#rectoverso #06 | je sors du cadre

je sors du cadre

Je file sur le bitume, je distribue la pitance au monde moderne. Les jeunes tiennent la porte de l’immeuble avec un pied, agrippent le paquet et disparaissent. Ils ne me parlent pas je ne leur parle pas. J’ai un habit propre un casque et des lumières aux pieds, j’ai un appareil branché aux poignets où défilent les adresses les quantités les noms de code. Souvent une litanie de chiffres. Si le client dit le sésame, il a droit à sa commande.

La nuit il fait très chaud. J’ouvre les yeux grands. Comment dormir dans cet espace surchauffé avec 3 zigotos qui ronflent sur les matelas à côté.  Je rêve d’un lac en plein champ. 

Le jour, je m’asphyxie avec les gaz d’échappement. Un manque d’oxygène à s’étouffer et à racler ses bronches. À expectorer son crachat rouillé, ses gentes à plat et ses pistons poussifs. Je me regonfle. Le temps qui passe, en roue libre, l’atmosphère est nauséabonde.

Voilà que les potes s’invectivent, ils ne sont pas d’accord. L’un d’eux aurait le titre de séjour de l’autre. Branle-bas combat. Qui est qui, dans ce cas-là ? Tu réponds au prénom d’Aristide ou de Joshua ? Tu floutes les parages, tu évites la police, ça brouille un peu plus l’esprit.

Et le béton moite, chaud, fondu. Ne pas tomber, s’attacher à la vie. Je devrais faire une pause. Ça me traverse. À cause de la chaleur. Sans doute. Je revois mon pays. Ça défile les images. Je revois ma sœur, alitée, dans son habit d’apparat. Interdit de cracher, lui avait-on signifié, effluve organique, pouvait-elle souffler sur ses braises ? J’avais avisé, la feuille de soins, et la course aux bacilles. Ça y est, la machine a parlé, une autre adresse, un autre sandwich, bien français, je n’irais pas cracher dans la soupe, je remonte petit à petit ma pente, je sauve les meubles, mon français progresse, les expressions tous les soirs sur mon petit carnet. Quand la fatigue est trop forte, j’ai envie de tout lâcher, je rêve d’un petit dérapage non contrôlé, une sortie de route.  Et puis je me reprends. J’appelle ma famille. Ça requinque. Parfois. Pas vraiment toujours.

Au paradis, je pédalerai encore, les doigts dans le nez. Enfin pénard, plus besoin de béqueter ou de boire, je prierai pour les autres. Une fois mort, on voit tout, d’en-haut. À ce qu’on dit. Moi les anciens je les sens, je les entends, ils me parlent à l’oreille, me secrètent, me susurrent, je crois toutes ces voix, je les remercie de me faire signe. Je n’ai pas peur des morts, ils sont nombreux. Juste une question d’agenda. A quand la pesée des âmes ?  T’y crois toi à la pesée ? Moi, j’aurais peut-être pas la plus lourde,

1 kg de plume ou 1 kg de plomb ?

Et nos bourreaux, dieu les a-t-il absout ? Et moi, je ferais quoi ? Imagine qu’ils te reconnaissent ! Là-haut, sur ton nuage ! Je ferais semblant ou j’irais leur parler ? Sans mot, sans main, à travers un signe, un je ne sais quoi ? Le feu est passé au vert. J’accélère. Les allers-retours dans toute la ville. Je ne connais ni le nord ni le sud, je quadrille l’espace. Le GPS a parlé, je m’exécute. 

A propos de Judith Judith

judith judith écrit de la poésie et la performe

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