Il y a le soleil qui se lève à l’Est et des êtres humains agités à l’Ouest.
il y a la cigarette jetée par la fenêtre de la voiture, dechet de rien, anodin, incandescent.
Il y a un vent léger.
Il y a celui ou celle appelé les gens quand on se sait pas de qui de quoi on parle.
Il y a les gens de bien.
Il y a ces gens-là.
Il y a les gens tout court, masse informe pour jugement formel et définitif.
il y a la feuille devenue carbone et la feuille devenue humus, est-ce la même chose ?
il y a les nervures qui s’agitent comme os des doigts.
il y a un cri entre ciel et cimes.
il y a un chemin boueux qui serpentent.
il y a une flaque dans un trou, une abeille qui boit l’eau boueuse.
il y a l’écorche chutée au milieu des morilles et la nuée d’insectes en suspension au-dessus de la flaque.
il y a le beau mot frondaison qui dit le bruit du bord quand ça souffle fort.
il y a les animaux qui attendent la nuit, ou la fin du jour, c’est selon.
Il y a l’angoisse de voir la fumée au loin monter au-dessus des champs et des collines.
Il y a les gros oiseaux de fer qui tourbillonnent au-dessus de l’eau.
Il y a les cris de qui ne peut rien faire d’autre.
il y a rien as-tu dit, absolument rien à dire.
il y a beaucoup de choses étouffées entre tes paupières closes et tes doigts affairés.
il y a l’arbre aimé, t’en souviens-tu ?
Il y a la terre qui tourne et les moulins.
Il y a hommes et femmes dans une forêt, à 60 ans de distance, ils fabriquent du charbon de bois.
Il y a si longtemps qui s’en souvient encore ? Qui peut encore avoir la mémoire d’une expérience vécue là-bas qui soit si forte qu’elle oblige à l’action ici ?
Il y a des fourmis, des scolopendres, des abeilles charpentières, des capricornes, des cadillies violettes, des scarabées et de la ficelle balancée au bout de la branche.
Il y a des milliers et de millions de choses dans cette forêt appelée domaniale.
Il y a tout et bien plus, qui s’en souvient, qui y pense encore ?
Il y a un homme qui dit dans un poste radio sur les ondes FM d’une chaîne nationale « Le problème ce sont les forêts qui nous mettent en danger en étant trop près des villes. Il faut créer des couloirs de sécurité anti-forêt. »
Il y a la télé qui donne des chiffres, des millions partis en fumée, le mot apocalypse répété sur des images de brasiers.
Il y a un teknival quelque part au fond d’un bois, battements de cœurs et de pieds.
Il y a la flamme d’une bougie, elle ravie l’enfant qui souffle fort pour l’éteindre.
Il y a dans « La flamme d’une chandelle » de Gaston Bachelard, la phrase « un arbre est bien plus qu’un arbre » du poète Gilbert Socard.
Il y a Céline Arnauld qui écrit « Je ne sais plus si je dors car la lumière veille dans l’Héliotrope ».
Il y a quelque part tous les jours quelqu’un qui dit « on ne va quand même pas revenir à la bougie ! »
Il y a l’ignorance des hommes et le savoir des choses de la vie.
Il y a le déni et l’envie de partir en vacances.
Il y a l’aliénation par le travail et la peur de tout perdre.
Il y a un couple devant la mairie en robe satin et queue de pie, tout le monde sourit et la fumée arrive derrière le haut bâtiment.
Il y a le chevreuil bondissant par dessus la clotûre et s’arrêtant aux aguets, toute attention dressée vers le point lumineux qui déchire la lisière.
Il y a un enfant qui demande pourquoi et une explication boiteuse.
ll y a rien, rien dites-vous, rien à faire d’autres que ce nous faisons déjà.
Il y a des cri dans la nuit.
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Oui, l’enfant peut sortir, elle a donné l’autorisation, elle ne saura rien de lui pour les deux prochaines heures. Il s’élance, enfile le manteau et les bottes. Il peut passer la porte, franchir le portail, s’avancer dans le grand dehors. Il traversera la route, franchira l’immense talus, après les tuyas contournera la salle rectangle, vide, construction étrange, abandonnée peut-être ? Il déboulera sur le terrain de foot entouré de barrière ciment. A découvert, il sprintera en direction de la cage du gardien de but et plongera vers la lisière. Elle a libéré un monde en lui disant oui, un simple mot pour une grande exploration, retrouver le familier et l’inconnu. Après le terrain il passera par le grillage déchiré, il n’a qu’à se baisser et il pourra poser à nouveau la main sur le bouleau qui pleure des larmes abondantes au printemps quand il lui fait avouer ses trahisons avec un canif, et il marchera jusqu’au chêne qui l’attend au milieu d’une minuscule clairière – il vient d’apprendre le mot. Il passera à gauche de la petite clairière – c’est sa main gauche qui tient le frein avant du vélo quand il monte sur la route vers le bâtiment gris – par la porte dessinée par les deux arbres aux bras poilus, il continuera tout droit, sans faire de bruit – comme les indiens qu’il aime – pendant un peu long et trouvera la voie de chemin de fer abandonnée, celle qui conduit au-delà d’ici, vers un ailleurs fertile pour les rêves de la nuit. Il s’accroupira sur le ballast – il ne connait pas encore le mot – et il rêvera d’apprendre à faire un feu avec une planche de bois et un bout de bois, il apprendra plus tard l’expression « par Friction ». Il est certain alors que s’il sait faire ça, il pourra avancer le long de la voie au milieu de la forêt qui est le vrai monde, pense-t-il, aller au bout et trouver une autre voie et partir longtemps sans se retourner. Est-ce ainsi qu’il quittera un jour, celle qui sait si bien dire Oui ?
oooh. hyper fort. L’accumulation des il y a. Pourrait continuer encore. On se fatigue pas.
tout ce réel brassé, ces paradoxes côte à côte… merci fort pour ce texte
« Elle a libéré un monde en lui disant oui, un simple mot pour une grande exploration, retrouver le familier et l’inconnu. » Merci Michaël d’être passé me commenter ainsi j’ai su que tu es par ici à écrire aussi , ton texte, ces il y a, la forêt, le mot frondaison, les insectes, les chiffres…les mariés et la fumée juste derrière, ce monde qui vibre et meurt… puis ce Oui magnifique qui ouvre un chemin, me touche très fort.
Accrochée par ce « Il y a tout et bien plus, qui s’en souvient » « au milieu de la forêt qui est le vrai monde » tout se ramasse en si peu de mots. Merci !