#rectoverso#03|Oui je le veux

il y a le bas de caisse toujours sale tu comprends tu pourrais te salir mais est-ce que je monte dans la voiture pour rester propre quand je roule dans les chemins creux que les pierres et les herbes sèches raclent le plancher pourraient arracher la carlingue

il y a que les vitres sont sales des sables des cendres des sables qui écrivent le monde sur les vitres salissent le ciel ou le colorent jaune comme le ciel des pays voisins les frontières n’arrêtant pas non plus les nuages radioactifs

il y a chaque année dans le champ devant les maisons à la nuit tombée jamais la journée ce bruit de moteur qui revient et son équipage de pièces métalliques qui sectionnent avalent battent contrebattent trient le grain de l’ivraie recrachant la paille en andains qu’une presse aux mâchoires métalliques elles aussi va presser en balles rondes ou en bottes carrées de plus en plus grosses de plus en plus hautes un seul bonhomme suffit à mener la machine à un rythme infernal que lui-même doit tenir

il y a l’herbe les haies les arbres à tondre élaguer tailler l’herbe tondre les haies élaguer les arbres tailler herbe tondre haies élaguer arbres tailler tondre élaguer tailler et l’ambroisie arracher arracher arracher printemps été sans fin

il y a un homme jean t-shirt sac à dos sourire dents blanches peau noire allant de maison en maison frappant au carreau sonnant à la porte quérant l’embauche à la journée on lui rétorque DPE TESA et quoi  il ne sait pas ne comprend pas ce qu’il veut c’est un taf il est venu pour ça il en est capable mais les portes et les fenêtres se ferment à son passage et le sourire le quitte

oui je le veux ça a été dit prononcé oui je le veux le disant épousant l’homme et sa vie de dur labeur le travail rythmant les jours et les saisons oui je le veux longues journées d’été s’étirant jusqu’à point d’heure viens me chercher il est minuit deux heures quatre heures du matin servir une assiette de soupe chaude à six heures un bol de café et repartir oui je le veux laisser les enfants dormir seuls à la maison ils savent que si les parents sont absents ils sont aux champs ils savent téléphoner à mémé à grand-père aux tantes oui je le veux en permanence vacances à la ferme ça coûte cher des vacances à la ferme oui je le veux articulé dans la salle des mariages fastueuse d’une mairie d’arrondissement allez-vous vous installer dans notre bel arrondissement oui je le veux avec veaux vaches cochons il a de l’humour cet adjoint oui je le veux entendu récemment dans d’autres bouches d’autres mairies d’autres églises oui je le veux timide franc jamais bafouillé les vêlages la nuit le dimanche les jours fériés au réveillon de Noël mais le père Noël oui je le veux courir la campagne à la recherche d’une parcelle d’une pièce de rechange courroie couteaux ciseaux d’un jerricane apporter eau goûter café beurrer un deux trois sandwichs rouler dans des chemins creux le plus souvent impraticables salissant le bas de caisse tu vas te salir la belle affaire tonte élagage taille jardin potager oui je le veux transmettre lieu de vie et lieu de travail parce qu’ici on habite là où on travaille on n’en sort pas pour ainsi dire jamais oui je le veux huit jours en Normandie ou dans les Alpes de Haute-Provence une fois tous les deux ou trois ans et encore échappant aux repas de famille tu comprends les bêtes les semis avant la pluie il va pleuvoir les moissons avant l’orage la grêle ils ont annoncé la grêle la neige oui je le veux renoncer à la ville écouter Berlioz Mozart Miles Davis en direct des festivals de l’été sur la machine*le bercement du moteur Mercedes le même que sur le bateau reliant Brindisi à Amphilochie l’île de Corfou au réveil en moins la mer de céréales blondes la poussière noire colza et tournesol l’odeur de chou de résine de pop-corn des maïs grains oui je le veux le chien dans sa niche la chatte sur le pailler ou dans le fenil les poules dans le pré la bouse de vache sous les bottes les chaussures crottées oui je le veux ça a été dit oui j’ai entendu oui je le veux

*moissonneuse-batteuse  

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

7 commentaires à propos de “#rectoverso#03|Oui je le veux”

  1. j’aime Cecile comment les deux textes se répondent, reprenant les même images agricoles – le recto verso ici me semble prendre tout son sens – mais j’aime surtout cet emballement du oui et de tout ce qui se cachait derrière ce petit mot

  2. Oui, comme Line, comme dans le précédent recto-verso, un art du tissage admirable et là encore un oui où on ne sait plus vraiment si oui, vraiment, je le veux, ou bien si oui, ON le veut pour moi. Comme ça que ça résonne en moi…

    • Comme j’ai aimé ce texte, ces enchaînements de oui qui disent si bien la vie des champs, de la ferme, le travail tout le temps, les bêtes, la pluie, les moissons… je retrouve dans tes mots la vie d’amis éleveurs de brebis..

    • Je n’avais pas pensé à cette intrusion du ON, merci Emilie pour cet écho;oui et tout ce qui va avec tout emballé, sans trier.

  3. « il y a chaque année dans le champ devant les maisons à la nuit tombée jamais la journée ce bruit de moteur qui revient et son équipage de pièces métalliques qui sectionnent avalent battent contrebattent trient le grain de l’ivraie recrachant la paille en andains qu’une presse aux mâchoires métalliques elles aussi va presser en balles rondes ou en bottes carrées de plus en plus grosses de plus en plus hautes un seul bonhomme suffit à mener la machine à un rythme infernal que lui-même doit tenir » j’aime être ici si fort avec les choses avec les gestes comme ce Oui qui scelle et qui avance