Rien n’était fini. Dans le hall d’honneur le grand escalier était éclairé par ces rubans led de chantier qui font un Noël permanent, chaque pas s’inquiétant d’où nous posions le pied, mises en garde dans un français sommaire avec accent de l’est, l’homme en bottes qui nous faisait visiter l’appartement nous conduisit ainsi au dernier étage… Il y a eu plusieurs films, Régis Jauffret en a fait un livre en 2010… mais c’est autre chose : c’est que le bruit le suit partout, le poursuit : le film — la poursuite, c’est le film, et c’est où, à la fin, la réalité le rattrape, où le réel accueille et prolonge, c’est-à-dire dément, c’est-à-dire réalise le fantasme. Quand il se penche sur la flaque et lape, ce n’est pas comme quand sa langue glissait le long de la faïence des douches, sanction séquence suivante : il dégueule… La soif est réelle. Comme cela lui colle à la peau, transpiration aidant, transpiration matérialisée noire, cela, dans sa fuite, produit ce bruit de succion tout le long de la bande-son. C’est pire qu’une nudité, c’est comme un sort jeté : un écorché — l’on revoit cette séquence dans laquelle l’homme qui venait d’ailleurs, The Man Who Fell to Earth se débarrasse, soulage, se repose de son déguisement humain, peau comprise : il s’est retourné, le visage et tout l’aspect qu’il présente à la société se sont retournés comme un gant et c’est ce retournement, comme le renversement de la situation, de sa position, qui lui colle à la peau. L’on ne le suit, ne le distingue plus qu’à la luisance qui accuse ses contours dans la nuit des zones et des projecteurs… Le jour de février ne s’était pas vraiment levé. Élégance, grandiloquence d’un chantier — l’appartement semblait un réduit en comparaison de la majesté de l’ensemble. De la pièce à vivre l’on avait vue sur l’hippodrome à usage privé — mais c’était à hauteur d’œil-de-bœuf, à travers les frondaisons d’hiver. Sous les toits, nous nous croyions à l’entresol — la guirlande led blanche s’était arrêtée dans le couloir. La salle de bain était plus grande que la chambre des enfants, elle-même plus haute sous plafond que longue… — C’est peu après que nous avons emménagé dans notre maison, de l’autre côté de l’Oise.
Merci Christophe pour ce très beau recto-verso qui emmène loin;)