#rectoverso #07 | OBIEGLY

Le fait est que je suis tombée en amour d’Obiégly. Je ne connaissais pas, je veux tout lire maintenant. Tout « Gens de Beauce », « Sans valeur ». Un choc, un vrai. Au début, j’aurais facilement confondu Obiégly et Ovaldé. Rien à voir, juste un patronyme commençant par un O, ce qui n’est pas si fréquent. En amour, c’est à dire, me demanderez-vous ? Un mélange d’intérêt intrigué, de peur de me faire avoir jusqu’à ne plus pouvoir m’en passer. De continuer, non pas pour l’intrigue ou la langue, mais pour la forme. Ce flux de pensée décousu autant qu’obsessionnel. En amour, c’est à dire ? Que je ne peux plus m’en passer, même si je me raisonne en me disant que cela m’éloigne d’autres choses importantes, structurantes, plus utiles. Tout savoir d’elle, qu’elle a été vraiment hôtesse d’accueil et qu’il lui fallait ça pour pouvoir écrire. Pas en pure invention pour faire genre, pas pour avoir des choses à raconter comme beaucoup, pour avoir de quoi manger et la sécu (elle le dit pas, je l’invente). Obiégly, elle rend perceptible le fait qu’on ne peut pas vivre sans artistes qui subliment les vagues pensées que tu as sur la vie et la mort. Qui en font une matière à penser , à disserter, qui leur donnent du poids, de la légitimité, de la profondeur.

Rien ne devait nous faire nous rencontrer comme dans les vraies rencontres, celles qui comptent. Même si en y réfléchissant le soldat inconnu qui l’habite c’est un sujet qui me touche. Mon arrière-grand-père paternel et mon grand-père maternel en sont revenus de la Grande Guerre. Vivants, je veux dire, effarés, diminués, transformés, à demi morts, je ne sais pas. Pour l’un je ne l’ai pas connu, pour l’autre, il ne parlait pas. Et je sais que ma grand-mère ne l’a épousé que parce que son amoureux n’était pas revenu, lui. Elle gardait son violon. Les soldats du monument aux morts de mon village, j’ai recherché leur histoire, je les connais en détail, même les deux tirailleurs sénégalais qui n’ont pas grand-chose à y faire vu qu’ils devraient être vingt ou aucun. Les monuments aux morts, il ne faut pas s’y fier.

Obiégly, c’est un choc. Plus que Duras, plus que Virginia Wolf, à l’égal de Céline peut-être. Des livres nécessaires qui aident à passer les mauvais moments comme les poèmes pour certaines personnes. J’ai repris le voyage au bout de la nuit. Heureusement, je l’ai dans ma bibliothèque au milieu de tant de livres non nécessaires. C’est drôle quand on y pense, tous les deux ils ont quelque chose à voir avec la Grande Guerre, l’autre aussi d’ailleurs comme Duras et Wolf. Le fait que la guerre et la mort soient présentes, ce n’est pas ce qui en fait des écrivains. Il faut se méfier des rapprochements trop rapides. La profondeur, ça vient d’où ? La forme pour en parler, on la trouve comment ?

Le fait que je parle d’Obiégly me fait me souvenir de comment j’ai connu Céline. C’est très lointain, assez flou. Un collègue de travail dont j’ai oublié le nom, mais qui pourrait me revenir si j’y pensais assez longtemps. Un collègue de travail passait des heures à me parler de Céline. Son nom m’est revenu André Jean Moulinier. Le fait qu’on concentre son attention sur un point précis peut produire des miracles. des heures à évoquer sa famille et la jeunesse de Céline. Il y voyait des similitudes (ses parents qui voulaient deux enfants, car un seul c’est trop peu en cas de malheur, il ne reste rien). André Jean, c’est loin très loin. Il était intarissable et moi je l’écoutais des après-midi entières dans ce bureau où j’avais si peu de travail ou qui m’ennuyait profondément. Cinq heures sonnaient, la journée de travail se terminait, on se quittait en se disant qu’on avait encore parlé de Célinte tout l’après-midi. On ne se voyait pas en dehors du bureau et je crois qu’à l’époque je ne lisais même pas Céline. J’avais peut-être lu le voyage, mais certainement pas Nord. J’ai changé de travail, perdu de vue André Jean qui a épousé une collègue du bureau. J’ai beau le googliser, je ne trouve personne. C’est assez terrible quand on y pense de perdre ainsi de vue des gens avec qui on a passé tant de temps et qui ont compté d’une certaine façon. Je ne trouve qu’un André Moulinier (alias Leblanc, alias casse-cou) Compagnon de la Libération. La guerre encore.

Le fait qu’ouvert à n’importe quelle page ça t’emporte, pour moi c’est un test. Céline le passe haut la main. Je vais tester pour Obiègly. Je me méfie de moi, des fois j’ai des coups de cœur qui ne durent pas.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

4 commentaires à propos de “#rectoverso #07 | OBIEGLY”

  1. « de peur de me faire avoir jusqu’à ne plus pouvoir m’en passer »
    « Obiégly, c’est un choc. Plus que Duras, plus que Virginia Wolf »
    « Le fait qu’ouvert à n’importe quelle page ça t’emporte »
    émue par ces quelques lignes et puis tout le texte qui emporte.Un coup de cœur pour moi. Merci Danièle

  2. ça me plait cette rencontre, ce coup de cœur ou ce coup au cœur pour la forme, à cause d’elle, avec elle . « Et ouvert à n’importe quelle page » c’est comme recadrer un tableau il doit tenir dans toutes ses parties. On est pris par cette rencontre, elle étincelle