Recto
Le fait qu’il ont menti le fait qu’ils savaient très bien que c’était perdu d’avance, que tout ceci ne servait à rien d’autre qu’à faire avancer leur recherche, le fait que même mes parents médecins n’ont pas vu l’entourloupe, ils ont dit oui sans poser de question, le fait est qu’ils ne demandaient qu’à croire au miracle, le fait qu’on ne m’a pas demandé mon avis, le fait que le don de moelle se faisait sous anesthésie générale. Le fait est qu’ils ne savaient absolument pas si j’étais compatible mais dans l’état de leur connaissance ils n’avaient aucun moyen de le savoir, ils faisaient juste semblant pour avoir le contrat comme n’importe quel commercial de chez Peugeot qui sait que sa bagnole est pourrie, le fait que mes parents ont suivi, depuis le hublot qui donnait sur la chambre stérile, les manipulations infirmières comme s’ils regardaient un braquage à la télé. Le fait que au bout de 24 heures les médecins ont compris qu’ils avaient perdu leur pari, zut dommage, mais ont continué pendant quelques jours à faire croire que ça allait peut être marcher. Le fait est que l’on ne pouvait pas revenir en arrière, sa moelle à lui, ayant été détruite par une chimio.Le fait qu’ils l’ont transféré dans d’autres services dès qu’ils ont su que c’était foutu et se sont désintéressé de la suite. Le fait que la suite a duré 3 ans d’agonie en déménageant d’un hôpital à l’autre.Le fait que le médecin a eu quelques années plus tard un Nobel pour ses recherches sur la greffe de moelle. Le fait que mon frère était déjà mort à ce moment là, à 14 ans.
Verso
Le fait que toute ma vie je n’ai pensé qu’à ça, à sa souffrance, à leur suffisance, leur obsession du pouvoir, leur absence de doute. Le fait que j’ai passé ma vie à tenter de consoler ma mère de ce deuil impensable. Le fait que 25 ans plus tard je me faisais couper les cheveux par Veronique dont le frère a été dans le même service, au même moment que mon frère à moi, pour la même maladie, aplasie médulaire, le fait qu’il n’y avait pas eu pour lui de donneur compatible, le fait que ça a été sa chance. Le fait que lui, il a survécu avec sa moelle déficiente jusqu’à 45 ans. Le fait qu’il a eu un métier, une femme, des enfants. Le fait que j’ai blêmi parce que, ayant fini par essayer de croire à leur version de «on avait pas le choix», le fait est que, inopinément le fait est là, raconté par Véronique dont les ciseaux virevoltaient autour de ma tête, là, devant le miroir de la coiffeuse, je comprends que, si, justement, on aurait eu le choix si on avait pu choisir.
La vérité sort de la bouche des coiffeuses !
Merci, Catherine, pour ce texte fort si peu « naïf »- je reprends le mot de ta présentation- que les « le fait que » rendent percutant.
Merci pour ce texte Catherine.
Touchant, troublant. Beau texte, venu de loin, laissant en suspens un irritable désarroi. Merci.
Merci Catherine pour ce texte. Douloureux, graines de colère à venir, et jamais d’excuse ou de mise en doute. Le pouvoir de la blouse blanche et la compréhension des faits (avec beaucoup d’amertume) des années plus tard.
Merci pour ce texte Catherine absolument terrible et révoltant, oui. L’expression « le fait que » prend ici je trouve tout son relief. On a envie de rétablir les faits à défaut de pouvoir changer l’histoire. J’aime beaucoup ta présentation. Ravie de te retrouver ici.
… le fait de cette coïncidence chez le coiffeur… et cet impossible choix…merci pour ce récit qui suscite indignation au milieu d’autres émotions…
Que d’émotion et de vérité tu fais passer dans ce texte Catherine ! « par le fait que » trouve toute sa place ici et donne sa force aux mots..