#rectoverso #10 | à l’œil nu

de loin le toit d’une auto. De l’autre côté du champ. Ce qui se voit. Le plat du toit d’une auto, le haut, l’éclat d’une auto dans le matin, le matin s’achevant, dans le grand jour montant, le blanc d’un toit à hauteur du champ, le long. Un plateau. Le champ, du blé à son plus haut finissant de mûrir, dans la blondeur, dans le moussant des épis, le bruit, la blondeur quasi grise, les épis lourds, le blé dru, dans le temps lourd au ras des blés le toit seul visible, saillant, l’auto se devinant derrière, une auto stationnée sur, tout contre, l’autre tenant du champ, de loin, c’est une auto de loin, ce qui a l’air, l’air vibrant, d’un toit d’auto, la forme blanche d’un, un stationnement sous le rideau des robiniers couronnant dans la lumière éclatante du matin, midi approchant, une île, l’échangeur routier

ce qui se montre. Du doigt non. Ce qui se montre blanc. Se montre plat. Se montre à ras, comme un pincement de l’air. Comme un plissement de l’œil, l’œil s’aiguisant (où le pronom défini cible, le distant en visée, le pronom défini le, l’, la prélève, détache, isole, extrude, signale, individualise. Extrude, rail du regard, rail dans l’air), rail aérien

les blés à leur plus haut blondissent, finissent de cuire, pétillent, dans l’air moussent, remuent, bruissent. Les épis à brassées, à poignées passent entre les hanches, ou le haut des cuisses et les paumes, piquant dans le gras de la paume en remontant vers les pouces. Entre hanches et poignets, à l’intérieur, entre cuisses et paumes, c’est selon. L’on est peu de jours avant moisson. Les mains survolent la surface blonde, ou couleur chair, les yeux. Des bras se lèvent à demi, le regard embrasse. Le champ et le jour, c’est presque pareil, le champ de jour, de vision. La peau et le champ c’est presque pareil, l’air entre, frissons

tout seul l’œil traverse l’étendue, d’un champ, en single, d’un trait. Au piqué au vif du regard par un détail troublant la continuité du champ visuel — comme une rayure, du coup un crissement —  répond, comme se répercutant, un picotement à l’autre bout du corps, autre extrémité, se communiquant au long des nerfs ou comme la foudre entrée, sortie, douce foudre, insensible sur son passage, entrée, sortie c’est tout, rien entre, entre ce qui se voit, la mer des épis, ce qui se sent, le piquant contre les membres, s’entend, les craquants affaissements sous les pieds

de loin j’ai cru au toit d’une voiture, au ras du champ. Et c’est tout. Le champ, c’est du blé. Il ondule sous les yeux. Mousse aux oreilles. Pique sous la main. En tout cas le champ visuel s’ouvrait là, je sortais de dessous le pont et c’est la ligne, cette trace en travers, un single d’épis aplatis qui m’a retenu, je suis revenu, non, pas retenu d’abord, j’étais lancé, mais intrigué, je l’ai suivi du regard et vite, l’ai dépassé, il fallait que je voie ça. De plus près je ne sais pas. Que j’y retourne. Que je le regarde. J’ai mis un pied à terre parce que la piste est étroite, j’ai fait demi-tour. Le toit de l’auto brillait à l’autre bout, les épis couchés tout le long, dans ma direction, sur une bande large comme un homme. Un homme à contre-jour venant de face, à ma rencontre, qui aurait pris à travers, s’y serait enfoncé de face, à pleines jambes, dans la nuit, tout droit. Plus s’ils se suivaient, ou des garçons et des filles, c’est l’été, j’ai regardé derrière moi

l’œil se dénudant, l’œil allant nu le long d’un rail, un rail dans l’air, l’œil glissant boule le long d’une tige, tige d’un boulier, le boulier des rails de l’air ou atmosphère, tendue de cordes, cordes vibrantes, l’œil glissant crissant le long des cordes tressées filins grelins torons l’œil s’abrasant, l’œil s’y aiguisant, cordes ou câbles tendus, rails ou glissières, entre l’œil et ce qu’il voit, l’œil et ce qu’il vise, l’œil et où il se jette, l’œil glisse et coule, coule et tombe, tombent les rayons de la lumière et comme si c’étaient aussi les rayons des roues du vélo l’œil se prend aux rayons, coule l’eau de l’œil, l’oignon pelure sous pelure de l’œil, l’œil tombant

l’accident de surface retient l’attention, un accident de surface retient une attention, la réclame, happe, une ligne, rayure à travers champ, un rayon d’action, le prend en travers où la lumière joue à rebours, un doute s’immisce, un temps s’installe, le temps s’étire et le jour, de son plus haut bientôt, tombe sans plus se prendre dans les épis mais aplati par terre le long des tiges couchées sur une bande large, étroite, rectiligne, comme un homme, ou un homme suivant un homme

comme si une buse, une canalisation avait glissé, été traînée là, et jusque là, d’un bord à l’autre comme un regard se pose et pèse, et creuse, une galerie dans l’air

4 commentaires à propos de “#rectoverso #10 | à l’œil nu”

  1. Je voulais t’envoyer une photo d’un champ de blé que j’ai prise pour te remercier mais je ne peux le faire dans les commentaires. Sache quand même que j’ai aimé ton texte, les blés, la voiture et l’homme, bien à toi.

  2. Quelle immersion , c est prenant c est physique et visuel à la fois , on touche les blés de près , je pourrais dire que je l ai presque vécue au moins un fois ! Merci .