#histoire #04 | l’obligation du pourquoi (réflexion sur ma pratique)

Elle y passe du temps, beaucoup de temps, trop de temps. Elle se demande pourquoi écrire sur le domaine de ce château qui n’aspire plus qu’à la discrétion. Dont les gens ont même oublié le nom et qu’ils ne désignent plus que par le nom de l’hôtel-restaurant qui s’y installa (pour peu de temps) il y a plus d’un demi-siècle.
il y a des traces, il y a des murs, il y a des écrits, tout cela plein de contradictions, d’informations sans sources recopiées d’un texte à l’autre, de murs écroulés sous les lierres jouxtants des murs bien solides et rénovés. Il y a des panneaux explicatifs qui jalonnent un chemin de randonnée dit « du secret des pierres et du patrimoine ». Il y a des noms, des patronymes sur les chemins et les cartes. Il y a des traces.

Bien sûr, elle en fera un chapitre de livre, c’est un but comme un autre, mais pourquoi chercher l’histoire vraie, la vraie histoire même pour un livre d’histoire locale ?
Elle aime les archives, elle aime l’enquête, elle n’aime pas qu’on lui raconte des histoires fausses. Elle traque la paresse, la malhonnêteté intellectuelle, la volonté de dissimulation, l’oubli. Oui, elle suspecte la dissimulation comme cela se fait de certaines périodes de l’histoire, de certains épisodes qui sont tombés aux oubliettes alors que d’autres pas plus notables sont racontés avec force détail. Elle s’agace de voir que la mémoire collective ne dépasse pas la mémoire de ce qu’ont vécu les individus ; que le patrimoine n’intéresse que s’il a abrité des personnalités célèbres aux vies tumultueuses. Un domaine, sa constitution, son démembrement, ses propriétaires, ses fermiers, grangers, métayers, ses productions, c’est de l’histoire rurale, la vie des manants bien moins passionnants que les voies romaines ou les châteaux des bourgeois anoblis à la restuaration.

Pourquoi cela lui importe-t-il tellement ? Pourquoi en est-elle tellement émue ?
Tout le monde s’en moque de connaître le vrai sur ce domaine qui fut un fief féodal. Il n’y a qu’une personne à lui avoir dit « ça m’intéresse ». C’est presque uniquement pour cette personne qu’elle écrit. Pourtant c’est son moteur, cette émotion forte qui la guide vers le dévoilement. Un peu comme une mission de justicière. Elle manque de bienveillance face aux faussaires, aux oublieux surtout. Oui ça l’intéresse bien plus que le domaine détenue par la même famille depuis deux ou trois siècles. Elle a besoin de cette émotion pour écrire, sinon elle s’ennuie s’il n’y a rien à découvrir et s’ennuyer en écrivant c’est pire que tout. Un pensum ! Il n’y a pas que le lecteur qui a besoin de découverte et de suspens. Enfin, c’est comme ça qu’elle voit les choses.

Elle pourrait avoir le goût d’inventer une fiction. Pourquoi n’a-t-elle pas le goût d’inventer une fiction, une belle légende à partir de tout ce qui s’est déjà écrit ?
Elle ne sait pas faire et cela ne l’intéresse pas. Et puis comment faire entrer dans la fiction les traces qui demeurent dans le réel. On peut inventer pour combler des trous, mais comment inventer entre des contradictions. Elle a du mal à comprendre que tout le monde ne pense pas comme elle ne réagisse pas comme elle. Elle se raconte des histoires, car elle l’a déjà fait de broder à partir de fait s réels, d’inventer des histoires d’amour ou de jalousie entre deux personnes ayant existé. Dans l’une le point de départ, c’était un meurtre crapuleux où le meurtrier avait démembré et dispersé sa victime ; elle en avait fait une histoire d’amours déçues. Dans l’autre, c’était un homme qui avait épousé successivement deux sœurs (comme cela arrivait souvent autrefois) ; elle en avait fait une sombre histoire à trois avec enfant caché et meurtre. Bizarrement elle s’aperçoit que les histoires ne l’intéressent plus. Ce qui l’émeut, ce qui la pousse c’est la recherche de la vérité. C’est drôle de s’apercevoir que l’on change.

Pourquoi ressent-elle un tel besoin d’ordre, de mettre de l’ordre dans les évènements, dans les mémoires ?
Elle ne sait pas et parfois pense à un désordre psychologique, une maladie mentale dont elle serait atteinte. Elle doute. Cet instinct de fouineuse, ce manque de bienveillance vis-à-vis des faussaires n’évoque-t-il pas tous les indices de la pathologie. On le lui dit souvent « tu perds ton temps ». Toute passion est perte de temps tant qu’elle n’atteint pas une vraie reconnaissance publique s’explique-t-elle à elle-même et parfois se décourage. Mais elle poursuit, contacte des informateurs potentiels, va sur le terrain, compare les cartes de différentes époques, y pense la nuit. Et sait malgré tout qu’elle ne connaîtra pas l’apaisement complet, car beaucoup de questions, hypothèses resteront sans réponse. Pourquoi, pourquoi comme les enfants. Pourquoi en grandissant abandonne-t-on cette façon de regarder le monde ?

C’est une histoire faite de changements, de propriétaires, de destination, d’intérêt qu’on lui porte. Autrefois le plus beau domaine de la commune, le mieux exposé, le plus fertile ; aujourd’hui presque ensauvagé et difficile d’accès, méconnu de tous et où l’emprise pavillonnaire n’a pas sévi. Pourquoi s’intéresse-t-elle plus aux ruptures qu’à la continuité ? Au mystère aussi, à ce qui mérite explication. Des explications, il y en a sûrement, il y en a toujours même si elles restent à l’état d’hypothèses et même d’hypothèses sans espoir de validation. Ce n’est pas une histoire de famille non plus, c’est une histoire d’aménagement du territoire. Elle ne travaille ni pour le SCOT ni pour le PLU, le ZAN non plus. Pourquoi l’histoire de ce qu’on fait de l’espace n’intéresse personne ?

Elle a particulièrement du mal avec les dystopies, a vec ces histoires de femmes qui retournent à une vie libre dans les cavernes et les forêts (Melusine reloaded (Laure Gautier), Viendra le temps du feu (Wendy Delorme)) Pourquoi cela ne lui parle-t-il pas ? Le réel, les faits, le vrai lui semblent tellement plus riches, plus inventifs, plus incroyablement déroutants, plus instructifs. C’est comme ça et elle se demande pourquoi.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

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