Elle marche dans la ville, seule dans Puebla. Au centre il y a le Zocalo, grande place aménagée, animée d’où partent les rues parallèles quadrillant la grosse ville mexicaine, puis lorsqu’on s’en éloigne un peu, en passant près de la poste, on arrive près d’un petit square sans charme ni particularité.
Elle arrive prés de ce square, callé à l’angle de deux rues bruyantes à sens unique, où le trafic automobile constant fait qu’on ne le voit pas. Le son des klaxons des voitures, des bus et des camions le masque. Elle marche, elle regarde, elle le voit, elle ne connait pas le nom de ce square. Il n’en a peut-être pas.
le souvenir de ce square est flou
restent en mémoire quelques images
On ne le voit pas, on ne le remarque pas ce square discret. Il se porte mal, ne possède aucun bosquet odorant ou massif fleuri, et semble survivre ici, entre des maisons à deux étages comme souvent dans les rues de ce quartier. Elle n’a jamais vu quelqu’un entrer, se reposer sur un banc, jamais vu quelqu’un observer les ombres sombres sur le sol des arbres ou les troncs hauts et tordus – ce doit être des pins parasol dont les branches fines se balancent lorsque le vent souffle -. Elle se dit que ce square unique ressemble à tant d’autres. Elle repense au roman éponyme de Marguerite Duras, à l’inconnu qu’elle pourrait rencontrer, à l’écriture du désir, à d’autres d’endroits vides comme ce square où il y a trop de vide pour que quelque chose d’important puisse s’y vivre ou l’inverse. Seules de petites choses pourraient surgir ici, se dit-elle. Et encore surgir est un mot trop fort, advenir par inadvertance serait plus juste. Du presque rien dans ce square presque vide, presque inexistant. Personne ne remarque les presque. Ils ne sont pas encore arrivés là.
mais que voit-on quand on voit
Et elle qu’est-ce qui l’oblige à vouloir voir, la contraint à repenser obstinément à un square si banal, si loin de l’attrait de l’animation urbaine, de la sensualité des corps, des voix chantantes, des couleurs criardes des murs peints, des cimetières si vivants de cette ville ?
mémoire du contraste entre la vitalité de la ville et ce square si dépourvu de tout
images grisées d’un espace vacant
espace à remplir de quelque chose
de quoi
Où se rendait-elle lorsqu’elle passait devant ce square chaque jour ? Comment s’était installée cette idée fixe pour ce square ? Qu’en attendait-elle ? Qu’attendait-elle dans et de cette grosse ville mexicaine, à tourner autour de cet endroit perdu de la ville ?
Dans ce square, elle n’a jamais vu quelqu’un entrer. Encore moins se reposer. On ne se repose pas à Puebla. Elle n’a jamais vu quelqu’un dans ce square, pas même un chien y pisser, un chat le traverser, un écureuil sauter d’une branche à l’autre. A qui, à quoi servait il dans cette ville trop nerveuse pour imaginer cesser de s’activer, où aucun parent ne laisserait un enfant jouer seul dans un square, même un enfant de pauvres. Il ne ressemble en rien à un jardin agréable, ombragé, où se tenir à l’abri du soleil, où causer avec un ami ou manger un fruit juteux ou encore faire une rencontre par hasard. Sans doute un terrain abandonné qui a fini par devenir un espace public, ce square moche.
souvenir précis de ces quelques arbres hauts aux troncs étroits
entre deux maisons colorées
de chaque côté de l’intersection de rues
rupture d’horizontalité retenant le regard
Même si on ne le remarque pas le jour, ce square la nuit a peut-être une autre vie. Une vie à lui, personnelle. Dans Puebla dès le jour tombé, tout se métamorphose, les violences arrivent, montent d’un cran ou deux, elle le sait, moi aussi. Ne plus marcher la nuit sur les trottoirs, ne plus de sortir se balader dans les rues, ne plus d’aller au square. Je n’ai pas écrit qu’elle y entrait le jour, je ne sais pas si elle y entre, s’assoit sur un banc, attend quelqu’un qu’elle connait ou espère une rencontre avec un inconnu ou que quelque chose s’y passe, même si elle ne sait pas plus que moi ce que cela pourrait être, attendre que quelque chose se passe, se passe pour elle, en elle, que quelque chose puisse compter, changer un tout petit peu sa vie ou du moins modifier un peu sa perception des choses, d’elle-même, de la ville… Je me demande ce qui fait qu’elle s’est concentrée sur ce square, qu’elle l’a remarqué, s’y est attachée. À lui et pas un autre, comme à un amour.
aimer cet espace vide au milieu de Puebla
avoir besoin d’un souvenir imprécis
où tout pourrait arriver
pouvoir ajouter à un endroit visité
l’imaginaire ce qu’il aurait pu être, de ce qu’il fut ou sera
Et comment en finir avec ce square, avec cette histoire de square à Puebla, avec cette femme polarisée sur cet endroit sans intérêt, cette femme qui erre dans les rues et en elle-même, et comment en finir avec ses craintes de ne pas voir, la peur de voir, de trop voir ou pas assez bien voir, et ce bien n’a rien à faire là, ou encore cette femme et son attraction incontournable pour l’extrême banalité comme seule possibilité. Il faudrait pouvoir en finir avec ce square et le reste, il faudrait aller encore une fois voir ce square, pour rien, pour une dernière fois, pour le voir ensemble elle et moi, là on serait là à tenter d’en sortir, comme d’un amour impossible. Ce serait déjà ça.
qu’est-ce qu’on voit quand on voit ? Qu’est-ce qu’on voit quand on se souvient ?
Ce square en regard, ce lieu des possibles où les questions relaient le vide ..
« mémoire du contraste entre la vitalité de la ville et ce square si dépourvu de tout
images grisées d’un espace vacant
espace à remplir de quelque chose
de quoi
« ’imaginaire ce qu’il aurait pu être, de ce qu’il fut ou sera »
Beaucoup aimé ce retour sur un lieu et cette attente sans attente qui voudrait en finir