On dirait en me regardant de prime abord, que je suis une personne simple, sans histoire, menant une vie terne et probablement ennuyeuse voire mortelle pour ceux qui préfèrent l’action à la contemplation. Ma vie est routinière, c’est vrai comme tout le monde. Ma vie est réglée au cordeau entre mes obligations d’épouse, de mère et d’employée. Mon mari travaille en 3X8 dans une manufacture sucrière. C’est sa semaine de matin…il est parti tôt. Il m’aide quand il est là mais de manière générale, j’ai peu de temps pour moi. Chaque jour que Dieu fait, je lève mes deux ados, les presse de se dépêcher, ils rechignent…j’insiste. On va arriver en retard au collège et moi aussi au travail. Ce matin, c’est mort…je vais devoir prévenir mon patron. Je pense qu’il ne m’en voudra pas trop. Il sait que je rattraperai le retard…rattraper des heures perdues n’a jamais tué personne. Mes rejetons sont enfin devant la grille du collège. Ils rejoignent leurs copains et leurs petites amies éphémères…amourettes enflammées vites éteintes. Je file au travail…Dans le retro, aucun de mes ados ne me regarde partir…je n’existe plus pour eux jusqu’à ce soir. J’ouvre le magasin avec quelques minutes de retard…l’accès au public se fait plus tard. Je m’affaire à sortir des cartons les articles livrés hier en fin de journée. Je les dispose en vitrine puis dépose les cartons sur le trottoir…c’est le jour de la collecte des déchets recyclables..Ultime coup de balai…Nickel…d’une propreté clinique. A l’arrivée de mon patron, la boutique est prête à recevoir le public. Echange de politesses, considérations sur la météo puis calage d’emploi du temps. On me dit qu’il a été modifié…j’ai l’habitude des contretemps et autres temps morts. Mes autres collègues viennent d’arriver à bord du fourgon funéraire. Les gendarmes les ont appelé pour une prise en charge d’une personne décédée à domicile…Je les rejoins au funérarium situé dans le prolongement de la boutique. Je sors d’un vestiaire qui m’est réservé, une chasuble blanche, un masque d’infirmier, chausse des lunettes et des gants et je change de chaussures. Je m’approche du brancard et j’ouvre la fermeture de la housse mortuaire…Un homme entre deux âges, yeux ouverts, bouche pendante et grimaçante. La mort a été brutale et douloureuse…Sans doute une crise cardiaque. Comme thanatopractrice exerçant depuis des années, je devine les manifestations de la mort…noyade…pendaison…cancer…crise cardiaque n’ont plus de secret pour moi. Je perçois au fond de moi ce qu’a dû ressentir le défunt avant son trépas. Leurs expressions d’horreur, d’incompréhension, en sont un témoignage criant. Les morts se ressemblent-ils? sans doute mais les stigmates de leur vie passée, les rendent uniques. Dans mon métier, on ne dit pas un cadavre, mais un défunt. On se doit d’être empathique et de respecter la dignité des personnes que l’on nous confie. Les mots ont leur importance. Je me mets à l’ouvrage. Je ne connais pas ce défunt même s’il m’arrive de donner des soins à des personnes qui me sont familières. J’habite dans une bourgade où on finit tous par se connaître, sans nécessairement s’apprécier. Je dévêts le corps et je le lave avec respect. Je lui scelle les yeux et la bouche pour ne pas choquer ceux qui le verront dans le salon funéraire. Un regard mort et fixe ouvert sur l’éternité est dérangeant pour celui qui n’y est pas habitué. Pour moi, le regard c’est ce dernier lien qui rattache à l’humanité. Je procède à présent aux soins de conservation. Avec mes valises d’aspiration des fluides corporels et d’injection de produit formolé, je redonne une couleur de peau naturelle au défunt. S’il le faut, je le rase, je le maquille, le maquillage doit être léger, je le peigne et je le rhabille. Je m’applique sur les mains…C’est ce que l’on touche le plus. La mort se doit d’être présentable et non répugnante. Le défunt doit donner l’impression de dormir. Les opérations de soins terminées, je le dépose sur le lit réfrigéré du salon funéraire. On appose une plaque nominative sur la porte d’entrée du salon et on met en place quelques éléments de décor. Le cercueil viendra plus tard. La mise en sçêne est terminée. Notre défunt est prêt à recevoir familles et amis pour un ultime adieu. Ma tâche de thanatopraxie est achevée. Je redeviens une employée d’une entreprise de pompe funèbres. Un couple d’âge mûr est dans la boutique. Il veut des informations sur des produits et accessoires. C’est pour plus tard…rien de pressé. Prévoir ses obsèques ne fait pas mourir. Je sors mon sourire commercial le plus irrésistible et catalogue en main, j’invite le couple à s’asseoir sur des fauteuils moelleux et je leur présente notre gamme de produits. Je ne dois pas oublier le conseil de classe de mes deux ados. Encore une journée ordinaire.
J’ai eu beaucoup de plaisir a liŕe ce texte. Merci. Cela me donne envie d’en savoir plus sur le personnage et sa vie.
bonjour;
L’occasion se présentera peut être. Merci pour le commentaire
Merci beaucoup pour ce texte. Judicieux la façon d’intégrer recto et verso.
Bonjour;
Je m’efforce, quand c’est possible, d’intégrer les deux. Cela offre des pistes intéressantes. Merci pour le commentaire.
… quelle mission que celle de faire plus que présentable, beau, un corps déjà éteint. Merci pour cette narration, on suit » l’artiste » pas à pas.
Bonjour;
Avez-vous déjà vu des portraits post-mortem, très en vogue au XIXè siècle, en particulier des portraits en pied de défunts? Je vous suggère, si ce n’est pas fait de regarder l’oeuvre de August Sanders et dites moi ce que vous en pensez. Merci pour le commentaire
Les éléments qui m’ont intéressée, ce sont toutes les oppositions de votre texte : ados/ vieux clients, rapidité/ éternité, la quantité de fois où le mot » mort » est utilisé et l’usage ensuite du » défunt » .. Merci pour toute votre attention à l’écriture.
merci pour le commentaire
Merci Laurent, j’aime beaucoup votre texte et j’ai une amie qui fait ce métier et qui me raconte des choses similaires à ce que vous décrivez.
bonjour;
Je me suis inspiré d’une voisine qui exerçait cette profession, qu’elle voyait un peu comme un métier d’aide à la personne. Elle vouait une véritable passion à ce métier. Merci pour le commentaire.
Emportée par le récit bien raconté! Merci.
merci pour le commentaire.
oui, plein de pistes pour le transmedia, mais… on imaginerait encore mieux ce texte s’ouvrir à dimension nouvelle ou roman !
pourquoi pas? idée à creuser
J’ai aimé cette imbrication du recto/verso, comme dans le texte de Cécile M. On y est. J’ai aimé l’opposition vie quotidienne / métier qui fait face à ce moment ultime qu’est la mort.
merci pour le commentaire