#rectoverso #03| Dialectique

Recto

Il y a la nuit qui progresse à travers les jambes et le ventre d’Humphrey.
Il y a les déserts glacés qui s’avancent au-delà des falaises et que l’on oublie dans un verre.
Il y a les bateaux qui s’agitent et s’agacent sur les quais.
Il y a la lueur éteinte dans l’œil de l’homme, ne parvenant plus à surgir dans le noir.
Il y a les visages perdus, les voleurs anonymes qui s’extraient de leur labeur pour échapper à leur ombre.
Il y a les valeurs discrètes des mains fines découvrant le jour pour tâcher d’oublier les monstres.
Il y a la fumée du lointain qui ruisselle entre les nuages et entre les espoirs.
Il y a le vent glacé qui fait trembler les doigts, mais qui consolide les liens entre les tasses de café et leur propriétaire.
Il y a la bibliothécaire qui met parfois le nez à la fenêtre pour observer le vide qui s’apprête à s’engouffrer dans les allées.
Il y a la musique entêtante de la fanfare qui répète dans l’un des hangars du Quai Sud.
Il y a quelques touffes d’herbe au pied des murs, de l’herbe jaune et résiliente.
Il y a des pavés ronds, abîmés et glissants qui aurait dû être remplacés par du goudron tout aussi glissant, mais que l’on n’a pas l’énergie de déterrer tant ils sont figés dans l’histoire de Beck.
Il y a un enfant qui pleure devant la porte de l’un des hangars du Quai Sud, tenant une flûte Piccolo à la main.
Il y a un regard qui se tourne vers lui et qui s’arrêtera peut-être.
Il y a du silence qui remplit l’air et l’espace entre chacun des flocons de neige qui tombent.

Verso

Oui le froid condamne les lueurs, les genoux, les membres trop peu chauffés. Oui parfois on meurt avant d’avoir eu le temps de réaliser que l’on existait. Oui il est nécessaire d’accepter que vivre soit à la fois la sentence gratuite d’un crime potentiel et la rédemption forcée du plus petit insecte. Oui Beck est un monstre sans cœur, cent fois sans foi, un cancer qui ne se réveille que lorsque l’on décide de cesser de communier avec lui. Oui la nuit est souvent le terreau du désespoir, du corps de la mort, de la sexualisation des cimetières. Mais l’apparence est le fardeau des agonies joyeuses, friables, où le nécessaire s’apparente aux profondeurs noires, les seules zones d’abstraction où les concepts peuvent rebondir suffisamment haut pour s’agripper au réel de leurs ongles pointus, eux-mêmes accrochés à des doigts maigres et presque morts. Mais oui, une fois solidement attachés à la corde pendue au dessus du vide, elles reprennent chair et le cycle peut recommencer.

A propos de Stewen Corvez

Musicien, compositeur, chercheur. Écouter - https://www.stewencorvez.com/ Regarder - https://www.stewencorvez.art Voir - https://www.youtube.com/c/StewenCorvez