Allez, on bouge. je prends le train en marche. En retard, mais j’ai mes raisons. Petit à petit vous comprendrez si vous me lisez. Je vous la fais à l’envers. Qu’importe. Là je me veux me souvenir de quelque chose de très ancien, de Savigny-les-Beaune et de mon métier que je n’exerce plus, mais qui a été le mien pendant 172 trimestres. 172 trimestres si je n’avais pas été souvent en CDD. 1970 les vacances de Toussaint ,Savigny-les-Beaune. C’est juste après mon bac, j’habite toujours chez mes parents, je commence des études à la fac de Dijon. Psycho, sans enthousiasme. La municipalité demande des jeunes pour accueillir le Président qui inaugure l’autoroute Lille Marseille. Il n’y a pas tant de distraction à Savigny-les-Beaune, alors j’y vais. C’est un jour de brouillard sur le viaduc de pont d’ouche. L’autoroute comme une promesse d’avenir, de départ, de voyages lointains. J’y crois, ça me transporte. Les week-end je suis agent de péage au péage de Beaune. Le jour, la nuit, ça dépend. Je voyage dans ma petite cabine. Des Belges, des Allemands, des Hollandais, des Anglais, j’apprends à reconnaître les voitures et je manie des billets, des billets, des billets. Parfois je fais aussi des remplacements aux pompres ou à l’aire de service. Je vois du monde, je parle un peu anglais, un peu allemand. Le monde est tellement plus vaste que Dijon et Savigny les-Beaune. Je suis enceinte d’un hollandais. Ça se complique. Mes parents veulent que je continue mes études, ils garderont le bébé. Je veux mon indépendance , avec l’autoroute je ne manquerai jamais de travail. Le beau Niels, le grand hollandais blond disparaît. Lorsque le bébé nait, je suis agent de nettoyage des toilettes sur les aires de service. Il ya toujours des remplacements à faire aux pompes, au restaurant ou dans les cabines de péage. Je cumule. Je suis un temps un Espagnol, mais ça se détériore entre nous très vite. Je rentre à Savigny-les-Beaune. Je suis une formation pour devenir patrouilleur. Il y a de plus en plus d’autoroutes, de voitures, de rencontres. Patrouilleur c’est bien, dangereux, mais bien; on profite vraiment de l’autoroute.
Le problème quand t’es patrouilleur c’est les morts. C’est éprouvant. Ton rôle se limite à dévier la circulation, à protéger la scène, à faciliter l’intervention des secours ; tu ne touches pas, tu n’as pas de contact direct, mais quand même tu vois et ça ne s’efface pas. C’est ça le plus dur. Plus que le danger que tu cours toujours, la nuit surtout. L’autoroute, c’est ça aussi, des fous, ivres de vitesse qui se croient plus forts que la mort, la leur et celle des autres. Patrouilleur ça t’use prématurément, le stress, l’angoisse, le trauma.
Le temps a passé, il y a eu moins d’autostoppeurs, plus de camions, des voyageurs des pays de l’Est, les cartes bancaires, le péage sans arrêt, le péage sans contact. Maintenant l’autoroute en flux libre qui fait moins rêver; il n’y a que les morts qui sont toujours au rendez-vous. Moins que sur les routes, mais toujours dramatiques : des piétons, des routiers, des automobilistes. Et puis l’autoroute ne me fait plus rêver. Je me poste parfois sur un pont et je regarde. J’ai appris un peu de russe et des centaines de recettes de Bortsch.
Il y a souvent cette grande force concrète dans tes textes, quelque chose de direct; j’aime comme le souvenir avance avec cette voix qui nous retrace une partie de sa route ( premiers boulots qui font voir d’autres mondes) . Autoroute : vectrice d’histoire et de fiction : patrouilleur je ne connaissais pas« tu ne touches pas, tu n’as pas de contact direct, mais quand même tu vois et ça ne s’efface pas. » Les morts de la route et tout ce qui n’est plus, s’efface, change . Merci .
oh merci Nathalie. ça me touche beaucoup, moi qui prends le train en marche. d’autres soucis, c’est vrai, mais de vraies découvertes dans ce cycle et à côté. Je vais essayer d’en parler. C’est bizarrement une période très riche malgré les soucis. Encore merci, surtout venant de toi.