#rectoverso #04 | Poussières de nuages

Bloquée sur la rocade bordelaise. Les nuages de nuit se craquellent, les nuages de jour s’imposent. Impossible de photographier. Panorama grandiose à 180 degrés. Longues bandes de nuages gris-argent, gris-nuit, bleu-jour. Le soleil pointe, joue à cache-cache avec les nuages. Stratus nebulosus ? Stratus fractus ? Altocumulus ? Elucubrationus ? Encore beaucoup d’observations et de rêves avant de bien les nommer. Regarder, observer, scruter pour garder en mémoire. Ne pas photographier. Penser à Bernard Noël dans le journal du regard, il écrit : Les images représentent du regard et non pas de la réalité. Émue, secouée par tant de beauté. Me noyer dans cet océan de nuages. Ne pas essayer de dire, ne pas essayer de photographier, ni dessiner, ni noter, juste observer, ressentir, se nourrir, pour plus tard écrire, un regard.

Depuis plusieurs mois, tu photographies les nuages. Pourquoi cette accumulation ? Pour le plaisir de les observer ? De mieux les connaître ? Ajouter des accumulations à d’autres accumulations sur Instagram. Pourquoi ?

J’écris des épiphanies. Epaissis mes recherches. Écris. Peins. Note.

François Cheng, extrait d’Échos du silence : Ah nuage un instant capturé Tu nous délivres de notre exil

Je badigeonne une feuille blanche d’acrylique bleu abondamment dilué dans de l’eau, laisse quelques réserves de blanc du papier. Plaisir de voir la feuille se gondoler sous l’action de l’eau. Ajoute du bleu un peu moins dilué, et ainsi de suite. Jamais la peinture ne sera la réalité, c’est autre chose, mais le rendu fait nuage. L’infinitude du ciel se dessine sur la feuille. Spontanément sans réflexion. Lignes. Bavures. Nuages-taches. Traces éphémères. Camaïeu de bleu. Amoncellement de voies blanches et mouvantes.

Lire un poème d’Étel ADNAN : Dernières nouvelles : et qui a construit l’univers, qui et pour qui ? Je l’ai créé par égard pour les nuages et pour les étoiles derrière eux. Pour la lumière de la lumière. Pour que soit la mer.

Revenir à la documentation, en suivant toujours l’adage, connaître pour reconnaître et apprécier. Tu devrais consulter le Littré sur internet. Oh joie, de la matière cette multitude de définitions du mot nuage ! Tu imprimes et colles cette liste de définitions dans ton zap-book.

Commander sur une plateforme de livres d’occasion Nuages de Gilles Clément. Prendre des notes. Le nuage est partout, couvre le fleuve se confond. L’eau d’en bas et l’eau d’en haut le nuage.

Poursuivre les recherches, apprendre que le naturaliste français Jean-Baptiste de Lamarck (1744 – 1829) fut le premier à donner un nom aux nuages. Ce travail s’inspire de la classification des espèces et s’inscrit dans la continuité de la grande entreprise classificatrice née au XVIIIe siècle. Tu notes la grande poésie de sa nomenclature : Nuages brumeux – Nuages terminés – Nuages en voile – Nuages en lambeaux – Nuages boursouflés – Nuages en barres – Nuages en balayures – Nuages pommelés – Nuages attroupés – Nuages coureurs – Nuages groupés – Nuages de tonnerre – Nuages brumeux – Nuages diablotins – Nuages groupés ou en montagnes.

Lister des références, essaie de trouver un fil dans ce bric-à-brac. Faire des liens, écrire des souvenirs, évoquer les peintres de nuages, regarder le ciel, aiguiser ton regard, aller au musée des Beaux-arts de Bordeaux, revoir le tableau Marée basse à Etaples de Boudin, souvent appelé le roi des ciels.

Ça fait partie de ta vie maintenant, est-ce une emprise ? Une voie vers l’écriture ? Écrire pour mieux observer, photographier, te perdre dans ces océans de nuages. Écrire pour revenir à l’essentiel, la force des éléments, oublier le monde le temps de la contemplation.

A propos de Isabelle Vauquois

Vit à Mérignac, à deux pas de Bordeaux. Lieux d'inspiration : Vallée de la Vézère, Bayonne, Bordeaux, l'Adour et la Garonne, la côte sud landaise. Depuis 2018, découvre l’écriture avec les ateliers de Claire Lecoeur. Première expérience Tiers livre en 2023 avec "le Grand carnet". Plus j'apprends à écrire, plus j'apprends à lire ! Un projet en cours sur les nuages, l'atelier Recto-verso et l'énergie collective, boostant pour avancer.. .

12 commentaires à propos de “#rectoverso #04 | Poussières de nuages”

  1. Très beau texte qui nous apprend à regardez vers le haut! On suit en direct, pas à pas, à travers les médium , photo peinture écriture, cette exploration artistique étonnante et originale, merci.

  2. J’ai été attirée par le titre… et je n’ai pas été déçue.
    Comme vous, je suis amoureuse des nuages. Je les trouve souvent beaux, singuliers et réconfortants. Bonne continuation dans ce projet multiple.

  3. Merci pour ce texte, plein d’échos en moi du côté des nuages, un peu à la Baudelaire : J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !
    Et si jamais, tu peux rajouter les photos d’Alfred Stieglitz dans ta liste, série Songs et Equivalents
    Et merci pour Lamarck, un nouvel os à ronger !
    Alors surement à un de ces 4 du côté des nuages

    • Merci Juliette, j’ai déjà croisé avec intèrêt tes nuages sur internet ! Je viens d’aller voir Alfred Stieglitz, merci pour la référence. Si les propositions de l’atelier le permettent j’ajouterai d’autres références.

  4. Une belle nuée de…mots ! Bonne suite à cette recherche, merci pour la liste de Lamarck, grand nommeur s’il en fut, qu’il nous aide à naviguer dans cet océan, à mener nos barques, la votre particulièrement.
    Bonne suite,

  5. Contente de te retrouver là avec ces nuages que je vois d’habitude en images. Belle piste à poursuivre.

    • Merci pour le passage Olivia, oui toujours les nuages, je profite de l’atelier pour essayer de réunir les fragments écris de-ci de-là..
      Je réalise que tu as dû rejoindre l’atelier, je vais passer chez toi…

  6. Oui, avoir la tête dans les nuages c’est suivre une belle emprise et une riche voie d’exploration pour l’écriture, la photographie, la peinture… Merci pour ce texte, ces Elucubrationus et bonne continuation