#rectoverso #04 | C’est pas un peu frivole?

Les boiseries de la pièce seront repeintes après le ponçage du parquet, un jeu avec les filles dans le jardin, trouver le bon bleu pour l’intérieur des panneaux et celui plus soutenu ou plus clair de leur cadre. Chercher le ton. La mère de Claude Simon s’étendra plus tard sur la chaise longue tapissée de bleu pâle d’où la malade aperçoit le magnolia . Avec des silhouettes en carton on s’amuserait à superposer les nez mémorables des deux mères.

Continuer, me dit son regard, quand son chandail clair apparait dans la nuit au-dessus de l’écran. Rencontres avec Claude Simon, posé contre le mur. Il n’a pas lu Mauvignier, mais son regard tranche d’un même impératif. Continuer.

Les maisons s’approchent par grappe, hautes et froides dans les terres, vastes et lumineuses à la mer. La géographie et les univers circonvoluent. Collioure, Evreux, Perpignan, Trouville, des balises sur la carte, des jalons dans la friche. Et leurs intérieurs vides avec le goût de l’espace et des ombres étirées.


Et,… tu vas aller où avec ça ?

Pour continuer la mémoire refuse le net, exige du flouté, du vrac, de la bribe, du saut d’échelle et d’époque entre les lacets de l’espadrille à nouer sans comprimer la cheville et la Bérénice du cosmos. Avec du fondu au noir ou au blanc, peu importe.

Les craquements de l’escalier au petit matin – il y a quelq…, mais non, c’est le bois – indissociables de la dévalade de sa rampe pendant le chantier de la vieille maison de notaire au toit d’ardoise. Quand les ouvriers sont seuls avec les filles, ils les remontent avec la poulie. Otto le maçon réapparaît à la lecture de Moderato. Claude Simon décolle le papier peint et le recolle en incipit.

La pompe d’arrosage, l’échelle pour les abricots, la préparation des vendanges. La mémoire s’arrête flemmarde aux premières concrétions trouvées dans le sable de la Salanque.

Je te vois faire, avec tes jeux de vicinales, de ténu détail et d’éphémères coïncidences. Ton chevelu de notes, tu pourrais en tapisser les bastions du fort de Salses !

La famille dépose les comportes de vin à la coopérative juste à côté, non loin du camp militaire de Rivesaltes. La midinette poursuit, indifférente à la raillerie. Elle fouille, associe, brode, recopie. Quand elle glisse dans la boue jaune des silences, elle essuie elle-même, maladroitement, et repart vers la prochaine « tache de vert,  parfois un arbre seul, parfois seulement une branche sur laquelle avaient repoussé quelques rameaux crevant l’écorce déchiquetée ».  

Midinette ? Drôle d’idée ! Tu sais ce que c’est une midinette ? C’est pas un peu frivole ? Je lis quelques fragments à l’amie, puis dans un groupe, un jour d’audace. Buttées sur le même caillou, la midinette. Je la souligne intérieurement, c’est bien la figure qu’il me faut pour la traversée dans laquelle se logent le midi, le petit, l’impromptu, et l’ouvrière.

A propos de Anne D

Arrivée en écriture par le paysage et l’architecture, Anne D ouvre les ateliers de Lignes vives aux marcheurs, aux soignants, aux cabossés de tout marteau, avec lesquels elle partage ses nages en littérature pour soutenir des regards singuliers et aviver une écriture sur place et à emporter, celle des autres et la sienne.

4 commentaires à propos de “#rectoverso #04 | C’est pas un peu frivole?”

  1. Des passages mystérieux et la présence de Claude Simon avec celle de la midinette, merci pour ton écriture. Le titre accroche!

    • merci de ta lecture et retour, et désolée pour le décalage horaire, encore un peu en patinage sur le maniement du site !

  2. J’ai cru lire dans le premier paragraphe des réminiscences du Tramway… La mémoire comme vous le dites si justement « exige du flouté, du vrac, de la bribe », ce que vous réussissez parfaitement, je crois. Et puis, il y a ces fenêtres que vous ouvrez toutes grandes et soudain vos paysages mentaux sont balayés par le vent du nouveau, de l’inattendu, « traversée dans laquelle se logent le midi, le petit, l’impromptu, et l’ouvrière ». Hâte pour toutes ces raisons de continuer à vous lire.

  3. merci beaucoup Serge de vos lectures. Pour celui-ci, oui, c’est bien cela que j’ai envie de travailler quelque chose entre le précis ( Claude Simon!) et les éboulis de la mémoire…