Le déjeuner d’accueil de deux nouveaux patients de cette maison de rééducation vient de s’achever. Les convives s’apprêtent à quitter la salle à manger.
À la table d’honneur
1 La directrice de l’établissement. Debout, encore à sa place, derrière la table et devant sa chaise qu’elle a repoussée, elle a la tête tournée d’un côté, prête à balayer du regard l’ensemble de la pièce. Ses mains sont jointes comme en prière. Elle a relevé ses deux nattes poivre et sel au-dessus de sa tête et les a fixées avec une barrette garnie de brillants. Expression : autoritaire et satisfaite.
2 Convive n°1. Une femme. Elle vient de se lever, mais tient encore la table d’une main et sa canne de l’autre. Son buste menu, penché vers l’avant, laisse pendre vers son assiette vide une croix occitane en or. Ses cheveux mi longs et raides, absolument blancs et soignés, balayent ses joues. Expression : intriguée et songeuse.
3 Convive n°2. Un homme. Il est debout, un peu éloigné de la table. Déhanché, un bras en écharpe, il regarde la convive n°1, prêt à l’aider si son lever s’avérait difficile. Ses cheveux blonds striés de mèches blanches, toujours abondants pour son âge, sont ramenés vers l’arrière, dans un mouvement soigneusement étudié. Pas de bijoux, de fines lunettes dorées. Expression : gaie et attentive.
4 Convive n°3. Un jeune homme dans un fauteuil roulant. Une de ses mains, belle, blanche et osseuse, est posée sur un accoudoir. Son autre bras inerte pend entre ses cuisses maigres et sans vie. Pas de recherche dans sa coiffure. Ses cheveux noirs et cireux sont trop longs pour son visage glabre. Aucune fantaisie dans sa mise entièrement noire. Expression : fuyante et inquiète.
5 Le chien de la directrice. Un petit caniche, impeccablement toiletté. D’un blanc immaculé, il porte un collier rouge garni de cœurs en métal argenté. La tête levée vers sa maîtresse, légèrement penchée, il attend le signal de partir. Expression : intelligente et impatiente.
6 Le cadre de santé. Un homme dans la force de l’âge, qui marche vers le jeune homme souffrant de la table d’honneur, les mains en avant pour se saisir du fauteuil. Pas de coiffure parce que pas de cheveux. Pas complètement chauve mais complètement rasé. Expression : avenante.
7 Un homme. Il se tient raide à côté de la directrice qu’il domine d’une bonne tête. Ses bras pendent le long de son corps, de façon absolument symétrique, comme au garde-à- vous. Au calot de cuisine en coton noir qu’il porte sur la tête, on comprend que c’est le cuisinier qui a préparé le repas et qu’il est venu chercher compliments et remerciements. Expression : bonhomme et content
8 Une jeune femme, un tablier blanc à bavette autour de la taille. Elle est penchée vers la table, occupée à empiler les assiettes pour la débarrasser des reliefs du déjeuner. Ses cheveux blonds sont rassemblés en queue de cheval dans sa nuque, serrés dans un chouchou rose. Une montre, rose aussi. Expression : attentive, à l’écoute.
Aux autres tables
9 Femme n°1. En train de se lever péniblement de sa chaise, entre deux âges, en surpoids, sanglée dans sa blouse de travail, bleu pâle. Sur le badge épinglé sur sa poitrine on peut lire son office : Secrétaire. Ses mains potelées s’appuient sur la table pour accompagner et aider son mouvement. Cheveux poivre et sel, courts et soignés. Expression : lasse.
10 Femme n°2. Grande et mince, une belle femme noire. Elle porte une blouse d’infirmière, c’est Philomène. Ses cheveux, tressés à l’africaine font sur sa tête comme le plan d’un quartier avec ses rues et ses ilots d’immeubles. À ses oreilles, des créoles dorées. Déjà debout, elle est tournée vers sa voisine. Elle est en train de lui parler car sa bouche est ouverte. Expression : décidée et enjouée
11 Femme n°3 Entre deux âges. Bien en chair dans sa blouse rose impeccable, c’est Solange, aide-soignante. Une chevelure rousse flamboyante et profuse. Elle a les bras levés car pour leur service, le règlement de l’établissement stipule que les cheveux des soignants doivent être attachés. Solange est donc en train de les ramasser dans un élastique pour retourner à son poste de travail. Ses bracelets en nombre ont glissé jusqu’à ses coudes. Expression : bonasse et butée.
12 Homme n°1 Assis sur un fauteuil roulant, déjà détourné, il s’apprête à quitter les lieux. Ses bras pendent de chaque côté de son buste puissant et mobile. On ne voit pas ses mains, sans doute posées sur les roues du fauteuil. Il porte une veste de survêtement avec le dessin d’un Dumbo sur le ventre Sa coiffure est cachée par une casquette. Expression : sûr de lui.
13 Femme n°4 Une autre patiente, cramponnée à ses cannes anglaises qui lui servent de leviers, elle essaye de se lever sans y parvenir. Elle porte une blouse fleurie sous un cardigan mauve. Ses cheveux sont ramassés dans un chignon, ni fait ni à faire, qui tient, haut sur son crâne grâce à une pince en écaille. Expression : crispée par l’effort.
14 Homme n°2. Encore un patient. Debout un bras en écharpe. Il paraît jeune. À son tee-shirt de biker, on devine qu’il a dû avoir un accident de moto. Sa figure est amochée et son crâne a demi scalpé. Il porte une grosse chaîne autour du cou. Expression : étrange, un brin ironique.
15 Homme n°3. Celui-là est jeune. Il marche courbé en deux, non parce qu’il est handicapé mais parce qu’il cherche à se cacher derrière les tables. Il veut quitter la salle sans qu’on le remarque. On ne voit que son dos, habillé d’une veste couleur de feuille morte. De sa poche de derrière dépasse un sécateur. Ce doit être le jardinier. Expression : impossible à déceler.
16, 17, …, 20 Des patients, des soignants, des employés. Le journaliste, venu pour faire des photos, n’a pas eu le temps de les remarquer avant que la salle à manger se vide.
Très vivante cette scène. Comme au cinéma. Avec arrêt sur image. Merci Emilie.
Merci Louise, c’est la proposition de François qui l’a révélée. Merci pour ta lecture.