RECTO
Elle portait un shedei, petite étoile de David au bout d’une petite chaine en or, Jocelyne B, C’est elle qui m’a fait découvrir la culture juive, c’est elle elle qui m’a fait découvrir l’antisémitisme avec. Jocelyne, grande chevelure brune, teint mat et le nez busqué de son père Prospère, qui était taxi. Sa mère tenait une petite épicerie place de l’Amiral mouchez dans le 13 ème reculé et popu près des Maréchaux. Jocelyne, c’est un coup de foudre. Premier jour de collège, dans le couloir des 6éme, 300 gamines criaient et se battaient pour les porte-manteaux, j’étais myope, plus jeune et tétanisée d’incompréhension, je ne savais pas que faire ni où aller et Jocelyne est apparue, saluant la foule avec les mains jointes, tel un pape en tournée, tout en criant à plein poumon « Merci ! Merci ! « .
On se disait tout. Tout. Vraiment tout. Après l’école, je la raccompagnais chez elle et ensuite elle me raccompagnait chez moi et je la re-raccompagnais chez elle, etc … jusqu’à la tombée de la nuit où je la quittais à regret.
Rosy, la surgé, vérifiait parfois nos sacs en fin de semaine, car il y avait une semaine blouse bise et une semaine blouse bleue, c’était un contrôle au faciès et Jocelyne n’y coupait pas. Un jour elle pointa du doigt Jocelyne et déversa le contenu de son sac par terre en hurlant « Ramasse ! Sale juive ! » C’est comme ça que j’ai découvert le racisme ordinaire. On était en 64, la Shoah n’était pas bien loin, mais personne n’en parlait. Il y avait aussi une antillaise dans le collège, elle subissait le même genre d’humiliations.
Jocelyne, je lui ai coupé ses grands cheveux noirs de jais, quelle beauté, pour lui faire une coupe à la garçonne comme moi, elle a failli se faire battre en rentrant chez elle. La violence de son père et du mien, et la révolte contre l’injustice sociale, nous tenaient lieu de culture commune, car nous étions très différentes comme nos destins l’ont confirmé. On s’est perdue de vue à l’adolescence, j’ai fait un passage éclair à son mariage. Puis le silence.
VERSO
A la mort de ma mère, j’ai voulu la prévenir, elle ne pouvait pas venir à l’enterrement mais nous avons convenu de nous retrouver dans un petit restaurant chinois en face de son travail. Plusieurs décennies étaient passées sur nos visages et j’appréhendais nos retrouvailles. En rentrant dans le restaurant je vois une vielle dame assise de dos, je m’approche pour voir, je l’embrasse, je m’assied et la voilà, avec son sourire, la voilà qui parle, elle n’a pas changé, elle est belle, elle a de nouveau 10 ans et moi aussi. Et on se dit tout tout et vraiment tout.
Je la revois de temps en temps quand je vais à paris. La dernière fois nous avons mangé, en hommage à son père, dans une brasserie qui s’appelle Prospère . Elle me dit qu’elle a changé d’arrondissement car le 12ème est devenu peu sur pour les juifs, quelqu’un a tagué une croix gammée sur la porte de sa voisine. Une peur qui ne finira jamais, qu’elle a depuis toujours, depuis que ses parents ont fui le Maroc, et voilà que ça revient. Tout cela m’attriste et cette fois ci, je suis impuissante à en rire avec elle.
Merci pour la transcription de votre amitié avec cette petite fille de confession juive. Vous écrivez très élégamment vos partages d’enfants et votre découverte du judaïsme et de l’antisémitisme dans les propos haineux de la surgé, humiliations récurrentes qui frappent aussi la petite fille Antillaise certainement avec un vocabulaire tout aussi choisi. J’aime beaucoup, merci encore.
Très émue par cette lecture. De l’importance de nos rencontres d’enfance qui nous ouvrent des mondes insoupçonnés, de l’importance de ces différences qui cherchent leur ressemblance ( en coupe de cheveux pourquoi pas ) et se heurtent à la violence . Merci.
très délicat… avec cette répétition du « et on se dit vraiment tout » ! qui vient faire liaison entre le recto et le verso
merci à vous, Catherine
et vous dire que je ne vous connais pas et que c’est votre passage par ma page #12 qui me fait venir vers vous… je comprends que vos publications étaient en décalage avec les propositions si bien que je ne vous ai pas vue et ne vous ai pas lue, ne fréquentant pas non plus les ateliers du mardi… il est encore temps…
bien à vous,