Cette #5 me laisse à la peine, peu certaine d’avoir capté la proposition, dans un lieu pas encore observé. L’envie de tenir le rythme aura activé les touches.
Une municipalité dynamique y logera-t-elle une médiathèque à ascenseur vitré? Un privé l’hôtel 5 étoiles qui créera des emplois après arrangements avec les services du domaine militaire sur lequel a été posée la terrasse ? A moins que mer, vents et rochers ne reprennent sans formulaire ce qui a été conquis acquis cadastré transmis divisé rentabilisé, débaptisant La Rocasse, la terrasse sur le roc. A la une du journal rageux de la perte : drame à Collioure, la Rocasse engloutie par les flots.
Claude Simon a habité Collioure avec sa première femme, glisse la midinette.
Les volets battent, les crépis bavent. Un papier scotché sur la porte du hall sous une protection de plastique qui n’a pas empêché la décoloration de l’encre, précise que la porte ne doit pas rester ouverte après 22h, le syndic, souligné. Fuir côté mer. On le savait de longue date, retourner à l’intérieur ce sera par les images intérieures. Mais, vingt ans plus tard, dans une halte vers les Pyrénées, impossible de ne pas le remarquer, les dix-huit lettres rouges accrochées à l’étage au-dessus de la terrasse précipitent d’autres battements et l’arrêt d’une marche sur le sable : APPARTEMENT A VENDRE.
La salle de bal construite par un descendant du baron Berge qui accompagna Napoléon en Egypte selon l’urticante notice historique d’un loueur de meublé du Château de la Rocasse, se devine depuis la plage. Balustrade en ferronneries florales, la terrasse aussi. Le jardin derrière, non. Des aloès entourent un bassin aux céramiques turquoises, un lierre en vadrouille sur les murs. Quelques arbustes aux feuilles caoutchoutées griffent au passage, trop bas, intaillables après un temps trop long d’abandon, mais seuls capables de tenir l’embrun et la rafale. Le bassin fuit, une chaise en toile recouvre le tuyau en plomb de l’arrivée d’eau qui ne projette plus rien mais fait signe à la Maison de mon oncle. De ce poste reculé, en sons, en tons, en voiles oublieuses, depuis cet hortus conclusus, la mer désamarrée de la plage criarde. Salle de bal, terrasse, jardin, la tranche noble d’une bâtisse noble au confort rudimentaire. Des travaux auraient dû.
Si. Ne s’était pas.
Mais.
Vendue.
Après le suicide de sa femme, Claude Simon ne revient plus à Collioure.
Passé la pénombre du hall, en marbre, démesuré, l’escalier à doubles volées et les boules en cuivre de ses rampes, une petite porte vert foncé dans l’angle de la cage d’escalier blanchie à la chaux. Le découpage de la maison en appartements a muré les boiseries caramel qui ouvraient la longue salle où des « soubrettes espagnoles venaient apprendre aux invités à danser la sardane ». La légende voudrait porter secours à l’agent immobilier, la grande surface est dépourvue des chambres et équipements qu’on s’attendrait à y trouver. La première visite se rejoue sans fin. Une entrée opaque, clic d’interrupteur en métal, un chauffe-eau logé derrière une porte d’armoire ancienne. Un quart de tour à gauche. Un second. Une fenêtre, haute, d’abord, des portes-fenêtres jumelles aussitôt après. La lumière retrouvée par passes croissantes et l’espace qui s’étire, mange les pas sur les tomettes orangées et suspend paroles et souffles à l’entrée de la mer devant autour en plein cintre du sol au plafond sur trois côtés de la chambre à la mer, où s’essartera dans un temps sans heures une première clairière parmi les livres.
C’est incroyable… l’articulation phénoménale des phrases, flot continu, style arithmétique et soyeux, les doux calculs articulatoires comme en danse contemporaine quand le corps s’incruste jusqu’au sol et jusqu’aux cintres, et soudain, en simples mots, la petite histoire non dite, juste entrevue, qui fait la grande histoire mêlée au grand malheur, je n’oublierai pas.
et cette joie de transmission dans le style qui révèle sa source comme le flux de sa rivière : « Quelques arbustes aux feuilles caoutchoutées griffent au passage, trop bas, intaillables après un temps trop long d’abandon, mais seuls capables de tenir l’embrun et la rafale. » Tant merci Anne, et vos Lignes vives m’intéressent au plus haut point…
merci, Françoise, pour ce dansant encouragement à poursuivre !
C’est si magnifiquement écrit, de bout en bout, d’une seule coulée d’encre marine en l’occurrence, jusqu’ « où s’essartera dans un temps sans heures une première clairière parmi les livres. » waouh ! Merci.