#rectoverso #05 | tout disparut

J’ai 5 ans j’habite avec mes parents un taudis rue de Valence dans le quartier Mouffetard, les marchands de légumes crient, les volailles pendent et les têtes de cochon tirent des langues bleuies par un tampon, ( quelle idée de mourir en suçant son stylo ! ) les fleurs trempent dans des vases en zinc qui mangent les trottoirs, une foule gaillarde et élimée s’agite et s’affaire autour de St Médard, les cloches sonnent.  On se balade souvent au quartier latin, le quartier derrière bastille est trop mal famé pour s’y aventurer sauf si on a besoin de rempailler une chaise. Il ya le bruit constant des pavés dans les rues.

J’ai 5 ans j’ai une queue de cheval et des grosses joues. Dans le jardin vosgien de mon arrière grand père, ( comment est ce possible d’être aussi vieux ! ) sous les tonnelles débordantes de roses qui répandent leurs ombres miroitantes et leur parfum suave, je joue avec ma cousine au regard renfrogné. Tout a l’heure, quelqu’un est venu prévenir qu’un ouvrier de la scierie avait eu les jambes coupées. Le village regorge de potins et de victuailles mais on a pas le droit de jouer près de la rivière c’est dangereux.

J’ai 5 ans et je marche arborant mon ciré jaune tout neuf, sur la promenade des anglais à Cabourg où on nous a prêté une maison ( l’eau mer bateau, les maisons toutes des châteaux)

J’ai 30 ans, Je suis belle, je viens d’avoir un bébé. A Mouffetard plus que des restos et des marchands de glaces, à la bastille aussi. Le trou des halles est rebouché par un centre commercial ( comment s’est possible qu’un chantier dure si longtemps  pour un résultat aussi laid ?) les putes reculent là où le faubourg est encore là pour témoigner du Paris que j’ai arpenté dans ma jeunesse. Il suffit que je remonte vers le Nord pour retrouver la saleté, la gouaille, l’ambiance.

J’ai 30 ans, la scierie a fermé depuis des décennies. J’ai voulu montrer Aillevillers à mon compagnon. Les maisons grises aux fenêtres barrées de planches s’alignent désespérément, plus un commerce, je ne reconnais rien, la rivière a été recouverte de macadam. (comment s’est possible q’un village puisse mourrir comme ça ? ) Le jardin sans les roses est tout petit, en friche, la maison est presque en ruine.

 J’ai 30 ans je pousse la poussette le long de la promenade des Anglais qui s’appelle maintenant la promenade Marcel Proust, et si on ne se tourne pas vers Houlgate, on peut croire que rien n’a changé.

J’ai 70 ans, je hante mes anciens quartiers en trainant la patte. Teeshirt 239 euro pantalon 359 euro robe 470 ( mais qui achète ça ? ) Des kilomètres de devantures identiques entrecoupé de cafés et de restaurants. Mes pieds et mes jambes sont enflés, ( Paris me gonfle !), même Barbes est devenu une avenue chic

J’ai 70 ans Aillevillers est devenu un village moche et propret, extension semi rurale de Vesoul ou  de Montbéliard, nous avons déposé les cendres de mon père dans le caveau de famille et tenté de retrouver d’impossibles vestiges du passé. L’employé du cimetière est très vieux mais pas au point de m’avoir connu petite fille. Le cimetière lui n’a pas changé.( si un peu tout de même, tout a l’air si abandonné ! )

Je ne suis pas retourné à Cabourg.

Paul Eluard – La fraîcheur et le feu

Tout disparut

Tout disparut même les toits même le ciel
Même l’ombre tombée des branches
Sur les cimes des mousses tendres
Mêmes les mots et les regards bien accordés

Sœurs miroitières de mes larmes
Les étoiles brillaient autour de ma fenêtre
Et mes yeux refermant leurs ailes pour la nuit
Vivaient d’un univers sans bornes.

A propos de Catherine Carrot

J'ai rejoins l'atelier du mardi depuis quelques mois et depuis je me suis remise à lire et à lire différemment. J'ai de nouveau du plaisir avec les mots. J'ai fait ce que j'ai pu, des enfants, peu de voyage et beaucoup de musique, maintenant, est ce que ça me définit je fais de la céramique. Et compte tenu de ma naîveté extrème, mon âge me parait absurde et improbable.

Une réponse à “#rectoverso #05 | tout disparut”

  1. « Je ne suis pas retourné à Cabourg » sonne comme sagesse. Pourquoi retourner à Cabourg si ce n’est constater les méfaits du temps ? Une certaine dérision contrecarre la nostalgie. merci.