# Recto Verso #09 | Alors

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Une robe noire de nuit

Une robe noire de nuit, la robe est nuit, une robe noire de nuit, mini robe noire transparente de nuit absente comme l’oubli, nuit noire à nue, opacité anthracite du jour. Deux jambes en transparence. Une robe mini. Fuite du jour. Noire la nuit. Nuit d’aurores. Deux jambes. Etre Elle, la robe noire de nuit. Alors le deuil à la mort du soleil.

Un chapeau haut-de-forme noir

Un chapeau haut-de-forme noir, la forme est la forme, l’extérieur, l’intérieur est création, création d’une forme noire courbée. La Manche, un soir couleur d’absinthe noire, noire l’absinthe. Haut-de-forme noir, synonyme de tuyau de poêle noir, un poêle en tuyau de soie noire, hauteur vingt centimètres. Il est. Haut recouvre les ombres noires de mon carnet de notes. Tabac noir. Orient. Cardamome noire. Absinthe noire. Solitaire et navrant, descendait l’astre roi. Alors les têtes tombent.

Une veste de sequins noirs

Une veste noire brodée de sequins noirs, plantés un à un, soie noire, noirs sequins, une forme, une veste du soir pour une robe de nuit transparente noire de suie, une bruine noire et cotonneuse, charrie des flocons de suie noire. Patrons à plat sur tables d’ateliers, fil noir, éclats de nuit, soie noire luit, sequins noirs plantés, brodeuses au noir. Elles sont là. Mémoire. Sequins noirs en épis. L’éphémère. Patron blanc épinglé sur mannequin noir.

Un lit
Il y a un lit de fer blanc, il est mon lit. Rigidité du matériau, douceur des rosaces déliées, rondeurs des formes, arabesques presque mauresques, un lit dix-neuvième à moustiquaire fabriqué par des mains qui l’ont retenu pour lui donner une forme, posé sur un carrelage vert usé par endroits, traces immémoriales dans une petite chambre ouverte sur un œil-de-bœuf, un presque cagibi aux senteurs de pêche, de nounours, de poupées, de brioches. Je l’appelle aussi ma passoire à trous, j’aime son nom passoire à trous. Maison de plage. Escaliers vertigineux. Descente abrupte, dangereuse vers la mer. Interdite aux enfants sans adulte. Transgressions. Courses poursuites. Nous. Dominant, un château de couleur verte et blanche. Yeux innocents. Adultes heureux. La mer. Tendresse du sable, un calme bleu-vert peint la mer. Tous. Pique-nique étalé. Rires. Eau salée dans un jour défait. Senteurs de riz au goût de citronnade. Sel sur ma bouche. Chambre cagibi, ma passoire à trous et sa moustiquaire. Cour carrée. Figuier sauvage, pépiements d’oiseaux, souplesse des ailes. Allégresse.

Vide d’un jour sans fin. Obligations muettes. Solitude, tristesse. Adultes mutiques, fermés. Lit de fer trop petit, moustiquaire perdue, envolée. Encerclement des rosaces fanées du lit de fer au matelas de plumes. Instant pesant dans la chaleur moite, mordante. Suspension d’autres formes. Attente. Tonalité urgente, stridente. Regards. Conscience d’éclats aveuglants d’une lumière rouge clignotante. Sieste effacée. Cassure, odeurs fortes insistantes de départ, valises, nounours enlacé fermement, coquillages pleins les poches. Grincements. Agression des rires dans le silence des fenêtres closes. Lit de fer, forgé pour la désertion. Maison minuscule. Effacement Étroitesse, délitement. Abandon des rosaces de fer presque mauresques, rongées d’oubli. Fin des vacances. Retour à la ville. Guerre sous-jacente. Mer peinte de couleur bleue verte, infinie. Alors l’exil.

Habitat

Assis sur les marches de mon escalier de pierre qui mène à mon atelier, je regarde par l’ouverture des arcades sculptées l’étendue d’un paysage irréel. Je viens d’acheter un étrange palais construit par un excentrique amoureux fou de la Renaissance italienne, un caprice pour une de ses maîtresses qui ne l’a jamais habité. Le propriétaire le brade, il pousse un soupir de soulagement en me donnant les clés. Cette étrangeté a été rénovée dans les règles de l’art, elle est lumineuse, inquiétante, irréelle, dominant cette région isolée de Sicile, campée sur un sol de pierres volcaniques au sud, entre les collines oubliées de l’arrière-pays agrigentin, une zone désertique balayée par les vents sahariens, où la terre est couverte de pierres grises et fracturées, vestiges d’une ancienne coulée basaltique figée depuis des millénaires. Cet endroit est aride, désolé, venteux, stérile, sauvage, dépeuplé, inhospitalier. La lumière de l’aube le sublime, il vibre loin des regards indiscrets, des voyeurs, des esprits malins. Il faut marcher longtemps dans les paysages lunaires pour le rencontrer. Il se mérite, il lui arrive d’être cruel, le désert ne pardonne pas.

Hors du temps.

Je suis là, entre deux étages, entre deux mondes, ni tout à fait sol, ni tout à fait ciel, assis sur les marches de cet escalier escargot extérieur à l’élégance singulière, de forme hélicoïdale. Il s’intègre dans une tour cylindrique, compte 80 marches, successions de pauses, d’accélérations, d’essoufflement, d’émerveillement il s’élève sur six étages et culmine à 28 mètres de hauteur. Il m’offre une vue imprenable. Chaque degré de l’escalier est un trait de pinceau sur la toile du jour, chaque enjambée, une touche de clair-obscur, une tension dans le récit du mouvement. J’effleure du bout des doigts la pierre d’Istrie blanche, lisse et froide comme une promesse non tenue, utilisée pour les colonnes, balustrades et arcs. A chaque palier, les murs de brique rouge respirent, vivants, presque organiques. Ce contraste est brutal, théâtral, entre noblesse et rudesse. Blanc contre rouge. Pierre contre brique. Il découpe l’espace, les arcs s’ouvrent comme des paupières, les murs, eux, veillent. Je plie sous cette lumière crue, le soleil m’écrase, m’aveugle, la chaleur me confond, les rafales brûlantes du vent m’étourdissent, le sable volcanique colle à ma peau. Ce souffle messager d’un monde révolu m’étouffe, il prend possession des lieux s’insinue dans les spirales du palais, les escaliers de marbre sont striés de poussière ocre, le sable s’accroche aux balustrades, glisse sur les marches, s’infiltre dans les interstices des pierres grises, dans mon atelier aux fenêtres grandes ouvertes, il reste ixe sur mes toiles comme une mémoire étrangère chargée d’un silence minéral. Il se saisit alors de mes jours mes heures ma vie happés, gommés par mon mirage.











A propos de Martine Lyne Clop

Ingenieure securite et risques industriels Experte en audits internes et externes Deux masters deux DU. IPRP. Aucun parcours litteraire, mais j'aime passionnément la littérature et l'histoire. J'ecris je lis je fais des collages et de très longues marches. Les ateliers et le travail titanesque de François Bon sont des sources des pistes des portes grandes ouvertes sur des mondes inconnus, un apprentissage quotidien. La lecture de vos publications est un plaisir. Mille mercis.