« Rue Laurendeau » / Josette Choquet
Ce bâtiment ils le nommaient « rue Laurendeau », ce n’était pas la rue Laurendeau, On allait « rue Laurendeau ». On a toujours appelé ça « rue Laurendeau ». Tu ne décidais pas d’aller «rue Laurendeau ». On t’y mettait. On ne savait pas, il est dans la rue Millevoye.
Rue Laurendeau, c’est peut-être dû au nom de cet avocat Jean-Charles Laurendeau, né en 1749, qui en 1789 est devenu député du tiers état pour le baillage d’Amiens et en 1815 de la Somme durant les 100 jours. Au 43 de la rue Laurendeau se trouvait la direction diocésaine catholique. L’Etat avait conclu un contrat social avec l’église et il plaçait les enfants dans ses institutions religieuses.
Ses nom, adresse exacts se trouvaient pour nous dans le registre des lieux anonymes.
Du côté rue, la façade, un long et haut mur de briques rouges surmonté d’une croix à peine visible. On apercevait une chapelle. Une énorme grande porte cochère en chêne s’ouvrait sur un hall fermé. On ne s’’imaginait pas qu’à l’intérieur ce bâtiment s’imposait comme un monstre, paradait bien ancré, magistral. Il vivrait longtemps.
Le «rue Laurendeau était tenu par « les cornettes » congrégation des filles de charité créée au 17 ième siècle, portée par les sœurs saint Vincent de Paul.
Les cornettes et filles de six à quatorze-quinze ans étaient les seules à occuper les lieux. Pour ces dernières le séjour selon les cas pouvait durer bien longtemps.
J’y suis restée les trois mois d’hiver 1961, une éternité !
L’on était bien petit dans ses vastes couloirs, ses grandes pièces aux odeurs de renfermé, de mélange de fleurs desséchées, ses statues funestes, ses murs de bondieuseries et aveugles, cela donnait la nausée. Les claquements en cadence des chaussures ferrées sur le carrelage, des pas militaires, le retenti des grosses clés qui s’entrechoquent, tout cela résonnaient dans mon corps. L’absence de chauffage me glaçait.
L’accueil par sa froideur, sa rigidité, son absence de chaleur me pétrifiaient.
Il était inhospitalier. Les cornettes, dames de charité, mais rigides, avares, froides, autoritaires, soumises à la discipline, manquaient d’empathie, d’amour envers ces enfants en souffrance affective, livrées par l’état. Cela, faisait de « rue Laurendeau » un centre non pas d’éducation mais de Rééducation, une prison en somme.
Ce n’était pas forcément un lieu inhabitable, tout était prévu : dortoir, salle commune, salle d’école, réfectoire, cour, chapelle…
Mais,
– Entassées dans des dortoirs surpeuplés lit contre lit, avec à son extrémité, un lavabo collectif à l’eau froide, on n’avait aucune intimité. Les malheureuses les énurétiques y subissaient l’humiliation.
– Le réfectoire gardé par leurs sculptures implorantes, où chaque matin l’odeur de café au lait bouilli empestait les habits et donnait des hauts de cœur. Mêmes relents désagréables le midi et le soir.
– La salle commune où les enfants assis stoïquement sur des coffres adossés tout au tour de la pièce attendent sagement. Pas de rire, pas de cris, pas de joie. Du silence. Seul le poêle au centre de la salle répand un peu de chaleur.
Les plus grandes chargées de s’occuper des plus jeunes, régnaient sur le territoire. Tu découvres la violence, la folie de l’enfermement, la solitude, la peur.
- Une petite salle dans la cour fait office d’école, on accédait dans la classe par un escalier. À ses pieds, un gros tas de pommes de terre où chaque matin une cornette au doux sourire séparait les pourries des bonnes, dans une odeur insupportable de putréfaction.
Dans la classe, s’alignent trois – quatre rangées de longs pupitres de bois d’au moins six places face au bureau de la maitresse placé sous la fenêtre. Ici, l’instruction fait place au gardiennage.
– La cour, au centre, pour la verdure, la chlorophylle, l’unique platane encerclé de haut mur en briques. Quelques sorties de plein air, dans le silence, la solitude. Mon arbre qui à chacune des promenades me hélaient, lui mon refuge, mon réconfort.
Plus de soixante plus tard, ce bâtiment est toujours entre les mains du Comité Départemental Familial Scolaire de la Somme Catholique. Pas une ride de l’extérieur ; la lourde porte de chêne est remplacée par une en métal, plus légère, ouverte vers l’extérieur. Des jeunes de douze à quatorze ans confiés par les services d’aide sociale à l’enfance occupent les lieux.
Un jour, peut-être aurais-je le courage de franchir le seuil ?
Dans la cour qu’on entrevoit de l’entrée, l’arbre a disparu !
cette Rue Laurendeau glace le sang… et cet arbre-refuge disparu attriste…
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Merci beaucoup! je vais essayer d’y penser
Très beau texte. Merci Josette.
J’aime particulièrement l’évocation des odeurs, la poussière, le renfermé et le pourri…
Il y avait aussi, dans la même ville et le même genre d’enfer pour les filles, le Bon Pasteur…
« Mon arbre qui à chacune des promenades me hélaient, lui mon refuge, mon réconfort. » impressionnante et glaçante lecture – « L’on était bien petit dans ses vastes couloirs, ses grandes pièces aux odeurs de renfermé, de mélange de fleurs desséchées, ses statues funestes, ses murs de bondieuseries et aveugles, cela donnait la nausée. Les claquements en cadence des chaussures ferrées sur le carrelage, des pas militaires, le retenti des grosses clés qui s’entrechoquent, tout cela résonnaient dans mon corps. L’absence de chauffage me glaçait. » merci Josette