« Ça doit être là. On m’a toujours dit : tourne, tu verras. C’est là qu’il travaillait.
— Mais oui c’est là ! » dit le père, la cousine, des gens rencontrés au hasard qui citent ton nom et qui en connaissent bien plus sur ta lignée que toi. C’est une histoire de bois. Des blagues sur le bois. Des souvenirs entre des dents qui rient. Avec du bois, on peut faire une guitare, des meubles. Il jouait même de la guitare.
Son atelier, il était là. Quand tu descends avant d’atteindre la plage, la route avant, la petite rivière, la grande maison du cousin célèbre, la maison où le chien aboie, l’île aux enfants, l’entreprise et l’atelier mécanique. Tous ces endroits même si ce n’est pas là, c’est un peu là. Dans cette montée où les maisons sont garées des deux côtés avec juste la place pour passer quand le soleil est haut, quand il pleut, pas longtemps, quand ça douche. C’est tout ça, en bas.
« C’est en bas ! C’est là qu’il était. » Dit le père et la suite de voix, de corps, de certitudes. Ils savent, eux, ils se rappellent. Leurs petits pieds décampent à toute vitesse et ils arrivent devant l’atelier de l’homme que j’ai vu sur des photos, qui m’a mis son chapeau sur la tête, qui se balançait presqu’imperceptiblement en fumant des cigarettes.
Il se balade dans mes souvenirs, chacun des murs est son ouvrage, même s’il ne les a pas tous faits, parce qu’on a refait la maison. Mais les arêtes, c’est lui qui les a posées, c’est comme un piquet, un drapeau, une maison ça vit. La preuve, ça peut s’écrouler. On n’aurait dû toucher à rien, pas cacher ce qui y était. Où sont les journaux sur les murs par exemple ? Où est ma timbale bleue ? Où est mon assiette en fer ? Je crois pas qu’ils soient en bas mes objets. Si c’est en bas et que ceux qui n’étaient pas là assez souvent, ne savent pas où c’était, c’est que c’est pas en bas. Parce qu’on a refait la maison, on a perdu des choses qui avaient simplement du prix, même s’ils ne coutaient pas cher et que finalement, on n’avait pas besoin de remplacer. C’est pourquoi, je m’accroche à son rocking-chair, son regard souriant puis absent. Il y a des choses qui sont plus là et qui sont encore là.
« Mais pourquoi tu fais ça puisque c’est en bas ? » Maintenant, ils n’ont plus qu’à chanter la direction avec leur timbre haut, leur voix qui vient du ventre, c’est facile pour eux. Quand ils se parlent, on a l’impression que c’est une harangue, on les entend de loin.
« Je sais où c’est. » Je réponds, alors que c’est pas vrai, mais j’en ai marre de leur hymne à « c’est là, mais si ». Et puis, j’en tiens une moi aussi. Je trouve ça poétique de me l’imaginer l’atelier. Peut-être que ça développe l’intuition. Je devrais fermer les yeux et y aller. Je pourrais même le faire dans le noir, la nuit, quand les criquets ou les grillons, je sais jamais comment ils s’appellent, font un bœuf. Je fermerai les yeux à chaque fois que je verrai une maison éclairée. J’arriverai devant l’atelier et j’aurai plus qu’à faire l’inventaire des outils. Je fermerais toujours les yeux, ce sera plus simple.
Il devait quand même rudement descendre puis entrer dans son atelier. Et puis, il y avait l’autre. Son frère, mais dans ce temps-là, le mot frère ne voulait pas dire la même chose. Les sentiments étaient les mêmes, mais faut rajouter de la rudesse et puis un peu de rhum.
« Donc, c’était là ? » Il devait y avoir une porte. Ça devait être assez grand pour construire et exposer des cercueils pour faire peur aux gens. Les gens y mourraient pas là-bas, mais ils avaient une idée de ce qu’était la mort pour rire parce que les frères, ils dormaient dedans et ils faisaient peur comme ça.
— Ah ! Ils se levaient tout d’un coup. C’était eux qui les avaient fabriqués.
Elle est clôturée, la maison de l’oncle. On peut plus y entrer. Elle est devenue muette sa maison et sa cour. Et pendant ce temps, l’atelier, il a l’air de se balader toujours. Je le déplace quand je me promène, quand je tombe. Parce que monter et descendre cette côte, c’est un peu comme voler et tomber. Je tombe à la renverse et je vole pas jusqu’au ciel. Je cherche simplement des souvenirs, des odeurs. Je rencontre des gens, des animaux, des coqs, des chats, des chiens, des cabris… J’imagine bien qu’il y avait des outils, d’avant les clous, c’est ce que je me dis, c’est ce que mon souvenir me dit. J’ai bien le droit puisque c’était là, partout, dans la maison, dans la tête des gens qui voient les choses à l’horizontal alors qu’il n’y a que des côtes ici, tout est penché. Des fois voir, ça ne sert à rien. Ils voient pas que c’est penché ?
Imagine que j’arrive devant l’endroit où était leur atelier et qu’une personne ait construit une maison à la place. Comment je ferais pour retrouver les outils dans tout ce bazar ? On aura beau me dire que… ! Et puis que… ! Je serais pas plus avancé que maintenant. Mais puisqu’ils le disent pour pas contredire toute une section, je continue à chercher.
C’est simple, c’est en bas.
J’aime beaucoup Dominique. Il y a une rupture dans la remontée des souvenirs entre un tâtonnement sur ce qui est léger et ce qui est douloureux. Et j’aime l’idée de se demander si il n’est pas mieux d’y retourner dans son esprit…
Merci beaucoup pour ce chemin d’imagination que tu partages Léa Yasmine. C’est d’autant plus généreux que ça me donne des pistes pour répondre à l’invisible. Oups, je veux dire au fait de ne pas avoir toujours de réponses à certaines questions.