
RECTO
Choses qui rendent lisible la poisse dans laquelle on naît.
Les plastiques.
Les plastiques déchiquetés errant sur le trait côtier.
Les plastiques masqués par la végétation et que la sécheresse découvre comme levant le voile sur l’existant dissimulé.
Les plastiques qui sortent en gerbe de la gueule des poubelles renonçant à tout digérer parce que trop, c’est trop, et qu’à ce stade, il n’y a plus qu’à baisser les bras en hissant, hirsute, le désordre des déchets.
Les plastiques durs – bouchons, filtres, capuchons –, source significative de microplastiques et dont on sait sans être spécialistes qu’ils mettront des dizaines d’années à se désagréger après avoir perturbé voire menacé les espaces aquatiques.
Les plastiques longs – filets, sacs, lanières – étalés comme des posidonies échouées ou des méduses en berne, qui flottent interminablement aux abords de la plage, viennent, repartent, reviennent en surface lorsque le vent d’est s’attaque au rivage et soudain l’eau parait si glauque que l’on renonce à se baigner.
Les plastiques froissés multicolores dont on revêt aujourd’hui le moindre biscuit, le plus dérisoire des gâteaux individualisés – galette, macaron, cake, cookie, pain d’épice, spéculoos, sablé, gaufrette, cigarette, boudoir, tuile, palet, croquant, petit-beurre, manqué, marbré, massepain, gâteau sec, croquignole, langue de chat, biscotin, fourré, sandwich miellé – toute une tripotée de gâteries industrielles pourvoyeuses de sucreries inassimilables par nos cellules saturées de nourriture bon marché.
Les plastiques raides – bouteilles, bidons, bonbonnes, boîtes, jerricans – pour remplir ou vider, transporter ou contenir liquides à boire, à ingérer, à alimenter, à emmagasiner avant de prendre l’air comme le large, propres à tout comme à rien, dérivant pour finir à l’infini comme des paquebots de Lilliputiens, des flotteurs hospitaliers pour algues en expansion ou balanes.
Les plastiques souples – engins semi-rigides, structures gonflables, bouées – qui conservent la vivacité de leurs coloris malgré leur virée le long des plages ou bien au large et ne se dégonflent jamais sous le mistral, mais qu’une seule épine ou aiguille ou os aiguisé fait succomber en un pfft ultime jusqu’à s’avachir dans des épousailles indécentes avec le terrain, asphyxiant dans le même temps l’en deçà peuplé de plantes ou d’herbes sous leur peau ramollie par la chaleur ou raidie par le froid quelquefois, et qui nécessitent, ce n’est pas rare, l’intervention d’un petit équipage flottant de la maré(dé)chaussée voguant depuis le port le plus proche et dans l’incapacité de verbaliser quiconque, étant donné que les propriétaires ont rejoint leurs contrées et ne regardent même plus les nombreux clichés qu’ils se sont obstinés à capturer durant leur séjour sur la côte azurée comme pour s’assurer qu’ils étaient bien là, oui, là, et pas ailleurs, non, mais !
Les plastiques fragmentés au pourtours dentelés, mâchés, effilochés, constitués de macromolécules obtenues par polymérisation ou polycondensation, moulée ou modelée en général à chaud ou sous pression, et dont on ne peut s’empêcher de penser qu’ils sont les maigres témoins synthétiques de tous les noyés exilés, femmes&hommes, jeunes&vieux, ayant tenté d’atteindre nos côtes et n’y parvenant jamais, et dont on entend les cris et les pleurs sans jamais les avoir croisés, qui finissent par nous hanter, morts, pleins d’eau salée, entourés de lumière translucide le temps de sombrer dans l’abondance de liquide bleuté, rendus inaudibles et inaccessibles par la gravité, incapables d’accomplir ce pour quoi ils étaient nés et qui auraient signé pour un travail pénible en Europe plutôt que pour le demi-tour – quitte à être taxés au sortir des cuisines surchauffées ou des chantiers du BTP d’encombrants, de nuisibles, de parasites, de métèques, de bronzés, d’intrus – c’est arrivé à plus d’un, chacun le sait – et dont les corps serviront de pâture aux poissons de toutes nationalités, sans-papiers ou étroitement protégés.
Les plastiques qu’elle ramasse à mains nues, en se courbant, s’agenouillant même, en envisageant, accablée, toutes ces vies volées, ces traversées funestes sur cette mer située au milieu des terres-mères.
VERSO
- Anses
- Arbres
- Astres
- Bateaux
- Chemins
- Clôtures
- Étangs
- Fleurs
- Galets
- Îles
- Jardins
- Mers
- Nuages
- Oiseaux
- Plages
- Plantes
- Poissons
- Ponts
- Rochers
- Vents
- Visages
- Écrires
S’il n’y avait que les plastiques…
N’est-ce pas !
Ces plastiques assénés avec obstination rend bien l’urgence à les écrire. On se prend à rêver/imaginer la même hargne si le mot n’est pas trop fort à écrire les verso anses arbres astres etc. J’ai souri au dernier mot avec un -s pour les écrires (même si pas exprès). C’est joli. Merci
Merci pour ce retour ! Une piste que je saisirai peut-être… Merci de me l’avoir montrée du doigt ! Oui, les écrires car je me dis qu’il y a sans doute bien des façons de le faire…
Merci Gislaine pour votre texte sur les plastiques qui par le procédé de l’ampliation rend plus puissante la menace qu’ils représentent pour notre environnement et pour notre santé. Merci également pour votre lecture de ma dernière contribution.
Merci Pascale !
Les plastiques et la nature, deux facettes d’une même préoccupation, c’est très juste de les mettre en regard, cela n’en a que plus de force.
Merci pour votre attention et ce retour…