(Enceintes#01# Les mamans d’école n’aiment pas « les enfants des gens du voyage qui font baisser le niveau ». Il y a pourtant une jolie rouquine de Cm2 qui est très forte à l’école. Elle a un regard qui vous transperce. Elle a des beaux yeux verts en amandes et des tâches de rousseurs. Des lèvres fines qui ne parlent pas beaucoup . Elle joue toute seule à la marelle au fond de la cour. Les enfants disent « qu’elle a des poux dans ces longs cheveux, la rousse ». La maîtresse dit « c’est méchant de dire ça, elle est très gentille, qu’elle ferait une super copine, et peut-être même qu’elle pourrait nous donner des places gratuites pour aller au cirque. Il parait que c’est la fille du gardien aux cheveux gris …)
Je ne me suis pas approchée d’Esméralda, dans l’espoir d’avoir une super copine pour aller au cirque. Je me suis approchée d’elle car sa personne m’attirait. Son corps, ses manières de sauter à la marelle à pieds joints jusqu’au CIEL, avaient quelque chose qui me fascinait. J’enviais ses jambes élancées, ses longs cheveux roux et décoiffées . Elle avait quelque chose d’un oiseau, oui c’est ça, les gestes de ses bras étaient gracieux et légers et sa façon de se marcher donnait l’impression qu’elle s’élevait au-dessus du sol.
Moi, j’étais un peu pataude et je ne sautais pas aussi bien à la marelle, une fois sur deux , je me retrouvais à côté du CIEL et tous les enfants se moquaient de moi. La seule qui ne riait pas, c’était Esmée.
Esmée, c’est comme ça que je finis par la surnommer, ne s’aperçut pas tout de suite de ma présence. Elle était toujours un peu dans ses rêves, personne ne lui parlait . Le jour, où nos yeux se rencontrèrent, son regard me transperça le cœur. J‘eus du mal à lui demander de jouer avec moi mais elle acquiesça du regard et nous nous retrouvions sur la marelle à sauter chacune notre tour et à lancer notre caillou pour filer par-dessus jusqu’au CIEL. Esmée allait de plus en vite et moi je sentais bien que je ne lui arrivais pas à la cheville. Je manquais d’élan , de rigueur et de concentration, je regardais plus le ciel que mes pieds et parfois je perdais l’équilibre. J’abandonnais le jeu pour me consacrer à celui d’observer le chemin des fourmis sur le gravillon de la cour. Alors, un matin, Esméé me prit par la main et me proposa de la suivre, pas à pas, en faisant exactement comme elle, ce qui je fis et la magie opéra, je traversais la marelle comme une fée.
Nous commencions à échanger quelques sourires Je ne savais pas quoi offrir à Esmée pour qu’à son tour, elle puisse m’admirer.
Vivianne n’était pas très douée à la marelle mais je l’aimais bien, découragée, elle abandonnait régulièrement le jeu. A travers les carreaux de ses lunettes, elle ne voyait pas le monde comme les autres. Je la retrouvais parfois accroupie sur le gravillon de la cour à observer les ballets de fourmis qui dessinaient de grandes arabesques sur le sol. Un matin, je la pris par la main et la mena jusqu’à la marelle. Et quand nos yeux se rencontrèrent, ce fut comme une révélation. Un peu craintive, elle se laissa faire. Je lui soufflai à l’oreille de me suivre pas à pas, je la guidais jusqu’au CIEL. La marelle devenait un jeu d’enfants et elle gagna, dès ce jour, toutes les parties. Pleine de succès, elle devint très populaire et plus personne ne se moquait d’elle. De son côté, elle restait avec moi pendant l’étude. Trop de chants , de danses et de répétitions de spectacles m’attendaient au cirque, jongler ou sauter au trampoline m’empêchaient de me concentrer, alors je préférais rester à l’étude avec elle pour faire mes devoirs. J’y appris à retenir mes tables de multiplications et à résoudre des problèmes de math. Dès ce jour, mes résultats s’améliorèrent, on me comptait, alors, parmi les meilleures de la classe. Notre complicité se faisant, je proposai plusieurs fois à Vivianne de rentrer avec moi dans l’enceinte du Cirque, mais elle refusait systématiquement comme si ce un pays lui était interdit. Il fallait encore nous apprivoiser pour franchir les dernières barrières qui nous séparaient…
le cirque et la marelle…comment par le jeu et les devoirs elles vont l’une vers l’autre…la singularité des caractères qui se forgent… merci!
Très joli texte. On voit bien les deux enfants s’apprivoiser mutuellement.
heureusement qu’il y a des « rejetés pour accueillir les rejetés. Belle scène d’enfance avec cette marelle jusqu’au ciel!!!
Très émouvant, cet effleurement.