#recto-verso#04#la Générale

Recto Verso

Si c’était un jour, ce serait le 27 décembre. L’année ? 1897. Un lundi. 

Si c’était une année ? 1984. Un lieu ? le TNP à Villeurbanne.

Des représentations, il y en a eu avant !

C’est vrai, mais pas pour moi.

Des interprétations, il y en a eu après !

C’est vrai, j’ai même le DVD du film. Je le regarde régulièrement. Mais la date restera 1984. Le premier balcon, toutes mes économies d’étudiante boursière. Une folie. 

Décide-toi 1984 ou 1897

1897, bien sûr. Approcher le miracle. Roder du côté du théâtre de la porte saint martin. Croiser son  nouveau directeur, il soutient la pièce, il l’a jouera. Il aura le rôle principal. Faut-il croire la légende ? Le milieu de décembre était loin et l’auteur écrivait encore les scènes. Il donnait les feuillets aux acteurs, l’encre à peine séchée. Les vers coulant comme de l’eau. Peut-être. Dans son quotidien, parlait-il également en alexandrins ? Ou les actes existaient-ils déjà dans son cerveau ? Il connaissait par coeur l’oeuvre de Savinien, le divin raté. Il a juste ajouté des détails de sa propre vie lorsqu’il écrivait à la place de Jérôme qui voulait conquérir Marie. 

Tu cherches à prouver quoi ?      

Rien, je ne cherche pas à  prouver quelque chose. Je veux retrouver ce moment, cet enchantement. Ah, la ténacité de ces deux hommes, Edmond et Constant. Le premier, déjà deux oeuvres interminables, au phrasé dépassé, démolies par les critiques; il  s’accroche à son rêve, une dernière fois, avant de renoncer. Le second espérant, au mieux, une création pour une semaine pour assurer la liaison entre La mort de Hoche et le mois de Janvier. Personne n’y croit. Rosemonde sacrifie une partie de sa dot. Oui Rosemonde, celle dont les vers ornent les cadeaux de mariage et les cartes postales car vois-tu chaque jour je t’aime d’avantage, aujourd’hui plus qu’hier et … Les acteurs sont unanimes ce sera un four. L’interprète de Christian ajoute même « noir ». 

Donc tu voudrais voyager dans le temps pour ça ?

Non. Le moment est passé. Il ne suffirait pas d’ être là, il faudrait être né avant la création. Personne, jamais ne pourra le revivre.

Pourquoi ? 

Ferme les yeux et remonte à ce mardi 27 décembre. C’est le soir de la Générale, la Première aura lieu le 28 décembre. Le théâtre vient d’ouvrir ses portes, il faut un public. On va le chercher un peu partout, dans les troquets voisins, chez des amis. Les volontaires ne se précipitent pas. Le rideau se lève, Ragueneau s’avance…  Au premier acte, le public rie, au deuxième il vibre, au troisième il est enthousiaste, au quatrième il est bouleversé. Au dernier, il pleure. Moi aussi la première fois à Villeurbanne, je pleurais. Le rideau se ferme, le public est silencieux, il vient de vivre la grâce. Les applaudissements éclatent. Ils dureront vingt minutes. 

Je connais l’Histoire, l’auteur et les acteurs seront portés en triomphe et quelques jours plus tard, Edmond aura la légion d’honneur. Mais pourquoi ce jour là? 

être dans le public, ce soir là, n’attendre rien.  Et vivre ce moment. Vivre l’unique. Comprendre scène après scène : c’est un chef d’oeuvre !  C’est une oeuvre universelle. Le silence se fait. Pour le public de ce soir-là : ils seront à jamais les premiers à l’avoir vu, à l’avoir compris. Ils l’ont vécu. Eux ! Pas les suivants. Dés le lendemain, tous sauront qu’ils vont voir un chef d’oeuvre. Le 27 décembre 1897 : ils ont assisté à l’éclosion.

A propos de Noëlle Baillon-Bachoc

Lectrice compulsive, attirée depuis le plus jeune âge par la littérature de l’imaginaire avec une prédilection pour le fantastique. Je me consacre à présent totalement à l’écriture. J’anime des ateliers d’écriture et des stages dédiées à la littérature de l’imaginaire. Irvi an Amzer, mon premier roman publié est un récit fantastique inspiré de légendes celtes et bretonnes.

6 commentaires à propos de “#recto-verso#04#la Générale”

    • Merci Dominique pour ton commentaire et ta sagacité. Oui bien sûr c’est Savinien de Cyrano de Bergerac.

  1. Merci pour ce texte et l alternance des voix qui donnent du relief à l expérience de cette représentation, sans citer le titre de la pièce qui questionne le lecteur – c est fort !

  2. « être dans le public, ce soir là, n’attendre rien » et arrive  » l « enchantement »… c’est un peu beaucoup l’ambiance dans laquelle je suis quand je deviens le  » public » des textes qui apparaissent ici, je n’attend rien et … arrivent une émotion, un sourire, une interrogation, un enchantement aussi. merci pour cet aller retour dans le temps et ce que tes mots m’évoquent ici et maintenant.

  3. Merci Eve pour ta visite. Oui toutes ces propositions et autant de surprises à picorer dans les productions des autrices et auteurs.